Débat
Par Pierre-Richard Cajuste [1]
Soumis à AlterPresse le 28 novembre 2005
La moitié de la population du pays, plus de 4 millions d’individus, vit en dessous du seuil de la pauvreté. L’indice du développement est en nette régression. Le taux de croissance démographique est supérieur à celui de la production des biens. Haïti est livré à elle-même sans aucune perspective.
La classe politique n’a pas réussi à se maintenir en phase avec les préoccupations et les attentes de la population. Les politiciens, toutes tendances confondues, n’ont pas su encore présenter, jusqu’à présent, un projet de société cohérent prenant en considération les différents problèmes qu’affronte la nation.
La situation politique haïtienne combine une suite de crises politiques : entre tyrannie et anarchie. Le pays a usé de vingt neuf (29) constitutions, quarante deux (42) Chefs d’Etats sept (7) sont restés au pouvoir plus de dix (10) ans, neuf (9) se sont proclamé président à vie, vingt six (26) ont été ou bien assassinés ou contraints à l’exil. Haïti est devenue dans la zone de l’Amérique, le prototype de l’Etat en faillite, « une entité chaotique ingouvernable ».
Cette suite de crises a constamment maintenu le pays dans une instabilité sociopolitique chronique, empêchant tout progrès socioéconomique tangible. Il n’a jamais existé un vrai plan national de développement, capable de lui permettre de se tirer de ce cauchemar.
« L’économie, imbécile »
Où sont nos leaders ? Haïti est encore une fois à la croisée des chemins. Il faudra mettre de coté la polarisation de la société pour arriver à sauver le pays. Haïti, c’est l’affaire de tout le monde. Aucun secteur ne peut prétendre détenir la recette nécessaire pour faire démarrer la première république indépendante du monde. Les querelles politico-politiciennes ne vont aboutir nulle part. Au contraire.
Il me revient, à la mémoire le débat électoral Clinton/Bush (père). A un moment donné, Bill Clinton avait lancé à l’égard de son compétiteur « It’s the economy, stupid ». On pourrait le paraphraser en disant « C’est l’économie, imbécile ».
La réduction de la pauvreté est devenue l’objectif prioritaire dans le cadre de la coopération internationale pour le développement
La Communauté Internationale, dans son ensemble a révisé systématiquement ses programmes d’aide en faveur des pays pauvres. On est à l’heure de la responsabilité partagée entre le national et l’international. On a comme exemple le pacte du millénaire établi en septembre 2000, le sommet de Doha (à Qatar) en 2001, suivi par la confirmation des engagements des pays riches lors du sommet sur le financement du développement (Monterrey, Mexique mars 2002 et à Johannesburg, Afrique du Sud septembre 2002).
Les programmes de développement ne sont plus déterminés par les donateurs ou imposés par le FMI ou la banque mondiale, mais plutôt formulés et mise en œuvre au niveau national en faisant participer les acteurs et, de manière plus générale, la société civile pour mieux cibler leur priorité dans la lutte contre la pauvreté.. Cette nouvelle approche, dans la plupart des pays les moins avancés comme Haïti, est mise en pratique à travers l’élaboration du document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP)
Haiti et la réduction de la pauvreté
En 2003, le gouvernement d’alors, avait entamé l’élaboration d’un document stratégique de réduction de la pauvreté (DSRP). Des consultations avaient été initiées. Elles ont été interrompues après les évènements du 29 février 2004.
Le gouvernement de transition et la communauté internationale ont pris le relais pour réaliser le “ Cadre de Coopération Intérimaire (CCI)†2004-2006 qui prendra fin en sepembre 2006.
à€ la conférence de Bruxelles 20/21 Octobre 2005 la communauté internationale a envisagé sa prolongation d’une année supplémentaire ce, jusqu’à la fin de l’année 2007. Dans le même temps, le gouvernement intérimaire à manifesté son désir d’entamer le processus d’élaboration du document stratégique de réduction de la pauvreté intérimaire. Il devra être entériné par le prochain gouvernement démocratiquement élu.
Ce document, très important, doit faciliter l’accès a des financements concessionnels des institutions financières internationales dans le cadre de “la facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance†(FRPC), ainsi qu’à l’allègement de la dette dans le cadre du programme pour les pays pauvres les plus endettés (PPTE). La tache finale reviendra au gouvernement élu d’entamer le processus du DSRP final.
Peut on affirmer que le pays est en voie de se doter d’un plan de développement économique ?
Suite à une requête du Ministère haïtien de l’Economie et des Finances, la CEPAL est entrain de préparer une étude sur “les stratégies de développement à long terme en Haiti†. Celle-ci dont les orientations ont déjà été définies serait actuellement en phase de concrétisation avec le support financier de la banque interaméricaine de développement (BID). Parallèlement, le gouvernement intérimaire avait demandé au Conseil Economique et Social de l’ONU de mettre en place un groupe consultatif ad hoc sur Haiti. Cette instance contribuera à l’élaboration d’un programme à long terme en faveur du pays. Réf. Nouvelliste #37263 du 28 au 30 octobre 2005.
On est en face de deux initiatives qui pourraient conduire a un plan national de développement pour Haiti.
1) L’initiative CEPAL, 2) Initiative du groupe consultatif ad hoc de l’ECOSOC. Toutes ces initiatives ajoutées à la contribution interne, peuvent contribuer à l’élaboration du document de réduction de la pauvreté pour Haiti en tenant compte des objectifs du millénaire.
Une stratégie de réduction de la pauvreté liée à une stratégie de développement a long terme. Il n’est pas question de préconiser le remplacement du DSRP par une stratégie nationale de développement à long terme.
Il est important de noter que de nombreux points de vue ont exprimés une certaine réserve quant aux résultats de l’approche DSRP. D’autres concernes ont relevé des carences particulières dans le contenu du DSRP, à savoir : l’absence de stratégie de croissance à long terme ; la faible intégration des projets sectoriels ; l’accent mis sur une meilleure gestion et une répartition favorable aux pauvres des dépenses publiques au détriment de l’investissement privé et de la création d’emplois. Pour plus d’un, il est trop tot pour évaluer les incidences de l’application des DSRP sur la pauvreté.
Pour Haiti, le DSRP peut être un vecteur pour le dialogue National et un plan national consensuel sur le long terme
Ce qui semble intéressant c’est la démarche pour y parvenir. Le caractère inclusif, participatif, pourrait aider à deux niveaux politique et économique, pour ne citer que ceux-la. Comme la Bolivie qui a utilisé le DRSP pour son dialogue national, Haïti pourrait dans un certain sens emprunter cette voie. La mise en oeuvre d’un tel document réclame la participation des différentes composantes de la société c’est-à -dire les pouvoirs publics, les ONG, les Organisations de la Société Civile, les chercheurs, l’église, le secteur privé et les partis politiques. Au niveau Economique, le prochain gouvernement se doterait de projets spécifiques visant a l’avancement de la société haitienne. Il appliquerait les politiques publiques contenues implicitement dans les lignes directrices des plans nationaux. Cela se traduirait par plus de cohérence entre les priorités établies sur le plan de la vision du développement et le choix budgétaire, identifier les problèmes à résoudre à partir des diagnostics réalisés et des moyens nécessaires à leur exécution sur la base d’un concensus national. Ceci permettra aussi d’éviter de prioriser l’humanitaire au détriment du développement durable, une rupture avec la gestion de l’urgence. C’est aussi et surtout un autre forme de partenariat avec la communauté internationale.
Pierre-Richard Cajuste
e-mail:Cajuste2000@yahoo.com
[1] Diplomate, Ancien Délégué d’Haiti a l’ONU