P-au-P., 12 déc. 05 [AlterPresse] --- Leonel Fernandez a eu une journée difficile en Haiti, lors de sa visite qui s’est terminée de manière inattendue, à cause de la tension qui a régné aux abords du palais présidentiel où plusieurs centaines de personnes manifestaient contre sa présence à Port-au-Prince.
L’ambassadeur dominicain Jose Serulle Ramia a exigé « une explication convaincante » de la part de l’Etat haïtien. Il a expliqué, au micro de la station privée Radio Métropole, que le président dominicain a du partir « pour ne pas courir le risque d’être assassiné » en Haiti.
Le cortège du président avait de sérieux problèmes pour laisser le palais présidentiel, alors que, malgré des tirs nourris de la police et la présence d’un hélicoptère dominicain qui volait parfois à basse altitude, des manifestants tentaient de bloquer la délégation.
Fernandez s’enorgueillissait pourtant, lors de son discours au siège de la présidence, de « réduire le nombre d’années entre les visites des chefs d’Etat dominicains en Haiti ». Lors de sa première visite à Port-au-Prince en 2000, cela faisait 65 ans qu’un président dominicain n’avait pas mis les pieds en Haiti.
Vers 3:30 de l’après-midi (heure locale), des dirigeants de plusieurs partis politiques, dont plusieurs candidats à la présidence, qui attendaient Fernandez à l’ambassade dominicaine à Pétion-Ville (banlieue est de la capitale), apprenaient que le numéro un dominicain s’envolait pour le Mexique.
Fernandez avait également laissé tomber sa visite programmée au Musée du Panthéon National, à quelques pas du palais.
Tout au cours de la journée, et même en début de soirée, une certaine tension persistait aux abords du palais. D’ailleurs on a appris en fin de journée que plusieurs personnes ont été blessées, certaines par balles, dont un étudiant. Arisma Jean-Pierre, finissant en Ethnologie a recu une balle au cou, a constaté AlterPresse.
Fernández a du entendre la rumeur sourde de la foule alors qu’il tenait sa réunion avec les officiels haïtiens, notamment le président Boniface Alexandre et le premier ministre Gérard Latortue. D’autres membres de la délégation dominicaine, dont des journalistes n’ont pas cessé d’observer la situation qui tendait à se détériorer d’heure en heure.
Barricades de pneus enflammés, heurts entre policiers et manifestants, rien n’échappait aux invités, accrochés au balcon du palais.
L’ambassadeur dominicain a qualifié les manifestants de « petit groupe d’extrémistes », qui sont des « ennemis de la République Dominicaine » ainsi que d’Haiti.
Les incidents enregistrés n’ont sûrement rien changé au message que le chef d’Etat dominicain entendait transmettre aux autorités et à la population haitiennes.
Fernández a exprimé sa volonté de renforcer l’amitié entre les deux peuples et a fait part de son « appui moral » au gouvernement et au Conseil Electoral Provisoire (CEP), à quelques semaines des prochaines élections, considérées comme « très importantes » dans la transition vers « un Etat moderne ».
Fernandez a reconnu que le sujet de la migration est à la base de conflits et de tension entre les deux nations. Cependant, a-t-il dit, ce problème pourrait également représenter une opportunité de resserrer les liens entre les deux pays.
« Je regrette profondément » les récentes violences qui se sont produites récemment entre Dominicains et Haitiens en République Dominicaine, a dit le président dominicain. Il a déploré le meurtre d’un commerçant dominicain par un Haitien et l’assassinat d’un ressortissant haitien par des Dominicains. Le gouvernement dominicain n’encourage pas la justice populaire, a souligné Fernandez, qui a condamné ces actes.
Cependant, prenant en exemple les cas de Dominicains rapatriés par les Etats-Unis ou les pays d’Europe, Fernandez a fait savoir que le rapatriement d’Haïtiens relève de la souveraineté dominicaine, qui applique sa loi de migration. Il a en même temps affirmé la volonté des autorités dominicaines de respecter les droits des migrants haïtiens au moment des rapatriements.
« Nous voulons des relations de compréhension pour résoudre peu à peu les problèmes », a dit le président dominicain.
Un autre thème abordé par Fernandez durant son bref séjour mouvementé en Haiti est celui du trafic de drogue. Il a exprimé sa « préoccupation » du fait que 20 pour cent de la drogue qui sort de la Colombie, arrive en Haiti, passe en République Dominicaine, va à Porto Rico, aux Etat-Unis et en Europe.
Fernandez est d’autant plus préoccupé qu’ « une partie de cette drogue (...) reste en Haïti et en République Dominicaine », ce qui crée « pour la première fois, un marché de consommateurs » au niveau des deux pays. Cette situation affecte la jeunesse des deux nations et a des conséquences sur l’augmentation de la criminalité au niveau des deux sociétés, a-t-il soutenu.
Fernandez a proposé « une coopération triangulaire » entre la République Dominicaine, Haiti et la Colombie pour « faire face à cette menace, qui a des conséquences sur beaucoup de pays de la région ».
Fernandez a aussi prôné l’augmentation de la sécurité à la frontière pour « contenir » le « danger » que représente le trafic des armes et des personnes.
Le président dominicain a d’autre part proposé la réactivation de la commission mixte entre les deux pays, commission qui « a bien fonctionné durant ma présidence de 1996 à 2000 ». Cela permettra un meilleur rapprochement entre les deux administrations qui ont des sujets d’intérêt communs à traiter, dont la santé, l’environnement, l’éducation, le commerce et le tourisme.
Fernandez a « renouvelé l’amitié et la solidarité du peuple dominicain envers le peuple haitien ». Il a parlé d’ « admiration profonde » pour Haiti, en mettant l’accent sur ses richesses culturelles et son histoire. Haiti est « un pays d’avant-garde » qui a initié la lutte pour la liberté et l’indépendance dans les Amériques. « Nous savons le prix qu’a du payer Haïti », a conclu Fernandez.
Pour sa part, le président haïtien, Boniface Alexandre, a invité les autorités dominicaines à emprunter la voie légale et de concertation pour résoudre les différends qui existent entre les deux peuples.
« La République Dominicaine est un Etat de droit. Donc, les affaires de droit commun doivent être réglées par les tribunaux et non par la justice populaire et expéditive », a déclaré le chef de l’Etat haïtien.
« Ces affaires ne doivent servir de prétexte aux extrémistes pour mener une chasse systématique contre les Haïtiens, qu’ils soient en situation régulière ou non », a poursuivi Boniface Alexandre.
« Nous sommes conscients du problème migratoire haïtien. Nous sommes aussi convaincus que le président Fernandez ne saurait tolérer, et il l’a déjà indiqué, de chasse aux sorcières contre nos compatriotes », a soutenu Alexandre.
« C’est notre vœu, enfin, que les deux pays conjuguent de plus en plus leurs efforts pour agir, de façon concertée, sur les grands dossiers de politique régionale et internationale, qu’il s’agisse de la paix, de la sécurité de l’hémisphère, de l’intégration caribéenne ou de notre ralliement aux grands ensembles continentaux en formation », a affirmé le président provisoire. [gp do rc apr 12/12/2005 21:40]