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Elena ou l’histoire d’une ambassadrice de la culture haïtienne en Espagne

Par Gary Olius [1]

Soumis à AlterPresse le 29 octobre 2005

En Europe comme un peu partout dans le monde la majorité des gens n’ont d’Haïti que l’image d’un chaos, un espace de désordre où tout ce qui est positif a du mal à subsister. Ici en Espagne, les immigrés comme les natifs ont du mal à croire qu’en Haïti il y a des maisons décentes et confortables, que l’Internet existe et qu’il y a des endroits où l’on peut circuler sans crainte de se faire flinguer par des bandits.

Cette réalité est le fruit d’une campagne de dénigrement menée tambours battant par la presse nord-américaine et française. On ignore les vraies raisons qui motivent cette démarche, mais les résultats sont là pour témoigner des tords que cette campagne a causé au pays.

Aux yeux de quelqu’un qui a entendu parler d’Haïti uniquement par le truchement des images diffusées sur les ondes des chaînes de télévision comme CNN, BBC, ABC ou TF1, un haïtien rencontré en terre étrangère est un miraculé, un rescapé de l’enfer ou un ressortissant d’un lieu où des êtres inférieurs s’entre-déchirent pour des peaux de bananes.

Pourtant, contre toute attente, c’est au cœur de l’Europe qu’Elena, native de l’Espagne, se prête comme relais de diffusion de la culture haïtienne. Comme tout écolier de son pays, en étudiant l’histoire elle a sans doute pris connaissance d’une île baptisée Hispaniola (petite Espagne) par Christophe colomb. Mais, c’est à la faveur d’une série de reportages préparée par son père, alors journaliste d’une chaîne de télévision espagnole, qu’elle commença à se faire des idées plus précises sur ce pays.

Nous sommes au moment du grand soulèvement contre le régime des Duvalier, la presse étrangère inonde le monde d’images négatives sur Haïti. Certes, ce ne sont pas des images inventées, mais les reportages effectués sont charpentés d’une façon telle qu’un spectateur non averti peut penser que dans le pays il n’y a que ça : des Tontons makout qui sèment la terreur, des exécutions sommaires d’opposants au régime à Fort Dimanche et, un peu plus tard, des duvaliéristes qu’on brûlent vifs.

Sur les chaînes de télévision susmentionnées, le vodou aussi a été dépouillé systématiquement de son contenu religieux pour être présenté comme le summum de la sorcellerie diabolique.

De fait, de 1986 à nos jours, Haïti a connu beaucoup d’événements malheureux, les médias occidentaux les utilisent pour clouer le pays et son peuple au pilori. Elena, nous a fait savoir qu’elle avait du mal à se représenter un pays tout aussi monstrueux. Elle n’arrêtait pas d’interroger son père qui, en dépit de tout ce qui disait, effectuait régulièrement des voyages en Haïti et, à chaque retour, amenait des souvenirs à la maison.

Des tableaux de nos peintres et des produits artisanaux très typiques de notre terroir constituent une part importante du décors de la maison dans laquelle elle vit (avec on père), sans compter des disques de nos talentueux musiciens d’antan. Et, sans pouvoir côtoyer des haïtiens, Elena vivait dans un espace garnit d’objets provenant de l’univers culturel Haïti.

Le hasard a voulu qu’elle devint Sociologue. Et, dans l’université qu’elle fréquentait, elle a eu comme condisciple un prêtre haïtien. C’était l’occasion pour elle de faire connaissance plus amplement avec ce pays mystérieux qu’est Haïti. Elle a appris pas mal de choses et, au fur et à mesure, sa soif de connaître mieux le pays grandit.

Le séjour d’études du prêtre ayant pris fin, il a vite fait de plier bagages et de retourner au bercail. Mais, il a laissé en Espagne une chose d’une valeur inestimable : « elle a inculqué à la jeune fille l’envie d’approfondir le mystère qu’est AyitiToma ». Voulant étancher sa soif, Elena a conçu un projet de thèse de troisième cycle sur le rituel vodou. Elle s’est rendue en Haïti et y est restée pendant deux bonnes années...Elle a même eu l’opportunité d’élaborer, de concert avec le prêtre, un projet au profit des habitants de Casale.

De retour dans sa terre natale, c’était comme si elle a été investie d’une mission. A la rigueur, on pourrait même dire qu’elle a fait siennes ces paroles du prophète Isaïe : « Ce fut dans mes os comme un feu brûlant et je m’épuisais à le contenir... ». Le désir de diffuser tout ce qu’elle a appris d’Haïti l’envahit. Elle met place tout un réseau (humain) de diffusion composé d’Haïtiens qu’elle a littéralement tiré de l’anonymat et d’espagnol(e)s qu’elle a initiés à la pratique de la danse KonpaDirèk.

Jusqu’à présent, elle s’organise pour se procurer de tous les derniers hits qui sont en rotation dans le monde musical haïtien. Sa discothèque personnelle est faite quasi-exclusivement de musique haïtienne, toutes tendances confondues : Konpa, Troubadou, Racine etc. Elle transforme sa voiture et sa maison comme tribune pour faire la promotion de cette musique qu’elle juge entraînante, envoûtante et ...riquà­ssima. On dirait que personne ne peut venir chez elle ni monter dans sa berline s’il n’est pas prêt à écouter du bon konpa et entendre parler de la force ou de la richesse de la culture haïtienne. Avec elle, les haitianophobes ont la vie dure en Espagne car elle fait tout pour les porter à voir Haïti sous un autre angle.

On ignore comment se sentira Elena le jour ou un groupe comme Zin, Zenglen, T-Vice ect... viendra offrir une « prestation live » à Madrid. Elle mène à présent une campagne acharnée auprès des jeunes de sa localité, de l’institution dans laquelle elle travaille et auprès de ses ami(e)s afin de les aider à prendre goût dans le Konpa. Elle organise périodiquement de petites soirées, avec le support de certains compatriotes qui étudient Espagne.

Il y a moins d’une semaine, nous avons été témoin du fruit de son travail. Nous avons été invité Chez Jean Claude (un compatriote) à une surprise-partie et nous avons eu du mal à croire à ce que nous avions constaté. Pendant six (6) heures, des Espagnol(e)s et même une étudiante colombienne « mataient » le compas et les pas qu’ils effectuaient n’avaient absolument rien à envier à ceux des maniaques du Konpa en Haïti. Nous sommes resté pantois pendant un bon bout de temps.

Notre conclusion est que, du train où vont les choses, les groupes musicaux et les troupes culturelles d’Haïti ne tarderont pas à récolter les fruits de cet excellent travail qu’Elena est en train d’effectuer. Et, du reste, elle nous donne le droit de penser que tôt ou tard le konpa gagnera une part de marché non négligeable en Espagne et elle nous fait croire aussi qu’en mettant en avant la pluralité de notre culture nous pourrons laver tous les affronts que certains pays nantis du monde occidental nous ont causés. Amen... !


[1Doctorant en Gouvernement et Administration publique
golius@excite.com