Par le Groupe d’Appui aux Rapatriés et Réfugiés (GARR) et le Centre Pont Haiti
Soumis à AlterPresse le 21 novembre 2005
12 novembre 1975 - 12 novembre 2005 : Cela fait déjà trente ans depuis que le prêtre belge, Pierre Ruquoy (Pedro RUQUOY), a fait sienne la cause des laissés-pour compte en République Dominicaine, particulièrement celle des immigrants-antes haïtiens et de leurs descendants. En raison de son engagement inébranlable, malgré les menaces et difficultés rencontrées, le père Ruquoy, de son prénom familier, Pedro, reste pour Haïti, un grand symbole de solidarité, un artisan de Justice et de Respect mutuel. [1]
Pedro : Défenseur de la liberté d’expression, de la liberté de la presse et du droit du peuple haïtien à l’information
L’un des gestes magnanimes de solidarité du prêtre à l’endroit du peuple haïtien fut pendant la période du Coup d’Etat militaire de Cédras/Michel François. Directeur à l’époque de Radio Enriquillo, à Tamayo (au Sud de la République Dominicaine), Pedro avait à ce moment déployé d’intenses efforts pour que la population haïtienne eût accès au maximum d’informations en Créole sur l’actualité de leur pays, alors que les militaires putschistes s’activaient à censurer la Presse. Lorsque le gouvernement de Balaguer interdit le programme, Pedro s’est mis à chanter les nouvelles pour tenir le peuple haïtien informé de ce qui se passait.
En 1994, le père Pedro Ruquoy a fondé le Sant Pon/Centro Puente, une organisation représentée à la fois en Haïti et en République Dominicaine. Le centre s’est donné pour mission de réaliser une série d’activités devant contribuer à un changement des mentalités dans les deux pays, à une rupture des sentiments anti-haïtien et anti-dominicain, ainsi qu’à l’établissement de relations de bon voisinage axées sur la justice et l’amour.
Plus tard, on retrouvera la voix familière de Pedro sur l’antenne de Radio Haïti Inter, dans des reportages sur le quotidien des immigrants-ants haïtiens ou sur les grands évènements de la vie socio-politique dominicaine. Il a prêté ses talents de journaliste à plusieurs médias, au nombre desquels le Listin Diario, El Siglo, Diario Nuevo, El Amigo Del Hogar, Radio Enriquillo, ainsi que le Réseau radiophonique de l’Eglise Catholique dominicaine (UDECA).
A travers tous ses écrits, dans les divers espaces d’information où il a évolué, Pedro s’est toujours évertué à faire connaître au peuple dominicain, la réalité des bateys. On ne compte plus ses interventions à la télévision ou aux micros de journalistes étrangers sur la situation des immigrants-es haïtiens et sur l’urgente nécessité pour les deux peuples voisins de rompre les barrières qui les empêchent de vivre ensemble.
Pedro a participé activement à l’effort de mise en place des radios communautaires en Haïti, par la réalisation, à l’intention de leur personnel, de nombreux séminaires de formation tant sur place qu’en République Dominicaine. Il a mis à profit sa connaissance des trois langues de l’île : le Créole, le Français et l’Espagnol, de l’histoire des deux pays, ainsi que ses talents d’écriture, pour mener à bien la révision de plusieurs projets de publications sur le thème migratoire.
Pedro : un chrétien farouchement opposé au trafic de personnes à la frontière Année après année, le père Pedro Ruquoy acquit la conviction que le recrutement incessant des braceros haïtiens à la frontière méritait une investigation plus approfondie. Ainsi, en 2002, en collaboration avec le GARR, il entreprit une enquête sur l’organisation de ce trafic malhonnête. Grâce aux témoignages recueillis auprès de plus de 800 braceros haïtiens, l’enquête put révéler l’étroite complicité, des deux côtés de la frontière, entre les passeurs (les boukons), les policiers haïtiens, les militaires et patrons d’usine dominicains pour faciliter la traversée de pauvres haïtiens vers des lieux d’embauche, pour un salaire de misère et dans des conditions attentatoires à la dignité humaine.
Sur la base des informations recueillies et publiées dans le livre titré « Sur les traces des Braceros », Pedro a produit plusieurs documentaires sur le sujet du Trafic et de la Traite de personnes et a organisé de nombreux rapatriements volontaires, en particulier de mineurs haïtiens, tombés dans les griffes des boukonns. Depuis lors, sa résidence au cœur même du batey 5, s’était transformée en un véritable centre d’accueil où les victimes du trafic et de la traite pouvaient se rendre pour souffler un peu. Pedro fut celui qui, pour la première fois, a traîné devant les tribunaux dominicains, un trafiquant qui avait abusé de la bonne foi de 3 jeunes haïtiens originaires de Port-au-Prince, pour les abandonner, après la traversée, dans les montagnes du sud.
Pedro, défenseur des droits des Haïtiens et de leurs descendants en République Dominicaine
Pedro n’a jamais cessé de travailler pour que la voix des descendants d’immigrants haïtiens puissent trouver un écho dans la société dominicaine. C’est ainsi qu’il a aidé divers bateys de la zone Sud de Barahona à s’organiser pour la défense de leurs intérêts. Il a fortement contribué à la création de la Plataforma VIDA, une plateforme fonctionnant sous le leadership de Dominicains d’origine haitienne qui réalise diverses activités socio-culturelles et éducatives dans les bateys.
Durant ces 5 dernières années, Pedro a contribué à la réalisation d’affiches, la tenue de séminaires et conférences dans le cadre des activités annuelles du Mouvement des Femmes Dominico-Haïtiennes, (MUDHA) pour réclamer le droit à un nom et à une nationalité pour les descendants-antes d’Haïtiens nés sur le territoire dominicain.
L’une des actions éloquentes de Pedro qui restera encore longtemps gravée dans nos mémoires, et qui sera source de gros ennuis pour le prêtre, fut sa présence aux côtés de Sonia Pierre, coordonnatrice de MUDHA, devant la Cour Interaméricaine des Droits Humains, quand pour la première fois, la cause des immigrants-antes haïtiens, était débattue par-devant cette instance internationale. Récemment encore, au mois de septembre 2005, quand un groupe armé de Barranca, s’était mis à agresser des Haïtiens et Haitiennes de la zone, Pedro fut le seul à avoir mis à l’abri au presbytère, une vingtaine des victimes, pour la plupart des enfants en bas âge et des femmes. L’une d’entre elles a accouché quelques jours plus tard.
Pedro, un bon berger qui n’abandonne jamais son troupeau
En dépit de cet écrasant labeur social, Pedro a toujours assumé ses responsabilités en tant que curé d’ une grande paroisse comportant plus de 15 bateys. Il trouve toujours le temps de célébrer la messe dans tous les bateys, de visiter les malades et les braceros nouvellement arrivés qui ne connaissent personne. Nous n’avions jamais pu comprendre d’où il puisait ce courage pour parcourir chaque dimanche, plusieurs dizaines de kilomètres, afin de se rendre dans les mornes et célébrer la messe au sein de communautés haïtiennes reculées, que personne ne visite. C’est toujours, un vrai plaisir pour lui d’offrir le service religieux en Créole aux travailleurs agricoles haïtiens employés dans la cueillette du café et des oranges dans les montagnes de Bahoruco.
Pedro, un symbole de solidarité Dès que se pose un problème en Haïti, Pedro est parmi les premiers à qui l’on peut s’adresser pour trouver de l’aide. Nous ne saurions chiffrer le nombre de personnes en danger qu’il a su aider, que ce soit au moment du coup d’Etat militaire de 1991, que ce soit avant la chute d’Aristide en 2003 ou après son départ, en 2004. Sa maison était toujours celle où les réfugiés-es en quête de sécurité ou de répit pouvaient se rendre sans problème, pour se reposer et reprendre espoir.
L’un des moments où Pedro a particulièrement manifesté son sens de solidarité vis-à -vis du peuple haïtien souffrant, fut après les inondations survenues en mai 2004 à Mapou, Fond-Verrettes et Jimani. Quand il a découvert l’ampleur de la catastrophe chez les communautés frontalières, le nombre de familles des bateys touchées par les décès de proches en Haïti, il a décidé d’agir tout de suite. Alors qu’il n’y avait encore pas de route d’accès pour atteindre Mapou, et en dépit de son pied malade, Pedro s’était frayé un chemin à travers bois et a pris un petit canot de fortune pour naviguer jusqu’à Mapou et monter à dos d’âne pour atteindre Fond-Verretes, dès la première semaine de la catastrophe. Pendant 3 mois d’affilée, il a traversé la frontière, chaque semaine, avec une délégation des bateys, pour aller apporter nourriture, vêtements et réconfort aux sinistrés- es d’un quartier de Mapou.
Parallèlement, de concert avec MUDHA, il a fourni un accompagnement assidu à une trentaine de familles haïtiennes qui avaient perdu leurs proches et leurs habitations à Jimani et qui ont dû vivre pendant plus de 3 mois dans un refuge affecté aux haitiens-nes sinistré-es. Quand il a remarqué que les autorités envisageaient de déporter vers Haïti ces gens, nées pour la plupart sur le territoire dominicain, Pedro a frappé à plusieurs portes et a pu trouver le financement nécessaire à la construction d’une vingtaine de maisonnettes pour abriter dans sa zone de travail les familles sinistrées. Plusieurs enfants, descendants d’Haïtiens qui ont perdu leurs parents dans les inondations de Jimani, sont encore sous la responsabilité du prêtre, car ils n’ont plus personne.
Pedro n’a pas seulement accompagné les Haïtiens mais aussi des Dominicains pauvres. Pendant longtemps, il a travaillé avec les paysans sans terre qui réclamaient l’accès à un lopin de terre pour leur auto-suffisance alimentaire. En outre, il a activement soutenu ceux-là dont les petites bananeraies avaient été rasées sans ménagement par la Direction de l’usine sucrière de Barahona. Lors de diverses marches de protestations et jusque devant les tribunaux, Pedro était toujours présent aux côtés de ces paysans pour faire respecter leur droit à la terre.
En raison de cet engagement intense et permanent, le père Pedro Ruquoy a été l’objet de menaces constantes et de persécutions sous diverses formes. Début 2005, ces persécutions ont pris une tournure plus violentes, sous l’instigation du secteur ultra-nationaliste dominicain. Au cours des six derniers mois, Pedro a été l’objet de menaces de mort, son église a été lapidée en pleine célébration eucharistique. Une campagne de diffamation de grande envergue, soutenue par certains médias a été orchestrée contre lui. Il est accusé d’avoir participé à une campagne internationale de diffamation pour faire croire que la République Dominicaine serait en train de maltraiter des Haïtiens-nes. Ce secteur va jusqu’à réclamer son départ de la République Dominicaine.
A l’occasion de ce trentenaire d’engagement du père Pedro Ruquoy en faveur du peuple haïtien, ici et ailleurs, le GARR et SANT PON AYITI saluent son courage. Nous l’en remercions vivement et lui sommes reconnaissants de l’immensité du travail accompli au bénéfice des compatriotes haïtiens-haïtiennes, particulièrement des plus pauvres.
Nous profitons de l’occasion pour inviter toute personne intéressée à associer son nom à cet hommage au Père Pedro Ruquoy de passer au local du GARR ou de SANT PON AYITI pour apposer leur signature dans un registre à cet effet. Le registre restera ouvert jusqu’ au début du mois de décembre et sera transmis au père Pedro Ruquoy, le 18 décembre 2005, Jour International de Solidarité avec les Migrants.
Adresses pour la signature du registre :
- GARR, 13 - 1ere ruelle Rivière
- ou SANT PON AYITI, 33 rue Charles Sumner, ancien local d’ Info-Services, à côté de l’ OAVCT.
[1] NDLR : Le secrétaire d’Etat de l’intérieur et de la police, Franklin Almeyda Rancier, a révélé le 17 novembre que le père Pedro Ruquoy a laissé la République Dominicaine pour la Belgique, son pays d’origine. Voir plus de détails.