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HaitiWebdo numéro 62

Élections : petits pas dans une ambiance de double scepticisme

Des pas ont été effectués ces derniers jours dans le processus électoral haïtien. Mais les progrès apparents ne parviennent pas (encore) à dissoudre toutes sortes de scepticismes. Or la réussite de ces élections, entre autres, déterminera celle de la transition.

1] ELECTIONS : PETITS PAS DANS UNE AMBIANCE DE DOUBLE SCEPTICISME

Par Gotson Pierre

Plusieurs événements ont marqué ces derniers jours le processus électoral haïtien qui ne parvient toujours pas à inspirer l’assurance quant à son aboutissement avant la fin de l’année.

La démission en bloc le 7 novembre du Comité d’Appui au Conseil Electoral Provisoire (CEP) a ajouté aux préoccupations qui étaient déjà observées par rapport à l’incertitude qui caractérise le processus électoral.

Arguant qu’il n’a pas trouvé l’appui nécessaire auprès du gouvernement, le comité a claqué la porte. L’ironie c’est qu’en plus des 2 membres du Conseil des Sages et des 2 membres du CEP qu’il comptait en son sein, cette structure, mise en place par l’exécutif le 13 octobre, intégrait également 2 ministres.

Le président du CEP, Max Mathurin, a exprimé ses regrets et le gouvernement n’a pas réagi. On ignore à quel point cette démission pourrait affecter les opérations à venir, alors que l’institution électorale faisait preuve de faiblesses, maintes fois soulignées.

On remarque cependant qu’un pas significatif a été franchi le 9 novembre avec la validation du dossier des centres de votes pour le prochain scrutin. 8,883 bureaux de votes seront répartis à travers le pays le jour des élections. Ils seront concentrés dans 809 centres.

Cependant, deux décisions majeures, l’établissement d’un calendrier électoral et la publication de la liste définitive des candidats à la présidence, se font encore attendre.

Le nombre des candidats habilités à poursuivre leur campagne pourrait ne pas dépasser 36. La commission d’Etat d’évaluation de la nationalité des prétendants au fauteuil présidentiel a établi que les candidats Dumarsais Siméus et Samir Mourra sont de nationalité américaine.

Parallèlement la campagne électorale se poursuit et le débat public est de plus en plus centré sur les perspectives de la réalisation du scrutin.

Toutefois, certains secteurs manifestent peu d’intérêt au sujet des prochaines élections qui ont lieu dans un contexte qualifié d’ « occupation ». Pour eux, il est très improbable que les prochaines élections aboutissent à un avancement réel de la démocratie et à l’amélioration des conditions de vie des populations défavorisées.

Le 3 novembre dernier, durant le 3ème sommet des peuples à Mar del Plata (Argentine), le directeur général de l’Institut Culturel Karl Lévêque (ICKL), Marc Arthur Fils-Aimé, a dénoncé la situation d’Haiti, à la veille d’élections sous « occupation militaire » étrangère.

Ce qu’il faut à Haïti est « la véritable indépendance » avec un gouvernement qui exerce le pouvoir en fonction des revendications des citoyens, « sans contrainte visible ou invisible des Etats-Unis », a martelé Marc Arthur Fils-Aimé. Il a pointé du doigt l’implication présumée des Etats-Unis dans la préparation des prochaines élections.

Sylvain Jean, dirigeant de l’organisation paysanne Tèt Kole Ti Peyizan (Union des Petits Paysans) estime que « nous devrions réfléchir, d’abord, sur l’occupation déguisée de notre pays pour voir comment nous pouvons trouver des consensus permettant à notre chère Haïti de reprendre ses rails ».

L’issue des prochaines élections, aura-t-elle un impact positif sur les revendications populaires, s’interroge Jean.

2] TRANSITION MANQUEE

La Fédération Internationale des Ligues des Droits de I’Homme (FIDH) dresse un bilan accablant de la période de transition politique en Haiti, suite à la chute de l’ex président Jean Bertrand Aristide.

Dans un rapport rendu public cette semaine, la FIDH estime que « le gouvernement de transition n’a pas été en mesure de répondre aux multiples défis posées par une société haïtienne meurtrie par des décennies de graves et systématiques violations des droits de l’homme, appauvrie, fracturée socialement et au sein de laquelle tous les services de l’Etat sont en situation de total délabrement ».

Durant cette transition, « le pays semble toujours à la dérive et au bord du chaos social. L’insécurité reste généralisée, l’impunité est patente, la corruption est généralisée, 60 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, la décentralisation est restée lettre morte », lit-on dans le document de la FIDH.

L’organisme international avance que « la tenue des élections dans les délais initiaux pose des problèmes structurels qui seront difficiles à surmonter pour aboutir à des élections libres et pluralistes, d’autant qu’elles vont se dérouler dans un contexte d’insécurité majeure ».

La Fédération déclare remarquer que « la mise sur pied d’une réflexion nationale pour un nouveau contrat social reste dans une large mesure une coquille vide, tout comme la question du désarmement qui dans les faits demeure extrêmement limité ».

La FIDH affirme qu’il n’y a eu aucune avancée en matière de la professionnalisation de la Police Nationale d’Haïti. Les enquêtes sur les violations des droits de l’Homme et le respect des droits fondamentaux ne progressent pas, ajoute-t-elle.

« Les violations des droits de l’homme continuent d’être le fait d’une police, dont les membres responsables de violations des droits de l’homme n’ont pas été mis à pied mais aussi et surtout résultent des acteurs multiformes à l’origine d’une insécurité galopante », précise l’organisme international.

Selon la FIDH, les groupes de partisans armés de l’ancien régime lavalas sont toujours actifs tout comme les anciens militaires et les groupes mafieux en quête de pouvoir. La lutte contre l’impunité est très largement insuffisante et ne répond pas aux espoirs et aux besoins de justice du peuple haïtien.

A titre d’exemple, elle cite le projet de décret d’amnistie générale envisagé en septembre 2005 par le gouvernement intérimaire et la libération spectaculaire du paramilitaire Louis Jodel Chamblain, un mois auparavant.

Pour la FIDH, les interventions de la communauté internationale n’ont pas empêché la situation politique, économique et sociale de se dégrader. L’organisme dresse, en ce sens, un bilan mitigé des activités menées par les forces onusiennes, qui avaient pour mission de rétablir la sécurité et préparer les élections.

Dans ces recommandations, la FIDH exige des réformes nécessaires à l’établissement de l’Etat de droit et au respect des libertés publiques et individuelles en Haïti.