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Haiti : " Moins de personnes " tuées dans les rues en septembre et octobre 2005

Extraits d’une lettre-rapport de Justice et Paix, en date du 26 novembre 2005, adressée aux autorités de la justice, de la police, avec copie au premier ministre Gérard Latortue [1]

Document soumis à AlterPresse le 29 novembre 2005

Au cours des mois de juillet et d’août 2005, le niveau de violence était élevé. Alors, nous avons compté 179 victimes, 98 au mois de juillet et 81 au mois d’août. Le nombre des victimes pour le mois d’octobre et de septembre a diminué. Respectivement 31 et 28 victimes ; en total 59 victimes de la violence.

(...)

Nous saluons le progrès réalisé. Moins de personnes ont perdu la vie pour cause de violence dans les rues de la capitale, bien que le nombre reste élevé. La vie d’une personne humaine n’a pas de prix.

Toujours, nous comptons 6 femmes et 2 enfants parmi les victimes, ainsi qu’un policier, un agent de sécurité et un agent Minustah. 2 personnes ont perdu la vie lors des intempéries.

Une personne humaine ne devrait pas perdre la vie par la violence. Ce ne devrait pas être son sort. Nous continuons à faire appel à tous ceux que cela concerne, surtout à ceux qui croient devoir régler leurs différends et conflit, ou bien qui cherchent à réaliser leurs intérêts par la violence, de chercher d’autres chemins qui correspondent à la dignité de la vie humaine. D’autres chemins pour régler des différends sont la négociation et le dialogue, et toutes sortes d’activites citoyennes qui permettent de se valoriser.

S’il y a moins de victimes mortelles, cela ne signifie pas que d’autres formes de violence ne persisteraient pas. Au contraire, le phénomène des kidnappings perdure et semble même en augmentation, même si on en parle moins. De nombreuses femmes sont victimes de viols et d’autres formes de violences sexuelles. Certaines zones de la capitale restent fermées pour les gens de l’extérieur. Ailleurs, la confiance n’y est pas encore pour permettre que la vie reprenne. Les enfants dans la rue ne jouissent d’aucune attention, même pas des autorités. Serait-ce la façon indiquée pour préparer un autre avenir pour le pays ?

(...)

Ce que nous proposons aux autorités

• Nous saluons les efforts et le courage des Autorités policières et les Forces de paix qui ont conduit à un climat plus sécuritaire dans le pays. La police et la Minustah comptent également leurs victimes : 2 victimes au cours des deux derniers mois en considération. Nous appelons aux autorités responsables de la sécurité des citoyens de gérer la violence légitime avec prudence, compétence et précaution.

• Nous saluons les efforts de la Police Nationale de mettre de l’ordre á l’intérieur de l’institution. Mais, cela aussi devrait se faire selon les normes de la justice, pour qu’il n’y ait pas de règlements de comptes ou des victimes innocentes.

• Le Pouvoir judiciaire doit devenir un Pouvoir de l’Etat indépendant et efficace qui dispose des moyens pour faire ce qu’il doit faire. C’est la seule façon pour empêcher que le pays ne sombre dans le cycle infernal de la vengeance et des règlements de compte. Le Gouvernement de transition pourrait prendre des initiatives dans ce sens.

• La Commission Justice et Paix continue à demander un désarmement réel. Il faut en plus un contrôle réel sur toutes les armes en circulation ; un contrôle sur le commerce lié aux armes ; un contrôle réel sur les permis de port d’armes ; il faut davantage de sévérité pour combattre le port d’armes illégal.

• Plus d’efforts devraient être déployés pour rendre l’Etat présent de façon réelle et positive, de sorte que la population ne se sente plus laissée à elle-même. Il faut des écoles et centres de formation pour enfants et jeunes, il faut du loisir, du travail, du sanitaire, etc., surtout dans les quartiers populaires.

• La communauté internationale de sa part ne peut rester au seul niveau des fausses promesses, comme cela s’est fait à Washington, La Guyane et Montréal. Rien n’a changé dans la vie des pauvres. A part quelques promesses, quel espoir y a t il pour un aller mieux demain ? Ce n’est pas une bonne base pour construire un avenir. Il faut un changement réel dans la vie des pauvres et misérables.

• Les politiciens doivent changer de méthodes et de mentalité. Ils doivent cesser de rechercher des avantages et du capital politique sur la seule misère d’une nation ; plus le pays va mal, plus on espère de l’avantage en se présentant comme sauveur. Le temps est venu pour que tous se mettent à l’œuvre pour construire et puis pour rejeter tout ce qui est cause de division et de souffrance pour les pauvres.

• A l’approche des élections, la Commission constate avec inquiétude comment la politique veut se mêler aux manifestations de violence dans certaines zones, dans la capitale et ailleurs dans le pays, comme aux Gonaives. Les responsables des partis ont la grande responsabilité de rappeler à leurs partisans le Code éthique pour lequel ils se sont engagés.

Redémarrer le pays sur une autre base

Tout cela devrait permettre au pays de re-démarrer sur une autre base. Le pays a besoin d’un dialogue sincère dans la vérité ; il a besoin de concertation, d’un chita tande ou d’une conférence nationale qui entre bien fond dans les causes sociales de la frustration, la misère et la marginalisation. N’importe le nom qu’on donne au processus, il est incontournable. Quel pays voulons-nous ? Comment combattre la marginalisation ? Tout problème qui ne trouve pas de solution dans un dialogue entre groupes et personnes responsables, restera une source de frustration et de violences futures.

La Commission Justice et Paix demande aux leaders politiques et sociaux de ne pas laisser passer ce moment historique, sans entrer dans un processus de dialogue où ils peuvent discuter de tous les problèmes, où tous peuvent exprimer leur façon de voir la société, sans qu’aucune catégorie sociale ou groupe politique ne se sente marginalisé.

En finir avec le règne de l’impunité. Depuis notre premier rapport, nous le répétons à chaque reprise : la seule façon de combattre la violence et d’empêcher qu’il y ait d’autres victimes, c’est de rendre les coupables responsables de leurs actes. C’est le sens de la lutte contre l’impunité. Après trois ans d’observation, après un changement de gouvernement et beaucoup de promesses, nous constatons que cette lutte reste au même degré. Au contraire, certaines décisions judiciaires, prises à différents niveaux, sembleraient encourager l’impunité.

Vous, autorités, il est de votre devoir d’organiser un Etat qui soit à la hauteur de ses responsabilités. Vous êtes les gardiens du bien commun des citoyens. Nous ne demandons aucune faveur. Nous demandons seulement que ceux qui se trouvent dans une position d’autorité prennent leurs responsabilités.

Pour le Comité Directeur National, sur rapport de la Commission Justice et Paix de l’Archidiocèse de Port-au-Prince.

P. Jean Hanssens
Directeur


[1Document orginal en Créole / Traduction de Justice et Paix.