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30 octobre, journée internationale des prisonniers

Haiti : Le RNDDH tire la sonnette d’alarme sur la situation générale des prisons

Extraits d’un rapport du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) à l’occasion de la journée internationale des prisonniers le 30 octobre 2005

Soumis à AlterPresse le 28 octobre 2005

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Ce 30 octobre 2005 ramène le cinquantième anniversaire de la Journée Internationale des Prisonniers. Le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), cette année encore et en raison de la dégradation des conditions carcérales, se fait le devoir de commémorer cette journée par la réalisation de plusieurs activités dans certaines prisons du pays autour du credo : « Sante se pi gwo richès yon moun ka genyen, prisonye se moun ann pote kole pou yo ka jwenn Dwa sa a. »

Situation generale des centres de detention

Les prisons civiles du pays ne sont, en général, que d’anciens lieux de répression des Forces Armées D’Haïti (FAD’H) convertis en centres de détention à partir de 1995. Elles ne répondent point aux exigences actuelles de l’espace prison dans une société démocratique.

Depuis les événements ayant conduit au départ du Président Jean Bertrand Aristide, le 29 février 2004, sur les vingt-et-un (21) centres de détention du pays, dix-sept (17) seulement fonctionnent et ce, dans des conditions difficiles, en dépit des efforts réalisés par la Direction de l’Administration Pénitentiaire (DAP). Cette précarité touche divers aspects :

Aspect physique des batiments

Les murs d’enceinte de certaines prisons ne sont pas sécuritaires, les toitures sont trouées. Les moyens de transport et matériels de fonctionnement tels que chaises, classeurs métalliques, papiers et accessoires, ayant été emportés lors des événements du 29 février 2004, sont quasi inexistants. Les prisons sont dépourvues d’électricité, de moyens de communication, de bâtons, de menottes, de boucliers, de gaz lacrymogène etc. Les prisonniers, dans leur grande majorité, se couchent à même le sol en raison du nombre insuffisant de lits et de matelas.

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Aspect sanitaire

D’une manière générale, les conditions hygiéniques et sanitaires des cellules sont déplorables et insalubres. Les cellules, surchargées, sont mal aérées et mal éclairées. Les toilettes sont insuffisantes et ne sont pas bien équipées, ce qui entretient dans les cellules une odeur nauséabonde et développe chez certains détenus des maladies telles que grattelles, démangeaisons, etc. Un détenu peut passer deux à trois jours sans se laver à cause de la carence en eau. Citons entre autres les détenus des prisons de l’Anse à veau, de Hinche. Cette eau, quand il y en a, n’est souvent pas propre, contrairement aux dispositions de l’article 26, Titre II, chapitre 1er des Règlements Internes des Etablissements Pénitentiaires qui stipulent : « L’accès à l’eau potable autant qu’elle est nécessaire est garanti à tous les détenus ».

Aspect alimentaire

Les responsables de certains centres de détention se plaignent du fait qu’un quota fixe de provisions est prévu alors que la population carcérale est en extension. Telle est la situation dans certaines prisons des villes de province particulièrement celle de Fort-Liberté. Pour transférer les provisions d’un département à un autre, le seul recours des responsables de ces centres est le transport en commun. En conséquence, le stock n’est pas toujours délivré à temps et les prisonniers en souffrent.

Les prisonniers se plaignent de la qualité douteuse de la nourriture qui leur est offerte et du caractère monotone du menu élaboré par la DAP depuis maintenant des années. Le menu n’est pas toujours respecté, ainsi que la ration alimentaire (2 repas par jour). C’est le cas des détenus de la prison civile des Cayes, de Jérémie et de Mirebalais.

Aspect juridique

Sur trois mille trois cent quatre-vingt-sept (3387) détenus, trois cent soixante-douze (372) seulement sont condamnés. 89 % de la population carcérale sont en attente de jugement. Les condamnés et les détenus partagent les mêmes cellules ce, en violation flagrante de l’article 85-1 des Règles Minima pour le Traitement des Détenus qui stipule : « les prévenus doivent être séparés des détenus condamnés » et au mépris de la théorie de la réinsertion. Cette situation constitue un handicap à tout programme visant à réhabiliter socialement le prisonnier. Ainsi, ce dernier, en sortant de la prison, au lieu d’être utile à la société, devient plus dangereux.

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D’autre part, le problème de la détention préventive prolongée est une donnée constante au niveau des centres de détention du pays. Au cours de l’année 2005, l’appareil judiciaire a organisé, à Port-au-Prince des séances correctionnelles, tant au palais de justice qu’au Pénitencier National où certaines personnes ayant commis des délits ont été jugées. De juillet à août 2005, des seize (16) tribunaux de première instance en fonction dans le pays, onze (11) ont réalisé des séances d’assises criminelles. Malgré tout, le problème de la détention préventive et du surpeuplement des prisons persiste encore.

Traitement des prisonniers

Le traitement réservé aux prisonniers de certains centres de détention est alarmant. Le RNDDH a relevé que dans certaines prisons du pays telle que celle de Jacmel, les agents de la Direction de l’Administration Pénitentiaire (DAP) se sont remis à leurs anciennes pratiques de bastonnade. Ceci constitue une violation grave du droit à l’intégrité physique, psychique et morale des prisonniers tel que prévu dans l’article 5 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui reconnaît à tous le droit de ne pas subir de traitements cruels, inhumains et dégradants :

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Avant le 29 février 2004, l’effectif de la population carcérale était estimé à trois mille (3000) prisonniers et les vingt et un (21) centres de détention fonctionnaient à environ 100% de leur capacité. Aujourd’hui, la population carcérale est de trois mille trois cent quatre-vingt-sept (3387) détenus entassés dans seulement dix-sept (17) prisons évoluant à 65% de leur capacité.

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Commemoration de la journee internationale de prisonniers

Cette année, le RNDDH, tient à faire de la commémoration de la Journée Internationale des Prisonniers, une date charnière dans la nouvelle vision de la prison à l’âge démocratique, en soulignant l’inaccessibilité aux soins médicaux de la population carcérale.

La santé touche plusieurs dimensions : Elle est liée à l’hygiène des lieux, à l’alimentation suffisante et appropriée, à l’environnement sain mais surtout à l’octroi de soins curatifs et préventifs qui doivent, selon la loi, être accessibles à tout le monde, sans distinction. Ces soins couvriront tous les domaines : soins dentaires, ophtalmologiques, psychiatriques etc. Le prisonnier, sans discrimination d’aucune forme, doit aussi y avoir accès.

Les dispositions légales relatives aux soins de santé sont prévues dans différents textes tels que :

 la Constitution de 1987 dans son chapitre II, section A article 19 qui consacre les droits à la vie et à la santé pour tous les citoyens sans distinction. Elle stipule ce qui suit :

« L’état a l’impérieuse obligation de garantir le droit à la vie, à la santé, au respect de la personne humaine, à tous les citoyens sans distinction, conformément à La déclaration universelle des droits de l’homme ».

 les Règlements Internes des Etablissements Pénitentiaires qui prévoient dans son Titre II, chapitre IV, toutes les dispositions concernant les détenus et l’octroi des soins de santé.

 les Règles Minima pour le Traitement des Détenus qui souligne l’importance de faire subir à chaque individu, dès son incarcération et à sa sortie, un test général, établissant son état de santé.

Il apparaît donc impératif pour les centres de détention de disposer des moyens adéquats pour faire le suivi médical ; d’où la nécessité des infirmeries. Malheureusement, seules certaines prisons, sont dotées de ce service. D’une manière générale, les prisons sont dépourvues de ressources tant humaines que matérielles en vue de répondre aux besoins de la population carcérale. D’autre part, la qualité des soins disponibles est douteuse. En témoignent certains cas relevés par le RNDDH où des individus entrés en prison en bonne santé sont ressortis avec des incapacités physiques.

La propagation alarmante des Maladies Sexuellement Transmissibles (MST / IST), attire l’attention du RNDDH qui a entamé depuis l’année 2004, des séances de formation à l’intention des agents de la DAP et des prisonniers sur les comportements à risque, vu que la prison est l’un des milieux d’éventuelle contamination en raison de son exiguïté et de la promiscuité dans laquelle évoluent les incarcérés. Les rapports homosexuels, la drogue, l’introduction de corps étranger dans le pénis, le tatouage et la violence sont autant de comportements à risque. Ces pratiques sont interdites et pourtant elles perdurent dans les prisons. De ce fait, le RNDDH attire l’attention de la population en général, des agents de la Direction de l’Administration Pénitentiaire (DAP) et des prisonniers en particulier sur les dangers encourus par ces derniers et les précautions à prendre.

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La dégradation de la situation générale dans les prisons n’est pas une fatalité qui résulterait du manque de moyens de l’Etat. Elle est la conséquence de choix politiques car, on ne peut parler de la réforme de la prison en se basant seulement sur les actions de la Direction de l’Administration Pénitentiaire (DAP). Ce combat doit être national et inséré dans les politiques de gouvernance.

Le bien-être d’un individu, quel qu’il soit, ne peut être vu en dehors du respect intégral du Droit à la Vie dans toutes ses dimensions (sociales, économiques, culturelles, sécuritaires et environnementales). L’état lamentable des bâtiments, la situation juridique des détenus et l’incompétence de certains agents de santé au niveau des centres de détention sont autant de points alarmants qui exigent un redressement immédiat.

Le RNDDH tire la sonnette d’alarme sur la situation générale des prisons et rappelle qu’il est de la responsabilité de l’Etat en général, des responsables de la DAP en particulier, d’assurer aux prisonniers un environnement aussi sain que sûr.

Le RNDDH, une fois de plus, recommande aux autorités de la justice de :

- reconstruire la prison des Gonaïves, rendre fonctionnelles celles d’Aquin, de Petit Goâve et restaurer les bâtiments qui ne sont point appropriés à recevoir les détenus comme ceux de Hinche et trois (3) quartiers au Pénitencier National ;

- se pencher sérieusement sur la situation juridique des gens en détention préventive prolongée ;

- mettre en place une structure médicale permettant d’examiner les détenus notamment à l’admission et à la sortie de prisons ;

- créer et développer au niveau des prisons des mécanismes garantissant le respect effectif des droits des prisonniers ;

- mettre en application l’article 447 du CIC ;

- mettre à la disposition des agents de la DAP des moyens pour le bon fonctionnement de l’institution.

Le RNDDH rappelle à tous et à toutes, que la vie carcérale est l’un des indicateurs viables, qui permet de mesurer le degré d’humanité et de démocratisation d’une société. La peine privative de liberté est aujourd’hui au centre du dispositif pénal. La dignité et l’intégrité physiques des prisonniers doivent toujours guider toutes les démarches de l’institution répressive ce, dans le but de concilier Prison et Droits Humains.