Communiqué de l’organisation Kay Fanm
Soumis à AlterPresse le 25 novembre 2005
A l’occasion du 25 novembre, Journée Internationale contre la Violence envers les Femmes, Kay Fanm veut faire part de ses vives inquiétudes par rapport au phénomène de la violence qui frappe les femmes de tout âge dans le pays. Une situation d’impunité prévaut car, les tribunaux ne sanctionnent pas les auteurs des actes de violence. En conséquence, la liste des victimes s’allonge et les agresseurs continuent à courir sans être le moindrement inquiétés.
De janvier à novembre 2005, Kay Fanm a accueilli 416 victimes de violence, des fillettes, des jeunes filles et des adultes. Deux institutions de santé ont pour leur part enregistré 366 cas de viols. Ainsi, il a été enregistré un total de 782 victimes de violences entraînant des dommages physiques et psychologiques. Parmi ces victimes on dénombre :
138 femmes ayant subies des violences diverses de la part de leur conjoint ; Outre les violences verbales et psychologiques, ces femmes ont été abandonnées sans ressources avec leurs enfants ;
1 femme victime de harcèlement sexuel de la part de son employeur ;
11 femmes très sévèrement maltraitées par leur conjoint ;
6 femmes décédées suites aux violences subies ;
172 femmes victimes de violence physiques entraînant des handicaps divers ;
454 femmes victimes de violence, y compris le viol, de la part de bandits armés ; Ces femmes ont été prises en charge par Kay Fanm et deux institutions de santé.
Ce sombre tableau ne rend pourtant pas compte de l’ensemble des réalités nationales. Hormis une dizaine de cas concernant les provinces, la majorité des cas ici rapportés concernent la région métropolitaine de Port-au-Prince. Ces cas de violence déclarés, sur presque une année, indiquent la gravité du phénomène. Si les tribunaux persistent à tolérer les agresseurs, le pays continuera à sombrer dans le climat de violence qui secoue la société toute entière.
Pour Kay Fanm, l’approche consistant à utiliser la force pour résoudre les problèmes doit être rejetée. Ce modèle ne doit pas être toléré par le système de justice, même si la plupart des responsables sont des hommes. La violence généralisée qui traverse notre société prend racine dans les foyers, à travers les justifications que les hommes se donnent pour violenter les femmes, pour manifester leur pouvoir au sein du foyer et pour contraindre les femmes à se soumettre à leur volonté. Lorsque la violence envers les femmes continue à s’exercer, sans que cela ait l’air de poser problème à la société et sans que la justice s’engage à les sanctionner, les enfants qui sont témoins de cette violence perpétuelle font l’apprentissage de la violence comme mode de résolution des conflits.
Ce n’est pas sans raison que les jeunes bandits prétextent la misère pour justifier leurs forfaits. Le modèle qui prévaut dans notre société voudrait laisser croire que l’argent et la force sont les seuls moyens de résoudre les problèmes. Le dialogue, la négociation, le jugement et la sanction ne sont pas mis en avant comme solution aux conflits. Les tribunaux siègent lorsque les juges sont assurés de bénéficier d’une compensation financière. Ce faisant, les personnes qui ne disposent pas de moyens de payer la justice continuent à être des victimes sans voix. Dans de telles conditions, comment arriver à freiner les effets de la culture de la violence qui s’étend dans notre pays ?
Pour Kay Fanm, la spirale de la violence n’est pas acceptable. Le modèle du « œil pour œil, dent pour dent » conduit à la justice expéditive. Depuis 1996, Kay Fanm accompagne les femmes victimes de violence dans leur quête de justice. Malgré tous les efforts déployés pour faire bouger le système de justice, Kay Fanm n’a pu obtenir que la justice se prononce sur quelques dossiers. Ainsi, au cours de l’année 2005, sur soixante deux (62) dossiers soumis par devant les tribunaux, les résultats suivants ont été obtenus :
10 cas de séparation légale des conjoints-es ;
21 cas d’octroi de pensions alimentaires, et de garde d’enfants
1 cas de sanction pour voies de fait, par devant un tribunal correctionnel ;
30 dossiers de viols pourrissent encore dans les tiroirs des juges d’instruction, en attendant que les agresseurs réunissent les moyens qui leur permettront de payer les juges et de s’en sortir sans être inquiétés.
Face à la montée de la violence, les responsables de la justice doivent établir une politique globale pour barrer la route à la violence contre les femmes. Faire la chasse aux bandits armés pour freiner l’insécurité est nécessaire. Il importe également que les responsables aient le constant souci de sanctionner la violence envers les femmes pour éviter que le pays ne s’enlise dans le cycle infernal de la violence. Ce 25 novembre est une nouvelle occasion pour Kay Fanm d’interpeller la justice sur les dossiers des victimes qui attendent d’être traités. Vu les proportions prises par le phénomène de la violence faite aux femmes, les tribunaux doivent réagir avec beaucoup plus de fermeté pour décourager les violateurs. C’est en sanctionnant les actes de violence à l’encontre des femmes que notre société parviendra à retrouver l’harmonie et l’équilibre nécessaire pour se construire.
La violence engendre la violence. Dialoguons pour pouvoir renverser les déséquilibres qui empêchent le vivre ensemble dans la société !
Port-au-Prince, le 25 novembre 2005
Pour Kay Fanm
Yolette Andrée Jeanty