Español English French Kwéyol

Tunisie - SMSI

Médias prospères, journalisme en galère

Par Fethi Djebali

Courtoisie de Syfia International [1]

(Syfia Tunisie) Alors que le Sommet mondial sur la société de l’information bat son plein, médias et journalistes tunisiens étouffent toujours sous le rouleau compresseur du pouvoir.

Information médiocre, presse qui prêche un journalisme frileux, journalistes qui écrivent du bout des doigts : depuis les années 80, c’est le statu quo en Tunisie. "Lire un ou dix journaux revient au même !", ironisent les Tunisiens, malgré les apparences de pays moderne.

Depuis 2 ans, Sommet de l’information oblige, l’audiovisuel a été ouvert à l’initiative privée. Sur les ondes radio, Mosaïque FM a fait son apparition en 2003 et accapare aujourd’hui 57 % de l’audience tandis qu’en télé, depuis février 2005, Canal 7 n’a plus le monopole du public tunisien. Hannibal TV, petite chaîne lancée par des capitaux privés, a fait son entrée dans le paysage médiatique. Pour autant, Canal 7 a gardé le monopole des ondes : elle est la seule à diffuser sur le réseau hertzien. La nouvelle chaîne n’est accessible que par antenne parabolique, dont seulement la moitié des foyers sont équipés. Arbi Nosra, le directeur d’Hannibal TV, dénonce une attitude tendancieuse à l’égard de sa chaîne en matière d’accès à l’information, notamment pour le sport, seule rubrique capable d’attirer des spectateurs en l’absence d’un élan de liberté sur les autres sujets.

Côté presse écrite, le tableau reste inchangé. Le groupe Dar El Anouar (4 journaux dont deux quotidiens), Dar Essabah (3 journaux dont deux quotidiens), la presse people ou le magazine Réalité (information politique pour l’intelligentsia tunisienne) se partagent la mosaïque.

Lignes rouges

Malgré les différences de politique éditoriale, la presse tunisienne respecte les mêmes lignes rouges : critiques du gouvernement et discours des leaders de l’opposition sont bannis. L’activité présidentielle et la photo du Président Ben Ali doivent figurer à la une des quotidiens ; aucune tribune ne doit être accordée à des figures de l’opposition, de la société civile ou à des militants des droits de l’Homme. Cette situation explique le peu de développement de la presse écrite. Les nouveaux titres se comptent sur les doigts de la main, et le lecteur se fait rare.

Selon un rapport du cabinet spécialisé dans l’audience des médias, Sigma Conseil, les Tunisiens ont "les pieds en Tunisie, le cœur en Orient et la tête en Occident". Tout en considérant la presse nationale comme une fatalité, ils se tournent vers les chaînes et les médias orientaux et occidentaux. "Dans la presse nationale, l’information est médiocre et noyée dans la publicité, donc je ne la lis plus", confie un universitaire. Mais comment reconquérir l’estime du public quand le pouvoir garde la main sur le levier de la publicité ? L’Agence de la communication extérieure (ATCE), chargée de distribuer la publicité publique aux médias, actionne ce levier pour effectuer un rappel à l’ordre.

Logé dans une petite pièce d’un immeuble insalubre de la capitale, El Maoukef (la position) est le seul journal à périodicité régulière qui véhicule une information de qualité sur 8 pages. Initialement publié comme porte-parole d’un parti d’opposition, le Parti Démocratique Progressiste, le journal se veut aujourd’hui indépendant et ouvert à toutes les forces politiques. Pour cela, il paie un lourd tribut : ses pages n’arborent aucune publicité. "Malgré des difficultés dans la distribution, nos ventes augmentent", confie néanmoins Mohammed Fourati, son secrétaire de rédaction. El Maoukef est vendu 500 millimes (0,20 dollar), un peu plus que la majorité des journaux afin qu’il puisse effectuer un retour sur investissement.

Silence ou exil

En prévision du Sommet mondial sur la société de l’information, la ligne Internet d’El Maoukef a été coupée en octobre. Mohammed Fourati se résigne donc à envoyer ses articles à partir d’un cybercafé. Une autre victime des foudres du pouvoir est Lotfi Hajji, correspondant de la chaîne Al Jazeera à Tunis, en grève de la faim depuis le 10 octobre avec sept figures de la société civile. Lotfi Hajji est président du syndicat national des journalistes, interdit par le pouvoir. Son syndicat est la seule alternative à l’Association des Journalistes Tunisiens, suspendue par la Fédération internationale des journalistes (FIJ) pour avoir ironiquement décerné en décembre 2003 la "Plume d’Or", son prix pour la liberté de la presse, au Président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali. Près de 160 journalistes en sont devenus membres, et ont été rapidement soumis aux pressions du pouvoir.

L’ATCE refuse toujours d’accréditer Lotfi Hajji à Tunis et la Poste lui a remis l’enveloppe vide qui devait contenir une carte de presse envoyée par sa chaîne. Il n’est pas le seul à payer le prix de son indépendance. Slim Bou khdir, correspondant à Tunis du site web de la chaîne Al Arabia, a été licencié en 2003 de son journal pour avoir critiqué certains abus de pouvoir lors d’un point de presse. Hédi Yahmed, aujourd’hui en exil à Paris, a lui aussi dû quitter le pays suite à un papier jugé critique sur les prisons tunisiennes en 2002. En attendant des jours meilleurs.