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Le cas Marcel Jean : violation de la liberté individuelle et accroc au principe d’indépendance du pouvoir judiciaire

Analyse autour d’une mesure d’interdiction de départ contre un juge d’instruction

Par Robinson Louis, finissant en droit et journaliste

AlterPresse, 11 fevrier 03

Lorsque, comme étudiant finissant en droit, j’ai entendu la semaine écoulée la nouvelle de l’interdiction de départ pour l’étranger du juge d’instruction des Gonaïves, Me Marcel Jean, je me suis posé la question suivante : est-il frappé d’une mesure de type de conservatoire afin qu’il soit disponible pour la justice en raison de la gravité d’une faute qu’il aurait commise ? C’est en questionnant l’avocat du magistrat instructeur sur les vrais motifs de cette décision, qui a défrayé la chronique, que je me suis rendu compte à quel point le régime en place continue à afficher le plus grand mépris pour le respect de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il s’agissait bien, selon Me Samuel Madistin, d’une mesure d’interdiction de départ prise contre le juge parce qu’il aurait refusé catégoriquement de légaliser la libération forcée du chef d’OP [1], tout puissant des Gonaïves, Amiot Métayer, dit cubain. Ainsi, tous les documents de voyage du juge ont été confisqués.

Le Ministre de la Justice, Me Calixte Delatour, qui intervenait sur la question, a affirmé que cette mesure a été prise en raison du fait que personne n’était au courant du départ du juge vers l’étranger. Ce qui revient à dire que Me Marcel Jean devrait informer ces prétendus supérieurs hiérarchiques de sa démarche.

L’un des avocats du Ministère de l’Intérieur, qui ne voulait pas assumer cette responsabilité lors d’une conférence presse au local du dit Ministère, a qualifié la décision prise à l’encontre du juge de "mesure de sagesse" afin d’empêcher une éventuelle fuite du juge qui traite des dossiers importants, dont celui de "cubain". Me Leger, qui devait faire face à un flot de questions de la part des journalistes, a déclaré que cette décision est conforme à l’article 136 de la constitution de 1987, à l’article 12 de la loi portant organisation de la fonction publique et à l’application d’une résolution prise en Conseil des Ministres en mars 2002 ; laquelle résolution fait obligation à tous les agents de la fonction publique de soumettre à leurs supérieurs hiérarchiques leurs projets de voyage à l’étranger pour validation.

Peut-on, au regard de la loi, prendre une mesure d’interdiction de départ contre un magistrat instructeur qui n’a commis aucune infraction ? Un juge d’instruction est-il un agent de la fonction publique ou a-t-il un supérieur hiérarchique dans le vrai sens du terme ?

Précision, in limine llitis, que la décision du ministère de l’intérieur à l’encontre du juge Jean participe de la logique de dépendance du pouvoir judiciaire vis-à -vis de l’Exécutif. En effet l’autorité compétente peut prendre une mesure d’interdiction de départ contre un individu qui commet une infraction que les lois punissent d’une peine afflictive ou infamante. Pour que cette mesure soit adoptée l’action publique doit être mise en branle. A ma connaissance, aucune action n’a été intentée contre le juge Marcel Jean. Qui plus est, selon toute vraissemblance, il n’a commis aucune action répréhensible. Donc, au regard de la loi, le Ministère de l’Intérieur ne peut, sous quelque prétexte que ce soit, empêcher le magistrat instructeur de laisser le pays. Maintenant, quid de cette résolution du gouvernement prise en Conseil des Ministres au sujet du voyage à l’étranger des agents de la fonction publique.

L’analyse du fondement légal de cette résolution pourra faire l’objet d’un autre débat. La question qui se pose présentement est celle-ci : Un juge instructeur est-il un agent de la fonction publique ? Me référant à l’article 6 de la loi du 19 septembre 1982, établissant le statut général de la fonction publique, je réponds à cette question par la négative. En effet "le statut général de la fonction publique couvre catégoriquement seulement une série d’agents publics. Il s’agit des fonctionnaires et employés de l’administration centrale et concentrée de l’état et collectivités territoriales ainsi que des organismes autonomes à caractère administratif, culturel ou scientifique. Ses dispositions ne s’appliquent pas aux membres et au personnel du pouvoir législatif, aux membres et au personnel du pouvoir judiciaire, aux membres des forces armées et des forces de la police, ni non plus au personnel des établissements publics et à caractère industriel, commercial et financier". A la lumière de cette référence légale, même les non initiés peuvent comprendre que le juge d’instruction n’est pas un agent de la fonction publique et n’a pas comme supérieur hiérarchique le Ministère de la Justice, comme le prétend Me Danton Léger. Par conséquent, la résolution sus-mentionnée ne peut-être utilisée comme un argument valable pour restreindre la liberté de mouvement du juge.

Me Leger a également évoqué l’article 136 de la charte fondamentale dans le cadre de sa défense. Mais il a omis de signaler que le Président de la République n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui attribue la constitution (art.150 de la constitution). Il est à signaler que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme consacre dans son article 13 la liberté de mouvement de citoyens. Haïti pays membre de l’Organisation des Nations Unies (ONU) a ratifié cette déclaration. Et en vertu de l’article 276-2 de la constitution, les disposition de la Déclaration Universelle des Droit de l’Homme font partie de la législation de haïtienne et abrogent toutes les lois qui leurs sont contraires.

De ce qui précède, il est évident que tous les arguments avancés par le pouvoir pour justifier l’affront fait au juge ne tiennent pas. Les juristes avisés croient qu’il s’agit là d’un cas de violation de la liberté individuelle et d’un accroc à l’indépendance du pouvoir judiciaire, consacrée par les articles 59, 59-1 et 60 de la constitution de 1987.

Le juge Marcel Jean ,n’a-t-il rien à se reprocher dans cette affaire qui l’oppose au ministère de l’intérieur ? Citons à ce propos l’article 45 du Code d’Instruction Criminelle. En effet les juges d’instruction qui sont empêchés et qui ne peuvent siéger temporairement doivent être remplacés par d’autres juges pour le temps que dure cet empêchement. Dans ce cas le Président du Tribunal doit être saisi de la question afin d’en décider en assemblée générale des juges. Marcel Jean, a-t-il suivi la procédure administrative relative à sa décision de quitter le pays ? Si tel ne fut pas le cas, il aurait commis une faute administrative. Par conséquent il devrait être tout simplement frappé d’une sanction disciplinaire.


[1NDLR : OP désigne dans le langage médiatique des Organisations dites Populaires, qui sont, en réalité, des organisations de base du parti au pouvoir