Par Nancy Roc
Soumis à AlterPresse le 10 décembre 2005
L’excellent album ‘’Ti Peyi A’’ a reçu son baptême de feu à Montréal les 5 et 9 décembre lors de deux concerts donnés au Club Soda. Luck Mervil a séduit- si c’était encore à faire- un public en transe qui, malgré la neige de Montréal, a été transporté vers la chaleur d’Haïti. Récit d’une soirée exceptionnelle.
Il avait promis de faire fondre la neige à Montréal. A défaut d’avoir réussi à le faire, il a toutefois enflammé la salle du Club Soda ce 9 décembre. Luck Mervil c’est un vrai coup de cœur !
- Un concert magique
C’est sous une température de - 10 degrés que j’arrive au Club Soda vendredi. La neige est omniprésente dans les rues de Montréal mais elle ne m’aurait pas empêché d’aller revoir Luck Mervil sur scène. En effet, depuis que j’ai découvert son album « Ti Peyi A », j’ai vraiment été séduite par ce chanteur engagé et sincère. Avoir rencontré Luck Mervil aux dernières Francopholies de Montréal m’avait déjà permis de mesurer toute la dimension humaine de ce chanteur, acteur et messager d’amour, de liberté et de dignité.
- Un spectacle inoubliable
« Ti Peyi A », constitue un tournant dans la carrière de Luck Mervil. Il a écrit cet album en 2004 pour rendre hommage à tous ceux qui avaient donné leur vie pour que se fasse l’indépendance d’Haïti, il y a 200 ans. Cette année là , il revient en Haïti mais décide de s’impliquer. Sur le ‘’béton’’, dans les marches contre le dictateur Aristide où pour les collectes faites pour les victimes de la tempête Jeanne aux Gonaïves, les Haïtiens redécouvrent leur compatriote, devenu depuis des années une des plus importantes références du showbiz québécois.
- Le marron souffle la liberté
En 2004, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal le nommait Patriote de l’année. à€ la rentrée, il a dénoncé avec véhémence les propos du docteur Mailloux sur la soi-disant supériorité intellectuelle des Blancs. Du Rwanda à Haïti, en passant par el Brésil, Luck Mervil est capable de défendre plus d’un pays et plus d’une cause. Mais ‘’Ti Peyi A’’, nous en sommes sûre, lui a permis de redécouvrir sa double identité et le fera certainement connaître en Haïti comme jamais auparavant.
« L’ironie, si on peut dire, c’est que le Citoyen québécois de 2004 s’est définitivement réconcilié cette année avec son pays d’origine et qu’il assume mieux que jamais sa double identité. Luck Mervil a finalement achevé l’album créole qu’il rêvait de faire depuis longtemps.
- La Vierge noire sur scène
Entre la sensualité torride et l’engagement total, ce disque singulier contient un Piwouli digne de Sweet Micky et un Ti Peyi-a chargé de non-dits, qui charrie des souvenirs émouvants des manifs et des marches pour le départ d’Aristide auxquelles le chanteur a participé "sur le béton", à Port-au-Prince, voilà un an. Attention : contient aussi les germes actifs d’un konpa-soul qui pourrait s’avérer terriblement contagieux. », écrit Ralph Boncy à propos du dernier album de Luck Mervil.
Et pour cause ! On ne se lasse pas d’écouter et de réécouter Ti Peyi A et le konpa-soul de Luck Mervil a envoûté le public du Club Soda ce vendredi 9 décembre.
- Les frères Mervil
Après une courte ouverture, réussie, du frère de Luck Mervil, Pierre alias Coyotte, les rideaux s’ouvrent sur la projection, en toile de fond, d’une magnifique peinture de Lionel Laurenceau et les musiciens apparaissent : Harold Faustin à la guitare semi-acoustique, Toto Laracque à la guitare classique, Fritz Pageot à la basse, Evans Baptiste à la batterie et Bob Stagg aux claviers ainsi qu’à l’accordéon et le brésilien Vovo Samaranda aux percussions. Suivent les choristes, Coyote, Marilyn Félix et Kettie Delance....et enfin, il arrive !
- Harold Faustin en démon
Sous les applaudissements d’un public mi haïtien et mi québécois, vêtu d’une chemise rose et d’une veste blanche, on lit le bonheur de Luck Mervil d’être sur scène. Bonheur qu’il va partagé ‘’non stop’’ pendant deux heures et demie de temps. Une véritable bête de scène à la hauteur de sa réputation. Le spectacle débute avec une invitation au voyage : « Il ne neige pas ce soir, ici nous sommes sur la plage. On vous emmène en Haïti », lance-t-il en entonnant Vin Danse. Et le public répond.
- Toto Laraque
La piste devant la scène de se désemplira pas de la soirée. La chaleur monte d’emblée à la seconde chanson, la très coquine Piwouli et la salle s’enflamme déjà . Les bras se lèvent, les couples s’enlacent et la chaude ambiance ne s’arrêtera plus jamais jusqu’à la fin. Les musiciens deviennent des magiciens, complices et excellents improvisateurs.
- Un trio genial
La musique fait voyager autant que la voix chaude du chanteur. En arrière plan défilent des images d’Haïti sur une mise en scène signée par la compagne de Luck Mervil, la comédienne grecque, Tania Kontoyanni à travers un appareillage visuel important orchestré par un "vidéo scratcheur" réputé, le Vietnamien Thien Vu Dang. Les reins des danseurs prennent une pause quand Luck chante Banm Chen ou Ti Mari.
- Luck Mervil ouvre les bras à son public
Luck fait danser mais il fait aussi réfléchir. Il partage aussi des anecdotes telle que celle qui a conduit à réaliser le titre phare de l’album Ti Peyi A. Il révèle sur scène que ce texte d’Evelyne Trouillot, a été enregistré notamment avec les frères Widmaier, après une manifestation pro-démocratique où il a vu un homme qui marchait près de lui se faire tuer d’une balle à la tête. Un moment unique qui a porté la journaliste du quotidien québécois La Presse, Isabelle Massé à écrire : « De telles paroles auraient pu avoir pour effet de geler la foule. Elles ont plutôt jeté de l’huile sur un beau feu ! Car Luck Mervil sait faire danser et sourire même avec les thèmes les plus durs. Même en chantant la pauvreté, la mort et la désolation. Parce que derrière chaque parole gravée sur l’album Ti Peyi A, on sent un réel désir de liberté. Parce qu’on ne peut faire autrement que de danser en entendant la voix chaude de Mervil mariée à celle vibrante de son frère Coyote, un des trois choristes présents sur scène. »
- Les frères Mervil
Le spectacle se termine en apothéose avec trois danseuses de la troupe Mapou Guinen qui donnent une démonstration détonante de leurs talents sur le morceau revisité de Koté moun yo. Les reins vibrent et roulent sur et devant la scène. La foule est en délire et sera encore portée plus haut dans ses émoustillements avec une reprise de Piwouli pour clôturer le show.
Merci Luck et bravo pour ce voyage réussi vers notre île natale qui m’a fait oublié, l’espace d’une nuit magique, mon exil forcé. Mézanmi, gadé kijan m’ renmen ou !
Nancy Roc, Montréal, le 10 décembre 2005
rocprodz@yahoo.fr