P-au-P., 05 déc. 05 [AlterPresse] --- Bonhomme est un de ces quartiers à forte concentration d’Haïtiens en Guyane Française. La situation des riverains quelquefois diffère. Mais leur provenance géographique et les conditions d’entrée se recoupent le plus souvent.
Bazin Léonard par exemple vit dans ce département français d’Outre Mer depuis 1987. Il y était entré illégalement, mais a pu par la suite régulariser sa situation. Léonard est père de cinq enfants - évoluant tous en Guyane - et travaille comme maçon.
Sur quelque deux cent mille habitants recensés en Guyane, on compte environ quarante mille haïtiens. Ils constituent la plus forte communauté étrangère suivie des brésiliens.
« Sur quatre habitants en Guyane, vous avez un haïtien », nous confie Mécène Fortuné, directeur de Radio Mosaïques (une radio haïtienne émettant il y a peu de Cayenne) et premier haïtien à être candidat à une élection locale en 2000. Fortuné a choisi la Guyane comme terre d’adoption depuis une trentaine d’années.
Douze mille cinq cents haïtiens auraient acquis la nationalité Guyanaise (Française). Environ huit mille seraient encore en situation irrégulière. Mécène Fortuné reprend ici des statistiques publiées par le Consulat d’Haïti (en Guyane) il y a deux à trois ans.
Les haïtiens (en Guyane) sont issus en grande partie du Sud d’Haïti. La plupart s’y sont introduits illégalement, après un détour par le Surinam qui partage, de même que le Brésil, plus de six cents kilomètres de frontière avec la Guyane.
Quand les premiers haïtiens sont arrivés en Guyane vers les années 60, on les retrouvait surtout dans l’agriculture et les services. Ils étaient le plus souvent à la marge de la société.
« Mais très rapidement, grâce à la scolarisation, à l’éducation, les enfants de ces haïtiens ont émergé dans la société Guyanaise. Et on les retrouve autant dans la fonction publique territoriale que dans les secteurs privés de l’activité de ce pays. Ils ont leur place dans cette société ».
Celui qui parle ainsi est le président du Conseil régional de la Guyane. Antoine Karam, brillant intellectuel et grand orateur, impressionne par sa profonde connaissance de l’histoire d’Haïti. Il a de qui tenir, puisqu’il avait comme professeur à Paris l’historien haïtien de renom, Leslie François Manigat.
L’émotion se lit tout à coup sur le visage du président de la région Guyane quand il prononce ces paroles : « Moi, j’ai eu la chance d’avoir des professeurs haïtiens qui m’ont enseigné l’histoire dont Leslie Manigat qui a été mon professeur à l’Université à Paris. Moi, je suis très attaché à cette histoire ».
Selon Mécène Fortuné, « le secteur le plus convoité actuellement par la communauté haïtienne, c’est le bâtiment. Car dans toutes les constructions, on trouve 60 à 70% d’haïtiens ».
« La population haïtienne en Guyane est un peuple au travail, qui s’est en grande partie intégré à la population Guyanaise », relève le président du Conseil régional de la Guyane. Antoine Karam reconnaît toutefois la persistance de certaines difficultés. Des problèmes palpables notamment dans le secteur du logement.
Cette mobilité sociale au sein de la communauté s’accompagne de certains indices extérieurs. « Actuellement, l’haïtien n’est plus en vélo. Aujourd’hui, l’haïtien, c’est le 4X4. L’haïtien construit en dur. A un certain moment, dès qu’on disait haïtien, on semblait voir tout de suite bidonville. Les choses ont tellement évolué ».
En marquant cette progression, Mécène Fortuné, qui, outre sa casquette d’homme de média, encadre la communauté haïtienne, à travers notamment « l’Association pour l’insertion, le développement et l’éducation », n’hésite pas à parler d’une certaine chasse à l’intégration haïtienne. Il cite en exemple la récente démolition d’une dizaine de maisons - construites en dur - décidée par les autorités.
Le directeur de Radio Mosaïques rejette l’absence de permis de construire évoquée par les autorités pour justifier les démolitions, arguant que 80 pour cent des maisons construites dans certaines communes de Guyane le sont sans permis.
« Il faudrait construire onze mille logements par an pour pouvoir calmer le jeu en Guyane. Or nous en construisons moins de mil cinq cents », affirme Antoine Karam pour montrer qu’il y a autant de problèmes de logements pour les haïtiens que pour les Guyanais. Le président du conseil régional pointe à ce sujet la France hexagonale qui n’aurait, selon lui, qu’une seule ambition pour la Guyane : le spatial.
Haïti est très présente dans l’imaginaire des haïtiens que nous avons rencontrés en Guyane. « Ayiti se tè sèk kap tann lapli » (littéralement en français : Haïti, c’est une terre sèche qui attend la pluie). Bazin Léonard nous a lancé cette métaphore typiquement haïtienne pour signifier son brûlant désir de retourner en Haïti sitôt que le pays prendrait un autre cap et le bénéfice que Haïti pourrait tirer d’un éventuel retour de sa diaspora en Guyane.
Avec d’autres mots, Louis Lekel traduit le même sentiment. « Lorsque nous regardons ce que les haïtiens réalisent en Guyane. S’ils faisaient la même chose chez eux, Haïti ne serait pas à ce stade de développement ». « La diaspora haïtienne en Guyane, c’est une richesse que perd le pays », a renchéri Lekel.
Louis Lekel, qui vit depuis 26 ans en Guyanne, est un modèle de débrouillardise. Il a expérimenté divers petits métiers, entrepris plusieurs petits commerces avant d’investir dans la sécurité routière. De là où il était parti, il estime s’être tiré d’affaires et caresse l’idée de retourner investir en Haïti.
Alors que nous les interrogions sur leur situation en Guyane, les compatriotes n’arrêtaient pas de nous interrompre pour nous demander lequel des candidats en lice pour les prochaines présidentielles en Haïti avait plus de chance de remporter ces joutes. Une question récurrente qui traduit à la fois une angoisse - l’attente d’un être messianique - et un inconfort par rapport à la précarité d’un pays qui, il y a deux siècles, avait montré la voie à l’humanité.
De manière peut-être stéréotypée, ces haïtiens imputent aux politiciens traditionnels les malheurs d’Haïti. « Nous attendons la sécurité et une bonne organisation du pays pour y revenir », lâche Bazin Léonard.
La réalité et l’histoire de l’immigration haïtienne, surtout clandestine, en Guyane n’échappent pas au président de la région (Guyane). Antoine Karam, qui ne veut pas s’attarder sur les chiffres, souligne que la Guyane a pu recevoir, à un moment de son histoire, une population en détresse. « Elle a été en détresse à plusieurs niveaux : de la situation politique, du duvaliérisme, de la dictature, de l’impossibilité à établir un régime politique durable dans cette république haïtienne ».
Le constat de Karam à propos d’Haïti est malheureusement encore d’actualité malgré les changements successifs de gouvernements, les multiples missions internationales de stabilisation déployées en Haïti, les conférences internationales à répétition et les déclarations de bonnes intentions par-ci et par-là . D’aucuns estiment qu’il n’y a pas de fatalité et qu’il suffit de prendre le taureau par les cornes. [vs apr 05/12/05 8:50]