Par Marc Antoine Archer
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Soumis à AlterPresse le 11 octobre 2005
« ... Il faut partir à point. »
Il y a dans l’histoire de l’Humanité, des faits remarquables, des grandes découvertes, des inventions fantastiques, qui ont marqué de façon profonde la vie de l’ensemble de la Planète. Dans le cas de l’énergie, on pourrait citer par exemple : la découverte du feu, l’invention de la roue, la découverte de l’électricité, de la machine à vapeur, du moteur à combustion, l’utilisation des combustibles à forte densité tels les combustibles fossiles et le combustible nucléaire. Cet ensemble de faits, leur interprétation, le développement des technologies associées à ces découvertes, les applications de plus en plus nombreuses qui en découlaient, ont donné naissance à un cadre de pensée, à une vision particulière de la réalité, donné lieu à des modalités de fonctionnement diverses et sophistiquées, généré un modèle idéologique et facilité des stratégies d’actions suivant un patron commun auquel on peut attribuer le nom de PARADIGME ENERGETIQUE.
De peur que certains ne jugent inappropriée mon utilisation de la notion de paradigme, essayons de nous mettre d’accord sur l’utilisation contextuelle que j’en fais.
Durant les années 90, le mot paradigme a été utilisé de façon surabondante : dans la gestion et l’administration d’entreprises, dans les discours politiques de gauche, de droite, dans l’éducation, etc. Au nom du changement de paradigme, les salariés ont du renoncer à des droits acquis, et, l’Etat-Providence a commencé à sentir ses limites. Selon J. A. Barker (1992), le paradigme est un ensemble de règles, de lois écrites ou tacites qui visent deux objectifs. Le premier objectif est d’établir d’abord les cadres d’une réalité (sociale) et le deuxième est d’indiquer comment doivent s’organiser les éléments de cette réalité (sociale) à l’intérieur de ces cadres.
Dans le cas qui nous intéresse, cet ensemble de règles, de lois tacites, ce système de représentations du « fait énergétique », somme toute, ce « paradigme énergétique », s’est configuré au long de ces 200 dernières années, surtout à partir de la « révolution du pétrole », de l’usage de l’électricité et de l’utilisation du combustible nucléaire. Il est donc clair qu’il doit se reposer sur le binôme fondamental, Combustible fossile/Combustible fissile. Cependant, à partir des années 70, certaines préoccupations environnementales, sécuritaires, stratégiques, commencèrent à montrer les faiblesses de ce modèle énergétique global.
Ces préoccupations se virent renforcées par :
1- La crise de l’énergie
Les pays producteurs de pétrole du Moyen-Orient décident d’augmenter le prix du baril de pétrole. Cette décision fait quintupler le prix du pétrole (1973-1974). Quelques années plus tard, début des années 80, le prix double à nouveau. Le problème de l’énergie commence donc à se poser. La société commence à entrevoir les limites d’un modèle énergétique basé sur la surconsommation de ressources et le surdimensionnement de besoins. On prend conscience de la finitude des combustibles fossiles et les pays industrialisés, non producteurs, se rendent compte de leur vulnérabilité.
Cependant, ce qui aurait pu conduire à une dynamique facilitant la prise de conscience sur la rareté des ressources énergétiques traditionnelles et la recherche de nouvelles sources s’est vu avorté à cause du contre-choc pétrolier des années 85-86 qui a entraîné la baisse des prix du pétrole.
2- Les préoccupations environnementales mondiales
A partir des années 70, la croyance dans l’énergie bon marché et dans la croissance indéfinie commence à être remise en cause et le souci de la protection de l’environnement commence à s’affirmer. Les premiers Ministères de l’Environnement commencent à faire leur apparition dans les Gouvernements de différents pays européens. Les Nations Unies mettent sur pied la première conférence sur l’environnement et le développement (Stockholm, Juin 1972). Un peu plus tard, en 1984, l’ONU met sur pied la Commission pour l’Environnement et le Développement qui élabore un rapport « Our Common Future » (Notre Avenir à tous) qui est présenté en 1987. Connu sous le nom de Rapport Brundtland, ce rapport introduit le concept de Développement Durable.
Suivirent différentes tentatives telles la conférence de Rio (1992), le Sommet de Kyoto en 1997, le Sommet de la Terre à Johannesburg en 2002. Différentes résolutions sont adoptées, des Conventions sont signées, des Accords, des Traités, etc. Cependant, les choses ont évolué très peu. Il y a eu vulgarisation de la problématique mais pas réellement de prise de conscience par l’action.
3- Les problèmes liés aux déchets radioactifs, à la sécurité des installations face non seulement aux accidents mais aussi face aux attaques terroristes.
Actuellement, les problèmes globaux de l’environnement (réchauffement de la planète, changement climatique et leurs conséquences) ainsi que ceux qui sont liés à la géopolitique du pétrole, sont en train de provoquer la crise du modèle actuel et de générer un courant d’opinion favorable à un changement du paradigme. Cependant, comme tout changement profond, et ce changement en est un, cela va engendrer des résistances, va générer des conflits, va supposer des ruptures, importantes, aussi bien au niveau comportemental qu’au niveau des mentalités, car, comme dit J. A. Barker :
1. Lorsqu’un groupe réussit bien avec ses paradigmes, il résiste à les changer.
2.Ceux qui passent d’un ancien paradigme à un nouveau, doivent le faire à partir d’une croyance aveugle, du moins au début, plutôt que sur la base de faits prouvés, parce qu’il n’y a pas suffisamment de preuves évidentes que ce nouveau paradigme est gagnant.
3. Ceux qui optent au tout début pour un paradigme gagnant, optent de facto pour une nouvelle façon de voir le monde, utilisent de nouvelles approches pour résoudre des problèmes.
4. Un nouveau paradigme ramène chacun au point de départ. Les utilisateurs habiles du vieux paradigme qui en tiraient de grands avantages perdent leurs atouts à mesure que s’implante le nouveau paradigme.
Il est donc clair que les bouleversements sont, et, devront être importants car le réseau d’intérêts créé autour du paradigme actuel est réellement dense. Si dans l’article précédent je parlais de « comportement citoyen d’individus, d’entreprises et même de l’Etat », il faudra là aussi faire appel à des valeurs citoyennes, à l’engagement citoyen, pour pouvoir avancer. Nul autre chemin n’est possible.
En ce sens, des débats profonds doivent avoir lieu, de façon ouverte, sereine, approfondie. Et, obligatoirement, le centre des débats, l’objectif de toute transformation est et doit être l’Individu dans son cadre de fonctionnement (Environnement physique et social). Les orientations politiques doivent faciliter l’encadrement de l’individu, du consommateur, de l’utilisateur final de façon à ce qu’il soit amené à consommer les biens énergétiques de FAà‡ON RESPONSABLE.
Le Pouvoir Local prend alors tout son sens dans ce contexte, et, pour mieux le faire comprendre, je vous propose ce diagramme de visualisation :
C’est là que le changement peut nous bénéficier. Il peut nous servir de prétexte pour entamer une vraie révolution énergétique en Haïti, capable de faciliter :
A tout Haïtien l’accès aux services énergétiques de base d’ici 2015
Optimiser les réseaux de transport de biens et de personnes
Minimiser les besoins de déplacement (motorisés)
Eliminer les pressions sur les ressources ligneuses
Maîtriser les flux d’énergie de nos villes, de nos grands centres de consommation.
Gérer notre autonomie énergétique
En définitive, il s’agit d’établir un modèle énergétique autochtone, adapté aux besoins locaux et aux particularités locales (sociales, techniques, territoriales, géographiques, humaines), un modèle qui tienne compte de la conjoncture mondiale de l’heure et de la prospective pour les 50 prochaines années. Ce modèle autochtone devra être basé, obligatoirement, sur une vision viable du futur énergétique, donc, sur :
L’utilisation poussée des énergies renouvelables (solaire photovoltaïque et thermique, éolienne, mini et micro-hydraulique, biomasse, biocarburants).
Le Désenclavement de la production industrielle (Création d’enclaves et de pôles de développement industriel de façon à optimiser la production et à minimiser les besoins de transport).
Le Développement des alternatives au transport routier :
o Transport Maritime
o Transport Ferroviaire
Car, sinon notre pays sera de plus en plus vulnérable et son économie de plus en plus précaire.
J’espère que la décision du Venezuela de nous offrir du pétrole à un tarif préférentiel ne nous fasse oublier que cela peut ne durer que « l’espace d’un cillement ».
Il ne reste plus qu’à désirer que les différents acteurs politiques du pays, les autorités concernées, agissent en ce sens.
Ou dans un autre !
Question de bon sens.
[1] Physicien Industriel
marc@archer.jazztel.es