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A L’OEA, il faut plus que des voyelles

Article d’opinion

Par Lis Bell, 3 février 2003

Nous n’insisterons pas sur l’importance des voyelles
qui marchent à trois, comme OEA.

Nous n’irons pas, non plus, jusqu’à douter du poids de
l’élément masculin au sein de cette trilogie
hémisphérique, même si les mauvaises langues,
passablement excitées par l’idée de l’équité de genre
en grammaire, disent que ces voyelles, OEA, ont, trop
de fois, appelé ou rappelé le...masculin.

Sans être un as en grammaire, nous admettrons qu’il
faut à l’OEA, plus que des voyelles. Il faut, par
exemple, à l’OEA, l’uniformisation des concepts de
référence constitutionnelle, démocratique,
parlementaire et autres. Pour illustrer notre propos,
rappelons que l’OEA eut à parler de "Retour à 
l’Ordre Constitutionnel en Haïti " . Ce qui, à 
l’analyse, fut un excès de langage car, la
Constititution haïtienne de 1987, interdisant la
présence de forces étrangères sur le sol national, ne
saurait être associée à un retour amorcé avec des
corps étrangers armés. Disons sereinement que c’était
plutôt une invasion américano-onusienne réclamée par
un sujet haïtien, admise complaisamment par d’autres
et naïvement applaudie par une majorité savamment
conditionnée.

Il faut aussi à l’OEA, le sens des responsabilités.
N’avait-elle pas, au même titre que d’autres
"tuteurs", un rôle à jouer, une vigilance à assumer,
pour le bon déroulement des dernières élections ?
N’était-elle pas au courant qu’une certaine Mme Begin,
avait dénoncé la mise en place d’un vaste système de
fraude devant favoriser des résultats électoraux
massivement lavalassiens ? Elle fut aussitôt décrétée
"persona non grata" par la version gouvernementale
Lavalas d’alors. Et l’OEA, plus loin, n’allait guère
se gratter la conscience pour conclure à la
reconnaissance implicite des élections du 26 novembre
2000, déroulées sous l’empire de cette même
Constitution de 1987 que le candidat unique avait
préalablement violée par la demande, l’accompagnement
et le maintien des troupes étrangères sur le
territoire national.

Quels sont les autres faits constatés ? En 1995, ce
grand exilé-rapatrié, avait rayé l’Armée de la
Constitution de 1987 sans les amendements exigés, et
en l’an 2000, il levait solennellement la main pour
jurer devant la Nation qu’il allait respecter
fidèlement cette même Constitution de 1987 qui
reconnaissait l’Armée.

Si l’on présente ces faits à un enfant, il dirait tout
de suite, mais, cet homme-là est un menteur
constitutionnel !

Si l’on présente ces faits à une citoyenne haïtienne,
elle dirait : Mais, si hier, il a déjà violé la
Constitution, comment peut-il dire aujourd’hui qu’il
va la respecter ? On en a la preuve. Voyez ce qu’il a
fait par la suite : il a décidé de faire octroyer les
privilèges de la double nationalité que la
Constitution avait interdite. Désormais, une décision
présidentielle est supérieure à la Constitution. Et
puis, il a donné des terres à la frontière aux
étrangers qui veulent implanter des zones franches.
Pourtant, la Constitution interdit formellement que
des étrangers soient propriétaires à la frontière.

Si l’on soumet ces faits à un homme d’Eglise, il
dirait : La Justice élève une Nation, selon les Saintes
Ecritures. Cet homme doit d’abord demander pardon à 
Dieu d’avoir trompé si gravement ses frères, et se
retirer pour jeûner et prier.

Si l’on consulte une praticienne du droit sur ces
faits, elle dirait : « Mais, si la Constitution a été
violée, par celui-là même qui était désigné pour la
faire respecter, il s’agit ni plus ni moins que d’un
crime constitutionnel. Et quand il n’y a pas eu de
changement de Constitution et que ce même homme, par
maints artifices et complicités, revient sans être
jugé, pour briguer à nouveau la première magistrature
de l’Etat sur la même Constitution, sa candidature est
non seulement irrecevable mais c’est celle d’un
parjure, d’un récidiviste, d’un hors-la-loi. Le
principe en droit est universel : Dès qu’il y a crime,
il y a sanction et si le coupable est connu, il doit
être jugé, au nom de la protection de l’Ordre social
 ».

Si, autour de ces faits, vous interrogez nos hommes
politiques, grands démocrates et légalistes, ils vous
diront : « Nous ne pouvons pas rentrer dans ce
débat, c’est trop compliqué. Voyez-vous, il y a ce
qu’on appelle la Real politik. Si nous rentrons dans
ce débat, nous allons nous mettre en face de
l’International et nous ne survivrons pas
politiquement. En politique haïtienne, vous savez, il
faut manoeuvrer doucement et intelligemment ! ».

Et si vous présentez ces mêmes faits au puissant
cheval de Troie à trois voyelles, OEA, vous vous
entendrez dire : « Mais, il n’est pas question de
négocier sa présidence, elle n’est pas négociable.
Pour une fois, soyez raisonnables ! Et puis, c’est
notre interlocuteur officiel. Bon, c’est vrai, nous
sommes venus 20, 24 fois déjà , mais c’est lui que nous
voulons, surtout en 2003. Nous allons lui demander
d’accompagner le processus électoral, de faire un CEP
crédible et puis, tout ira bien ! Nous lui donnerons
l’argent qu’il faut pour cela ! Et puis, écoutez ,
c’est pas seulement l’OEA, c’est toute la communauté
internationale qui le veut ainsi, les Américains,
l’Union Européenne, tous les amis d’Haïti, quoi ?
Nous voulons la Démocratie pour vous en Haïti. »

Ainsi, l’OEA, unie à la Communauté Internationale, la
conscience tranquille et avec la complicité de nos
grands manoeuvriers, participe d’une impunité qui
avilit le Droit constitutionnel haïtien. Car il ne
s’agit guère de mandat constitutionnel de 5 ou 50
ans, ni d’élections constestées ni de négociations
entre nous, la question fondamentale n’est pas là . Il
s’agit ni plus ni moins de l’irrecevabilité, à la
lumière des prescrits de la Constitution de 1987
évoquée, de la candidature à la présidence d’un homme
passible de la Haute Cour de Justice mais accueillie
comme normale par cette même Communauté Internationale
donneuse de leçons de légalité, de démocratie
constitutionnelle et de moralité politique .
Pourtant, la logique du droit est impérative : un
faux engendre un faux. Si donc, la candidature était
irrecevable, ce qui en découle l’est tout autant.

La vérité attend jusqu’au jour où quelqu’un a besoin
d’elle. N’en déplaise à nos hommes d’Etat sans état
d’âme national, tenaillés par l’urgence du quotidien
politique, ou du quotidien tout court, des générations
à venir émergeront, bon gré, mal gré, de nouveaux
marrons qui, au-delà du temps, leur poseront des
questions embarrassantes. Ces nouveaux marrons de la
liberté de penser haïtien, leur demanderont, par
exemple, pourquoi ils ont gardé si longtemps la main
sur l’interrrupteur de leur conscience, et plongé
celle de la Nation dans une nuit si profonde...

Quant à l’OEA, en cautionnant, à l’heure de la
globalisation démocratique, cette monstrueuse impunité
et cette gifle monumentale au droit constitutionnel
haïtien, elle aura introduit une dangereuse
jurisprudence dans le droit constitutionnel
latino-américain, tout court ainsi qu’une crise de
gouvernance morale. Désormais, un ex-président après
force fortaits constitutionnels restés impunis, peut
aisément briguer à nouveau la première magistrature de
l’Etat, arguant du fait que l’OEA dans le cas haïtien,
avait opté pour l’impunité autrement dit pour un Amiot
Métayer présidentiel.

L’OEA est donc à la croisée des chemins et doit bien
comprendre que le temps des missions ritournelles est
fini. Il n’y a pas de problème politique à proprement
parler en Haïti. Il y a surtout un cas judiciaire
non réglé. Dans un pays qu’on veut à tout prix
transformer en un vaste lavoir mental, en somme, un
pays lave-à -l’as, si concours de l’OEA, il doit y
avoir, c’est bien au niveau de ses instances
judicaires en vue de mettre fin à cette imposture,
cette mystification, cette négation du Droit
constitutionnel haïtien trop souvent ressucité au gré
des fantaisies de l’International et des
gesticulations du Local. Oui ! Il faut mettre fin à 
ce mépris profond de la Justice et cette atteinte à la
Dignité du peuple haïtien dont les ancêtres
internationalistes, Dessalines et Pétion, les géants
du continent, avaient dans leur sagesse éclairée,
accompagné les efforts de Miranda et Bolivar, ancêtres
des Luigi Enaudi et Gaviria.

Sinon, toujours à l’OEA, il manquera plus que des
voyelles. Un mauvais farceur risquerait même, de lui
coller, à bref délai, la lettre P, ce qui se
traduirait malheureusement ainsi : O E A, se OP
Etranje A.