Port-au-Prince, 27 janvier 2003 [AlterPresse] --- Jamais appel à la grève n’aura suscité de contre-attaques verbales aussi sévères de la part du régime en place que celui du 24 janvier 2003. Mais de toutes les sorties tonitruentes des officiels lavalas dans la presse, c’est le Premier Ministre Yvon Neptune qui a surtout frôlé le 23 janvier le ras du plancher.
« Ils sont rentrés au pays, les mains vides, avec un petit sac sur le dos et un petit pantalon ne couvrant que leurs jambes. Ils y ont fait leur beurre en exploitant la population haïtienne. Et ils font partie aujourd’hui de l’élite économique du pays. Qu’ont-ils fait pour ce pays ? ».
Le chef du gouvernement faisait ici allusion à la bourgeoisie mulâtre d’ascendance étrangère (libanaise, syrienne, etc.), sans évoquer l’attitude de l’Etat dans la situation décrite.
Et dire que la veille, soit le 22 janvier, à l’occasion des obsèques des trois frères assassinés en décembre dernier à Carrefour, une autorité morale, le père Max Dominique, mettait les autorités en garde contre ce genre de discours.
« A quand un discours qui rassemble. Ce n’est pas normal que ce soit au niveau des institutions publiques même que proviennent des incitations à la haine, à l’ostracisme et à la vengeance », s’exclamait le prêtre.
La panique provoquée dans le camp lavalas par le mot d’ordre des 184 a suscité affirmation et rétractation de la part du chef du gouvernement concernant la réception par la Primature du communiqué conjoint du 26 décembre qui donnait à l’Exécutif lavalas jusqu’au 15 janvier dernier pour un début d’application de sept recommandations essentielles liées à la résolution 822 de l’OEA.
En effet, après avoir auparavant claironné que c’est seulement par voie de presse qu’il a été touché de ce moratoire, le Premier Ministre Yvon Neptune s’est désavoué le 23 janvier. Cette rétractation est intervenue après que le groupe des 184 eût exhibé dans la presse l’accusé de réception du chef de la Primature.
Autre personnalité à s’illustrer au cours de cette semaine de surenchère dans la chapelle lavalas, le Secrétaire d’Etat à la Communication. Mario Dupuy s’est
employé, avec la fougue qu’on lui connaît, à lier la grève des 184 au vœu exprimé par l’Exécutif lavalas concernant un relèvement du salaire minimum.
« Cette grève vise à bloquer la décision du gouvernement relative à l’augmentation du salaire minimum pour permettre à la population de faire face au coût de la vie ».
Ce refrain est entonné entre autres dans les deux spots gouvernementaux de propagande anti-grève et anti-184 concoctés dans le studio de production de la compagnie téléphonique nationale, Téléco.
Le mouvement du 24 janvier était, selon ses promoteurs, une grève d’avertissement pour protester contre la gestion politique, économique et sociale du pouvoir lavalas.
« Il s’agit d’une grève d’avertissement pour dire non à la façon dont le pays est géré », a martelé André Apaid, représentant de la Fondation Nouvelle Haïti et de l’Initiative de la Société Civile au sein du regroupement des 184 associations et institutions de treize secteurs vitaux du pays dont le patronat, la paysannerie et le secteur populaire urbain.
Lors d’un point de presse le 24 janvier, le Secrétaire d’Etat à la communication a fait état d’efforts consentis par le gouvernement pour désarmer les bandes armés, justifiant par ainsi le caractère démagogique, selon lui, des conditions posées par les 184 dans le communiqué du 26 décembre.
Ces propos de Mario Dupuy interviennent à un moment où deux des fugitifs du 2 août 2002, Amiot Métayer dit cubain et Jean Pierre alias Jean Tatoune, récemment réconciliés, se pavanent ces dernières semaines dans des manifestations pro-Aristide aux Gonaïves. Le premier, l’enfant terrible de Des Cahos, est épinglé par le rapport de la commission d’investigation de l’OEA sur les violences du 17 décembre 2001. Le second, Jean Tatoune a été condamné par la justice pour sa participation dans le massacre de Raboteau en 1994.
S’agissant de Métayer, la police « attend les ordres de la justice ». Le ministre de la justice, Calixte Delatour, éminent juriste de son état, évoque lui « le secret de l’instruction ». Le Premier Ministre Yvon Neptune qui, après l’évasion, avait qualifié ces tout puissants chefs d’OP de brigands, a dû entretemps se raviser pour rester dans la note. Et la dernière nouvelle dans le dossier est la mesure d’interdiction de départ dont a été l’objet récemment le juge d’instruction en charge de l’affaire, Marcel Jean. Le passeport du magistrat a été confisqué par les autorités de l’Immigration le 22 janvier. Selon son avocat, Samuel Madistin, qui pointe du doigt le ministre de l’Intérieur, Jocelerme Privert, cette décision serait liée au refus du juge d’instruction près le Tribunal Civil des Gonaïves de « légaliser la libération d’Amiot Métayer », comme certaines autorités le lui réclamaient après l’évasion du chef de « l’armée cannibale » de la prison des Gonaïves, le 2 août 2002.
De toute façon, il y a plus urgent, semble-t-il. L’ancien colonel Himmler Rébu accusé par des partisans de lavalas d’avoir fait feu en leur direction lors de la manifestation organisée à l’initiative du secteur syndical le 10 janvier dernier pour protester contre la hausse des prix du carburant. Les démentis et arguments de l’intéressé et de son avocat n’y font rien. Mais des témoignages dans la presse cette semaine selon lesquelles l’un des principaux plaignants a été admis à l’Hopital Général de l’Université d’Etat d’Haiti (HUEH) dans la matinée du 10 janvier, avant même la manifestation du secteur syndical, renforcent le scepticisme de plus d’un. Des médecins de l’HUEH font l’objet depuis de menaces persistentes de la part d’individus armés à la recherche du dossier médical du dit patient. L’avocat de Rébu exclut toute présentation de son client devant un tribunal sans garantie internationale et envisage d’attaquer en justice le mandat d’amener décerné contre l’ancien colonel par le Parquet près le Tribunal Civil de Port-au-Prince. « Qui me dit qu’on ne va pas assassiner Himmler Rébu s’il se présente au tribunal », a lancé Me. Osner Févry. [vs apr 27/01/03 22 :00]