P-au-P, 5 déc. 05 [AlterPresse] --- Les séquelles des événements sanglants du 5 décembre 2003 à la Faculté des Sciences Humaines (FASCH) et à l’Institut National d’Administration, de Gestion et des Hautes Etudes Internationales (INAGHEI) sont encore vivantes dans l’esprit des étudiants de l’Université d’Etat d’Haïti (UEH).
Au niveau psychologique, plusieurs étudiants sont jusqu’à présent traumatisés au point où ils ne peuvent pas continuer leurs études, selon des professeurs de l’UEH interrogés par AlterPresse.
« L’événement du 5 décembre 2003 a eu de lourdes conséquences sur le psychisme des étudiants. Traumatisée depuis, une jeune fille a dû abandonner ses études à la Faculté des Sciences Humaines », affirme le professeur Luc Smarth.
Sur le plan physique, l’administration de cette entité de l’UEH arrive à remplacer certains matériels brisés avec les moyens du bord. Toutefois, selon le sociologue Luc Smarth, les promesses, si nombreuses fussent-elles, n’ont pas été tenues.
« 5 décembre 2003 représente une date importante pour les étudiants qui défendaient un idéal au prix de leur vie, la force de l’esprit. Cette date nous fait croire que, dans ce pays, il y a lieu d’espérer », martèle l’universitaire.
Smarth estime que les événements tragiques du 5 décembre montrent clairement la brutalité qui entache le système politique haïtien axé sur l’autoritarisme et l’obscurantisme.
« Cet acte traduisait, peut être, les frustrations de ceux-là même qu’on appelle chimè (NDLR : bandits armés à la solde de l’ancien régime lavalas). Une analyse sociologique et politique mérite d’être faite sur la participation de ce groupe dans cet acte barbare », poursuit le professeur Luc Smarth.
Le vendredi 5 décembre 2003, des partisans armés de l’ex-Président Jean Bertrand Aristide avaient fait irruption dans les locaux de la FASCH et de l’INAGHEI pour réprimer des étudiants qui s’apprêtaient à manifester contre le gouvernement en place.
Le bilan de cette descente des lieux était lourd. Plusieurs étudiants ont été blessés par balles, d’autres traumatisés. Le recteur de l’Université, Pierre Marie Paquiot, a eu ses deux jambes cassées et le vice-recteur, Wilson Laleau, a failli mourir étranglé.
Deux années après, professeurs, étudiants et personnels de la FASCH sont incapables de dresser un bilan. Pour les professeurs Luc Smart et Roland Bélizaire, le bilan est nettement négatif.
« De façon symbolique, nous avons pensé à porter plainte par devant la justice, mais la mauvaise marche de l’appareil judiciaire ne nous permet pas de le faire, c’est pourquoi nous ne cesserons jamais de mettre l’Etat en question », indique Ernst Alcéus, étudiant finissant en communication sociale.
« 5 décembre 2003 était une catastrophe irréparable. Moi-même, j’ai été parmi les victimes. à€ l’entrée de la Faculté, on m’a mis un revolver à la tête », rappelle Lessage Azor, gardien de la Faculté des Sciences Humaines.
Lessage, qui est aussi propriétaire d’un mini restaurant en plein air à la FASCH, réclame justice et réparations.
« Des signes avant coureurs montrent qu’il y aurait dans les jours à venir une réédition du 5 décembre 2003, parce qu’on ne sent pas vraiment la présence d’un Etat responsable dans le pays », prédit Lessage Azor.
« 5 décembre reste une date macabre dans la vie de l’Université d’Etat d’Haïti et, jusqu’à présent, les étudiants continuent de faire les frais de la spirale de violence qui affecte le pays », indique le professeur Roland Bélizaire.
Ce jour-là , Bélizaire avait rendez-vous avec des étudiants pour qui il animait un cours de théories économiques. Selon l’économiste, nombre de ces étudiants ont été blessés et transportés d’urgence à l’hôpital pour les soins nécessaires.
« Aujourd’hui encore, un secteur bien déterminé de la société civile, qui veut avoir le contrôle de l’Université, persécute nos étudiants », révèle Roland Bélizaire qui cite le nom d’un dirigeant de cette « société civile d’en haut » qui avait récemment participé à une réunion du Conseil de l’Université d’Etat d’Haïti (CUEH).
« Des tractations sont en cours en vue de la privatisation de l’UEH », dénoncent, à l’agence en ligne AlterPresse, Ernst Alcéus et Julien Sainvil, deux étudiants finissants de la FASCH.
« 5 décembre reste une date tragique, nous prenons toujours l’initiative de la commémorer, au lieu d’organiser des activités réjouissantes. C’est un jour de réflexion pour nous autres qui continuons à lutter contre la mise à l’écart des plus démunis, contre ceux-là mêmes qui veulent nous abêtir, nous exploiter », déclarent-ils.
Par ailleurs, Roland Bélizaire estime que le mouvement intersectoriel ayant conduit à la chute de Jean Bertrand Aristide était « un mouvement petit bourgeois et bourgeois n’ayant rien à voir avec un véritable mouvement populaire ».
« Ce n’était pas un mouvement pour le changement de tout un système. Il était question de se débarrasser d’un ennemi commun, d’un gouvernement fasciste », précise l’économiste.
« Nous avons fait une alliance contre nature pour chambarder tout un système, aujourd’hui notre attente n’est pas encore comblée, car notre lutte ne visait pas un individu, mais tout un système qui ne cesse pas de produire de piètres dirigeants », reconnaît Julien Sainvil, étudiant finissant en sociologie.
Du côté de la Faculté des Sciences Humaines, aucune activité n’est organisée pour commémorer la date macabre du 5 décembre. Cependant, les étudiants, fers de lance du mouvement ayant déraciné le régime lavalas, promettent de poursuivre le combat pour un réel changement dans les structures politiques haïtiennes.
« Nous combattrons encore cet Etat capitaliste bourgeois, de manière à parvenir à l’établissement d’un système social apte à améliorer les conditions de vie des masses défavorisées, à instaurer un état de droit dans notre pays », ajoute Julien Sainvil.
Pourtant, au niveau de l’INAGHEI, le Grand Front National des Etudiants Haïtiens (GRAFNEH) entreprend des initiatives pour marquer cette date. Une manifestation de rue a été organisée, ce 5 décembre 2005, à l’issue d’une messe de souvenir dans une église catholique romaine de la capitale haïtienne.
GRAFNEH est une association étudiante proche du secteur des affaires.
Depuis la chute d’Aristide, les étudiants de l’UEH sont quasiment divisés. Plusieurs associations estudiantines ont pris naissance. Des étudiants se sont même engagés dans la course électorale comme candidats à la députation et aux municipalités. D’autres se sont tout simplement mis au service des groupes politiques.
Récemment, des membres du GRAFNEH avaient eu maille à partir avec des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines lors d’une manifestation pour dénoncer l’insécurité sévissant à Port-au-Prince. [do rc apr 5/12/05 13 :30]