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Salon du Livre de Montréal

Mémoire d’encrier : entre vision et saine ambition

Par Nancy Roc

Soumis à AlterPresse le 22 novembre 2005

La 28ème édition du Salon du Livre de Montréal a été clôturée le lundi 21 novembre. Cette année, la diversité aura marqué cet événement très prisé. Toutes les générations ont été représentées dans la liste des invités d’honneur du Salon et 82 ans séparaient le plus âgé de la plus jeune invitée d’honneur de cette 28ème édition : l’environnementaliste québécois Pierre Dansereau, 94 ans, et Alexandra Larochelle, 12 ans, auteure d’une trilogie fantastique intitulée Au-delà de l’univers.

Parmi les invités d’honneur étrangers figurait l’écrivain Martiniquais Raphaà« l Confiant, à qui l’on doit Le Nègre et l’Amiral et, plus récemment, Adèle et la Pacotilleuse. D’autres auteurs étrangers étaient également à l’honneur tels que le Savadorien Horacio Castellanos Moya, auteur de La mort d’Olga et du Dégoût ainsi que l’Algérien Mohammed Moulessehoul, qui s’est fait connaître sous le pseudonyme de Yasmina Khadra. L’auteur des Hirondelles de Kaboul, qui arrivait de France, a conservé son nom de plume féminin pour exprimer son admiration profonde pour les femmes algériennes. Il a remporté en 2004, le prix du Polar francophone avec son œuvre intitulée La part du Mort.

Signalons que l’un des livres québécois les plus en vogue cette année et dont on a prédit des ventes spectaculaires est celui du journaliste Michel Vastel. Après s’être penché sur la vie et la carrière des hommes d’Etat, le chroniqueur politique aux quotidiens Le Soleil de Québec et Le Droit d’Ottawa, Michel Vastel, a prêté sa plume à Nathalie Simard pour écrire ce qui s’avère déjà , la biographie la plus attendue de l’année au Canada : Briser le Silence aux Editions Libre Expression.

C’est dans l’espace de son distributeur Dimédia que nous avons retrouvé le Directeur fondateur des Editions Mémoire d’encrier, Rodney Saint-Eloi. Le stand de ce dernier- offrant un choix varié de livres d’auteurs connus et reconnus sur la scène locale et internationale- confirme la vision de son fondateur : nous concilier avec nos parts manquantes, en regardant et en acceptant l’Autre dans sa riche et complexe diversité.

Pour sa quatrième participation au Salon du Livre de Montréal, les Editions Mémoire d’encrier ont prouvé qu’elles se voulaient être une plate-forme éditoriale, ouverte et dynamique où se rencontrent les imaginaires dans l’apprentissage et le respect de la différence.

Dans la série « Nouveautés », les Editions Mémoire d’encrier ont présenté les derniers ouvrages de l’Haïtien Dany Laferrière, Les Années 80 dans ma vieille Ford, de l’Italienne Paola Ghinelli, Archipels littéraires, Entretiens avec Chamoiseau, Condé, Confiant, Brival, Maximin, Laferrière, Pineau, Dalembert, Agnant, du Tunisien Hédi Bouraoui, Transpoétique, Eloge du nomadisme et du romancier Haïtien, Gary Klang, Un Homme seul est toujours en mauvaise compagnie.

Ces auteurs étaient tous présents au kiosque des Editions Mémoire d’encrier ainsi que Raphaà« l Confiant et le poète Joà« l Desrosiers, venus apporter leur soutien aux efforts remarquables déployés par Rodney Saint Eloi. Soulignons, entre autres, celui d’avoir réédité l’ouvrage d’Anténor Firmin, De l’égalité des races humaines, Anthropologie positive avec une présentation de Jean Metellus.

Paru en 1885, cet essai est un plaidoyer en faveur de la race noire et a constitué, à l’époque, une réponse au livre de Arthur de Gobineau, De l’inégalité des races humaines paru en 1884. Aujourd’hui, sa réédition pourra certainement étayer les thèses de ceux qui souhaiteraient répondre aux allégations racistes du Docteur Mailloux qui ont soulevé tant d’indignation le mois dernier à Montréal.

D’autre part, ni la poésie ni la littérature jeunesse n’ont été oubliées. Les Editions Mémoire d’encrier ont présenté au public le dernier ouvrage du poète Haïtien, Patrick Sylvain, Love, Lust and Loss / Lanmou lanvi ak pèdans. Ce poète extraordinaire, que nous avons eu la chance de rencontrer dernièrement à Boston, est d’un talent rare et contribuera certainement à révolutionner la poésie créole. Ses écrits, en créole et en anglais, s’enracinent dans les rythmes nègres : blues, salsa, jazz, rara et, d’une langue à l’autre ‘’nous invite à la joie et au plaisir’’ comme dirait Edwidge Danticat. Dans la catégorie, littérature jeunesse, était présenté l’adaptation d’un conte inuit écrit par Cécile Gagnon, Histoire de la première baleine blanche.

Fondée en mars 2003 à Montréal, par l’écrivain Rodney Saint-Eloi, Mémoire d’encrier s’est donné comme mandat la promotion des auteurs et des œuvres des espaces francophones et migrants. Cette maison d’édition travaille donc à partir d’un corpus de textes d’auteurs québécois, franco-ontarien, antillais, maghrébin, africain, européen, etc. Dans un entretien qu’il nous a accordé, Rodney Saint-Eloi souhaite que Mémoire d’encrier puisse conserver sa vision globale et ouverte au monde. Une vision qui permet de promouvoir ce qu’il appelle la littérature « migrante », un nouveau genre au Québec.

« Dans ces sociétés nouvelles, le migrant est classé comme minorité visible mais il ne l’est que sur le trottoir. A partir du travail que nous avons effectué, nous espérons offrir une autre dimension au migrant notamment dans les librairies. Ce qui est important c’est de projeter de la lumière sur une production qui était dans l’ombre et, dans ce sens, j’aime dire que Mémoire d’encrier est hors mode et hors temps. La littérature est une aventure et si l’on n’ose pas, on peut être dans tout sauf dans la littérature », a-t-il déclaré.

Rodney Saint-Eloy est un passionné de littérature et il communique bien sa passion à son public. Ainsi, il réactive des textes oubliés ou mentionnés comme référence littéraire sans avoir été lus. En ce sens, la réédition de l’œuvre d’Anténor firmin, De l’égalité des races humaines, Anthropologie positive, est un exemple concret de la vision dynamique de cet éditeur. Il sait comment choisir des textes fondamentaux de la littérature haïtienne et les insérer dans le patrimoine mondial littéraire en ayant l’ambition saine d’enrichir ce dernier. Il ose et nous lui en sommes grée.

Cette année, le catalogue de Mémoire d’encrier est un exemple exceptionnel du croisement des imaginaires francophones préalablement mentionnés. Quant à certains de ses détracteurs qui pensent qu’il devrait prioriser uniquement des œuvres haïtiennes, Rodney Saint-Eloy assume courageusement ses choix : « Je ne suis pas dans l’ethnique. Je vis à Montréal, dans une ville inter réactionnelle au monde. Je ne publie pas des Haïtiens parce qu’ils sont Haïtiens, je publie des œuvres. J’ai peur de la question ethnique car souvent, à travers celle-ci, on vous marginalise. Notre préoccupation est certes d’abord haïtienne mais elle est aussi dirigée vers le monde. Je me méfie de l’ethnicité car, cette dernière, au lieu d’agrandir les êtres, les amoindrit. »

Nancy Roc, Montréal le 22 novembre 2005.
Contact : rocprodz@yahoo.fr