Par Guy Pierre
Soumis à AlterPresse le 22 septembre 2005
Le texte-canevas qui suit porte sur la conjoncture politique et
électorale. Il est élaboré par un citoyen qui maintient une
indépendance totale par rapport à toutes les organisations
politiques du pays mais qui appuie les actions et initiatives de
toutes celles qui se veulent « responsables ». C’est-à -dire de toutes
celles qui luttent effectivement en vue de porter le pays à en finir
avec les structures archaïques qui l’étranglent depuis la première
moitié du XIXe siècle et qui peuvent perdurer longtemps encore si
les citoyens se laissent une nouvelle fois berner aux prochaines
élections par cette faune de cabotins et d’aventuriers (Aristidiens ;
anciens militaires ou anciens insurgés et rebelles du Nord ;
opportunistes et déprédateurs professionnels ; plaisantins ou
illusionnistes ; parasites en quête d’un chèque de l’Etat ;
démagogues ; etc.) qui sillonnent les rues de la capitale et des
villes de province.
1. L’assassinat de Jacques Roche nous a tous choqué. Il indique combien ceux qui l’ont
ordonné tiennent à reprendre le pouvoir par tous les moyens en vue de frustrer une
nouvelle fois le peuple du frêle espoir de changement qui semble pointer à l’horizon et
d’accroître davantage leur patrimoine financier, comme deux récents rapports d’audit
l’indiquent, aux dépens de tout le peuple. Il impose donc en ce sens un impératif politique
à la nation. En quoi consiste cet impératif ? Il consiste en gros à porter les acteurs
politiques, qui se sont opposés pendant les 20 dernières années dans le pays aux
différents régimes autoritaires, à s’entendre dès à présent sur une formule unitaire en vue
d’obtenir simultanément aux prochaines élections un double résultat, soit battre d’un
côté tous les candidats qui s’identifieront ou qui pourront être identifiés très facilement à
cause de leur passé aux branches criminelles et mafieuses de Lavalas, et constituer, de
l’autre, un pouvoir responsable.
2. J’entends par « pouvoir responsable » un pouvoir pluriel formé de citoyens ayant un
certain sens de l’Etat et de la gestion du bien commun. C’est-à -dire un pouvoir composé
de gens non corrompus pouvant renoncer totalement grâce à leur formation et leur esprit
d’abnégation aux idées mesquines et partisanes, qui assaillent un grand nombre de
citoyens, pour renforcer la machine d’Etat et dynamiser l’économie du pays. Ou encore
pour être plus précis, comme il est dit plus loin (Cf. paragraphe 14), un pouvoir d’où sont
exclus des aventuriers, des cabotins, de prétendus leaders qui rêvent seulement d’occuper
un poste quelconque dans la fonction publique ou qui sont toujours disposés à
subordonner toute initiative politique visant à faciliter le développement de la nation dans
son ensemble à une ristourne personnelle ou un avantage quelconque.
3. La nation est prise en otage depuis le XIXe siècle par ces aventuriers. Les membres de
l’état major de Lavalas en constituent aujourd’hui le peloton le plus avancé. D’autres
citoyens souhaitent cependant les remplacer et peuvent le faire aux prochaines joutes
électorales si la société civile et les véritables partis politiques n’analysent pas
suffisamment bien le moment présent. D’ailleurs c’est parce que cela n’a pas été fait
pendant la période 1986-1990 que la nation se retrouve coincée depuis la conjoncture de
1991-94 dans une série de cycles d’instabilité dominés par une bande d’aventuriers et de
cabotins. Cela veut dire que malgré le charisme incontesté dont jouissait Aristide pendant
le cycle court de 1988-1990 (Prosper Avril- Frank Romain-Roger Lafontant) on aurait pu
éviter de placer le mouvement démocratique sous la coupe d’un courant politique qui
montrait des signes évidents d’incohérence et dont l’horizon politique se limitait sans
exagération aucune à la chasse aux « tontons macoutes » et « attachés » dans la vie
quotidienne et à la révocation des fonctionnaires « duvaliéristes » dans l’administration
publique. En d’autres mots, il était possible avec un peu d’efforts de réflexion
d’emprunter pendant la première phase post-Duvalier une autre voie pour construire un
régime démocratique et forcer les principales forces ultra conservatrices d’alors (i.e
l’armée ; Roger Lafontant et tous les autres barons duvaliéristes) à accepter une solution
satisfaisante de la question qui a servi de plate-forme d’action à Lavalas en tant que
courant politique. Je veux parler de l’exclusion sociale et de la justice.
4. Il va de soi que ce raisonnement est de nature ex-post, il a néanmoins du point de vue
politique un important intérêt. Il est en effet bourré d’enseignements, ce qui lui donne du
coup un caractère ex-ante. Cela veut dire que la nation ne doit pas se laisser engager à
nouveau par les acteurs politiques suscités (Cf. paragraphe 1) dans une « fausse sortie de
crise ». L’histoire ne nous pardonnera pas. Car l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle
fournée de cabotins -soit les anciens généraux et ex- sergents ou capitaines de l’armée,
les actuels proches d’Aristide ou quelques uns de ses anciens lieutenants qui essayent
habilement à présent de feinter, les imposteurs, les carriéristes ou opportunistes, les
leaders à courte vue ou plaisantins, les mal nommés anciens insurgés ou rebelles du Nord
qui semblent avoir été « parachutés » à la faveur de la nuit sur le sol national ; etcaiguisera
davantage encore la crise de l’Etat. Or il est impératif de mettre un terme à
celle-ci pour asseoir une base de stabilité politique et de démarrage économique et
affronter du coup les questions qui forment l’ossature de l’insécurité et de la délinquance,
soit le chômage, la misère, l’exploitation, l’exclusion, bref la justice sociale.
5. Pour ce, la société et les « véritables partis politiques » ne doivent pas seulement se
préparer à participer aux prochaines élections ou s’apprêter à élire tout simplement les
nouvelles autorités du pays comme certains secteurs de la communauté internationale le
demandent. On sait que depuis la fin du XXe siècle aux alentours des années 1980-1990
la communauté internationale se donne pour tâche de participer partout dans le monde et
notamment dans les pays du Sud à l’établissement de régimes démocratiques mais
souvent de manière superficielle, puisque d’une façon générale elle ne se pose aucune
question se référant au fondement réel de ces régimes, c’est-à -dire à leur degré
d’efficacité et aux moyens dont ils peuvent disposer pour agir. Or cette question est
fondamentale en matière politique, elle doit obligatoirement être posée sinon on risque de
se tromper ou de se faire avoir par la notion même d’« élection » ou ce que les analystes
politiques classiques considèrent comme le meilleur « indicateur » des systèmes
démocratiques : l’alternance périodique des autorités constituées. Autrement dit on risque
d’être conduit à élire et alterner régulièrement les gouvernants de nos pays comme le
demandent les constitutions en vigueur mais sans s’assurer au préalable si oui ou non les
autorités qui seront légitimement constituées pourront effectivement ou ont suffisamment
de volonté ainsi que de capacité politique et de moyens pour opérer des changements
profonds dans les structures sociales et aider les couches défavorisées à accéder à
l’éducation et recevoir une « meilleur petite portion » du revenu national. Il est difficile
en vérité de ne pas penser aujourd’hui que ceux qui « financent » les élections dans tous
les pays du Sud souhaitent seulement que les électeurs se contentent uniquement, à
chaque élection, à agir ainsi, c’est-à -dire à accomplir de façon récurrente leur devoir
civique comme des « robots » téléguidés par les constitutions. En d’autres mots les
citoyens du Sud doivent, selon eux, se limiter à cela, et ne doivent se poser aucune
question sérieuse sur les futures autorités, ou sur la viabilité et la factibilité des politiques
économiques et sociales que celles-ci proposent. Cette pratique peut être établie
également dans notre pays si l’on n’y réfléchit pas. Aussi la société civile doit s’y
opposer farouchement et demander aux citoyens d’être très exigeants pendant la
prochaine campagne électorale que le CEP autorisera d’ici quelques semaines. Autrement
dit elle doit porter les citoyens à questionner sérieusement les candidats et les partis
politiques (leurs programmes politiques ; leur passé ; leur intégrité ; leurs accointances
avec l’état major de la bande à Aristide ; leur capacité et leur degré de compétence en
matière administrative et de gestion politique ; les sources de financement de leur
campagne électorale ; les moyens dont ils peuvent disposer pour accomplir leurs
promesses électorales ; etc.) et s’arranger pour que non seulement les pouvoirs qui
sortiront des élections soient efficaces mais que le prochain Parlement, qui joue selon les
normes mêmes de la Constitution un rôle clé dans le fonctionnement de la machine
d’Etat, soit cohérent et coopératif, c’est-à -dire responsable.
6. Un Parlement responsable est un organe qui n’empêche pas le pouvoir exécutif de
gouverner et qui maintient son indépendance par rapport à celui-ci. La constitution de
1987 tend dans ses méandres à faciliter le jeu des « partis politiques irresponsables » qui
sont représentés au Parlement. Elle autorise pour mieux dire le blocage de la machine
d’Etat par le Parlement. Le pays se souvient encore des spectacles ahurissants auxquels se
sont livrés pendant les dix dernières années les législatures d’alors et qui ont en
conséquence paralysé totalement l’appareil d’Etat.
7. Ces faits doivent porter les « partis politiques responsables » à bien évaluer le degré de
crédibilité et de capacité des citoyens pour lesquels ils feront campagne et qui pourront
éventuellement les représenter au Parlement. Ce même raisonnement vaut également par
ailleurs pour les élections municipales car l’appareil d’Etat a besoin d’un corps municipal
efficace, critique et non corrompu pour fonctionner. La société ne doit pas sous estimer
l’enjeu de ces élections et abandonner cet espace d’action aux candidats qui faciliteront le
maintien de l’appareil d’Aristide et des structures archaïques. Elle doit bouder et
dénoncer les partis qui soutiendront des cartels dont les membres sont peu crédibles ou
qui, comme la plupart de ceux que Préval et Aristide avaient soutenus et placés à la tête
des différentes communes, dépourvus de toute capacité politique. Ou qui encore ne
pourront entreprendre dans les espaces sociaux qu’ils gouvernement aucune initiative
visant à adapter la Constitution, dans un délai de deux à trois ans au plus, aux réalités
économiques du pays et à la nouvelle dynamique politique nationale et internationale.
8. Ceci dit, les prochaines élections méritent d’être pensées sur plusieurs plans. Disons
sur deux plans en gros. Tout d’abord sur le plan politique pur car il faut cette fois-ci
mettre en marche par le biais des institutions qui en sortiront les mécanismes qui devront
faciliter à long terme l’effondrement des structures de reproduction des gouvernements
tyranniques et obscurantistes qui ont dominé la scène politique pendant les deux siècles
écoulés. Ensuite sur le plan tactique et stratégique car les « partis politiques
responsables » doivent s’unir dès à présent, c’est-à -dire avant même les municipales et le
Ier Tour des législatives et présidentielles, pour battre les candidats que la faune de
cabotins sus-indiquée présenteront. Autrement dit, il ne faut pas que chacun d’entre eux
pris séparément surestime par myopie ses forces ou ses possibilités de remporter les
suffrages et refuse de passer avec d’autres organisations des alliances au Ier Tour des
élections en pensant seulement le faire en cas de ballottage, c’est à dire au 2eme Tour. Il
est certain qu’ils répéteront tous en agissant ainsi les erreurs qu’ils ont commises aux
élections du 20 mai 2000. En effet, on se souvient qu’à l’occasion de ces élections les
« organisations politiques responsables » d’alors ne s’étaient pas concertées et s’étaient
également mises à couteau tiré pour gagner une « seule et même » circonscription alors
qu’elles pouvaient s’y prendre autrement en vue d’en remporter un nombre plus
important. Et ceci, indépendamment du fait que l’on savait que ces élections allaient être
bafouées et qu’elles ne pouvaient être dans tous les cas de figure qu’une farce en raison
du climat de tension et de fraude qu’Aristide avait soigneusement entretenu dans les
principales villes du pays avec la complicité de Préval en vue de reprendre le pouvoir
quelques mois après. Il va donc de soi que ces partis se feront certainement battre s’ils
reprennent cette même stratégie, car ils n’auront pas, chacun pris en particulier,
suffisamment de moyens pour soutenir les candidats qu’ils présenteront.
9. En effet, la société doit penser au fait qu’aujourd’hui plus que jamais les élections se
font à coup d’argent. Elle ne doit surtout pas se laisser surprendre, car elle doit savoir que
tandis que les organisations politiques qui veulent en finir avec le statut quo auront
certainement du mal à financer leur campagne, celles de tendance conservatrice et
lavalasienne ou « protolavalasienne » le feront très probablement avec aisance. L’histoire
des élections de 1997 et de 2000 au pays est là pour le prouver. Celle de nombreuses
autres également qui ont eu lieu dans la région -et aussi hélas ! dans quelques pays du
Nord- peut au besoin justifier mieux encore cette hypothèse.
10. La société doit aussi admettre par ailleurs que les organisations politiques de tendance
conservatrice ou lavalasienne bénéficieront de l’appui de nombreux secteurs de la
communauté internationale. Ce problème est trop complexe pour l’aborder ici. On peut
brièvement dire néanmoins que de nombreux faits le montrent clairement déjà . Il suffit
par exemple de lire les déclarations de plusieurs personnalités internationales et de
représentants officiels mêmes des organisations internationales sur le statut du parti
Lavalas et sur la question du « dialogue national » ou sur l’organisation des élections
elle-même. Il suffit notamment d’observer les allées et venues d’un grand nombre de
hautes personnalités étrangères dans le pays et d’analyser leurs opinions sur
l’organisation des élections. Il suffit aussi de questionner les intentions de ceux qui
veulent que le gouvernement intérimaire passe outre des procédures judiciaires pour
relâcher l’un des présumés responsables du massacre de la Scierie. Il suffit enfin de lire
quelques rapports ou prises de position de certaines ONG et institutions spécialisées sur
les actions que prennent la PNH et la MINUSTAH pour combattre l’insécurité et contrer
particulièrement les bandes d’assassins d’Aristide.
11. Le plus important cependant à signaler dans cet ordre d’idées est le rôle que certains
secteurs officiels de la région de la Caraïbe essaieront d’une façon ou d’une autre de
jouer dans ces élections. D’ailleurs ces secteurs ont ouvertement essayé malgré leur faible
influence sur le plan diplomatique d’imposer au pays le retour d’Aristide. Ils ont tout fait
pour confondre les gouvernements et l’opinion publique de la plupart des pays latinoaméricains
sur la nature et les mobiles du large mouvement national qui a conduit à la
journée du 29 février 2004, et refusent encore malgré la récente Déclaration de Panama
de nuancer leur position sur la crise nationale. Il est donc presque certain qu’ils
souhaitent ardemment d’ores et déjà que les forces conservatrices ou l’un des différents
courants que Lavalas créera gagnent les élections. Deux raisons expliquent probablement
leur attitude : ils ne veulent pas en effet premièrement que le prochain gouvernement
revienne sur la ratification de l’adhésion du pays à la CARICOM, et ceci pour cause
puisque n’ayant aucune légitimité le Parlement d’alors n’avait aucune compétence du
point de vue constitutionnel pour agir ainsi. Ces pays ont également peur, en deuxième
lieu, de voir Haïti s’engager au lendemain des élections dans un processus soutenu de
reprise et de croissance économique. Or il est évident que les « partis politiques
responsables » peuvent en limant leurs différences, qui du reste ne sont pas véritablement
importantes dans le contexte actuel, porter l’Etat à déclencher cette dynamique avec le
soutien de la société et du secteur privé. Mais ce processus modifiera sans doute de
manière assez sensible la donne sur le plan concurrentiel et l’orientation attirer au grand
dam de quelques uns des pays de la Caraïbe une part non négligeable du volume de
capitaux étrangers qui circulent dans la région. Car Haïti dispose encore de manière
relative malgré son bas niveau de développement, et à cause même dans une certaine
mesure de cette situation, de certains avantages comparatifs par rapport à quelques uns de
ces pays, et peut à terme en développer probablement d’autres en améliorant avec le
double appui de l’Etat et du patronat le niveau moyen de formation des couches
travailleuses et en s’appuyant également sur l’existence d’un ensemble de conditions
historiques et géo-touristiques qu’elle peut exploiter conjointement avec une très forte
tradition culturelle et artistique qui déborde les rives de la Caraïbe et du continent.
12. Une dernière raison peut être également avancée en appui à cela. Il s’agit du rôle que
le pays est appelé à jouer sur le plan diplomatique dans la région dans un contexte de
stabilité politique et de démarrage économique. Disons, pour être plus précis, face à la
Jamaïque précisément qui exerce au sein de la CARICOM un rôle de leadership et qui
tient à entraîner les autres membres de cette communauté dans son sillage. L’existence en
Haïti de gouvernements foncièrement arbitraires et autocratiques comme ceux de Préval
et Aristide ou de gouvernements n’ayant aucune vision ou capacité d’action convient
beaucoup à ces Etats, puisque ces gouvernements -celui de Latortue-Alexandre
également- ne comprennent pas que le pays doit développer de fortes actions
diplomatiques sur le plan international pour se consolider et se faire apprécier autrement
par ces Etats et dans les différentes instances internationales. N’est ce pas un fait en effet
que Préval et Aristide n’ont rien entrepris auprès des principaux grands Etats de la région
pour créer un fort courant de solidarité avec le pays pendant les années 1995-2000 ?
N’est ce pas un fait également que les Etats de la CARICOM parlent d’Haïti avec
condescendance et s’opposent par de nombreuses actions à ce que les organisations
internationales s’appuient sur des critères comme ceux de l’IDH pour lui assigner une
part appréciable de l’aide destinée aux petites économies ? Paterson misera donc pour
toutes ces raisons sur le maintien du statu quo dans le pays.
13. Mais laissons ce point de côté qui ne vise nullement par ailleurs à méconnaître
l’intérêt des relations existant et qui doivent exister pour des raisons géopolitiques et
socioéconomiques entre le pays et les Etats de la CARICOM, et disons pour résumer
rapidement qu’il ne faut pas seulement que la société se mobilise pour que les élections
aient lieu en automne-hiver prochain. Il faut aussi, comme les arguments développés au
paragraphe 5 l’expriment clairement, qu’elle s’assure que les citoyens qu’elle élira aux
différentes instances de la vie nationale ne s’écarteront pas une fois installés au Palais
national et au Parlement de leurs responsabilités et ne se mettront pas par divers moyens
à remplir leurs poches comme la bande à Aristide l’a faite. Cela veut dire, pour nous
répéter d’une autre façon, que les « partis politiques responsables » doivent bien pour leur
part analyser la crise actuelle et établir, en raison de certains avantages relatifs dont
bénéficient encore par suite du climat d’insécurité les différentes « bandes
aristitidiennes » et l’ensemble des forces conservatrices, une stratégie commune. Soit
s’entendre, pour être plus précis, sur un programme politique concret en vue de :
a) soutenir un même cartel de magistrats dans les différentes communes ;
b) gagner un grand nombre de circonscriptions législatives voire contrôler le
Parlement avec une très forte majorité absolue. Cela signifie qu’ils doivent éviter de se
« concurrencer » dans les mêmes circonscriptions et départements. C’est-à -dire présenter
plusieurs candidats crédibles dans un même département ou circonscription. Cette
tactique politique traditionnelle doit être en effet écartée dans la présente conjoncture car
elle divisera l’électorat et facilitera par conséquent tous ceux qui solliciteront le suffrage
du peuple sous la bannière des forces conservatrices et des différents courants politiques
dont les actions seront d’une façon ou d’une autre téléguidées et financées par Aristide ou
par des personnages obscurs.
14. Il va de soi que la nouvelle tactique que l’on propose ici ne signifie nullement que
l’on plaide pour un « Parlement de gauche ». Ce que l’on souhaite c’est plutôt un
Parlement pluriel, c’est-à -dire un Parlement intégré de plusieurs tendances politiques y
compris -il faut le souhaiter- de certains courants Lavalas qui peuvent, sans feinte
aucune, s’engager fermement à réorienter les actions de ce mouvement et à entreprendre
conjointement avec les autres organisations du pays des actions visant effectivement à
améliorer les conditions de vie des larges couches des secteurs défavorisés.
15. Par ailleurs il faut aussi et surtout mentionner que si ces organisations veulent
effectivement casser les structures mises en place par le bloc Préval-Aristide et entraîner
le pays dans un processus de changement elles doivent rassembler leurs forces au niveau
des présidentielles. Quelques unes d’entre elles ont déjà annoncé leurs candidats. Cette
tactique ne convient pas du point de vue politique car elle vise à les porter à se déchirer.
Or tout mouvement de confrontation entre ces organisations favorisera, comme ce sera le
cas au niveau des législatives et municipales, les candidats des forces conservatrices. Et
ce d’autant plus que très peu de citoyens participeront probablement aux élections. Or il
est presque certain que plus le taux d’abstention sera élevé, plus le score des « partis
politiques responsables » sera faible et plus les diverses formules Lavalas et les forces
conservatrices pourront remporter des sièges et avoir beaucoup de possibilités de gagner
la présidentielle en cas de ballottage. Et il faudra obligatoirement dans ce cas accepter -
Hé oui !-, les règles démocratiques ne pouvant être transgressées, que les cabotins et les
plaisantins s’installent une nouvelle fois au pouvoir, c’est-à -dire accepter au nom ou par
respect aux règles sacro-saintes de la démocratie que le pays continue à régresser
économiquement et à s’embourber dans le marais de cette misère horrible qui révolte la
conscience de nous tous et dont une certaine presse internationale se sert pour non
seulement vilipender la nation et dénaturer son histoire mais aussi pour caractériser tout
ce qui est hideux à voir à l’époque contemporaine [1] ; autrement dit tous les faits sociaux
structurels et les épisodes conjoncturels qui montrent qu’il existe encore en cette phase
avancée du développement de l’humanité de profonds anachronismes dans plusieurs
régions du monde. Mais ceci sera dû fondamentalement à cause de la confusion que les
« partis politiques responsables » auront créée dans la population par des « prises de
gueule » infantiles et des stratégies erronées.
16. à€ ce sujet les citoyens doivent saluer la déclaration du « Groupe des 184 » autour de
la candidature de Charles Henri Baker. Cette déclaration rejoint en gros les points qui
sont développés dans ce document-canevas. J’y souscris pour ma part sans réserve
aucune et estime que la société dans son ensemble doit en faire de même. Car elle nous
met tous en garde contre le cabotinage politique et rappelle dans son esprit qu’il ne suffit
pas d’être un citoyen intègre et bourré de bonne volonté pour aspirer à diriger le pays. Je
crois sincèrement pour ma part, c’est-à -dire sans vouloir froisser quiconque ou ouvrir une
polémique quelconque avec qui que ce soit, que cette déclaration doit être aussi lue en
relation à de nombreux autres citoyens qui ont déjà ou qui pensent bientôt solliciter le
suffrage du peuple pour se placer à la tête de l’Etat. Quelques uns de ceux-là ont joué un
rôle exceptionnel et ont même exposé leur vie dans les événements qui ont emporté
Aristide. Ceci est un fait indéniable, et l’histoire ne peut le nier. La nation leur est
sincèrement reconnaissante. Mais ceci ne veut nullement dire qu’ils sont à même
d’orienter l’Etat et de porter la nation à changer le cours de son destin. Il s’en faut de
beaucoup.
17. Je soutiens ce point de vue en m’appuyant sur le fait que la crise politique actuelle est
une grande crise. C’est-à -dire une crise extrêmement complexe voire beaucoup plus
complexe que celle de 1990 si l’on tient compte du fait que le mouvement Lavalas a
profondément chambardé par ses dérives l’ensemble de la vie nationale et engendré de
nombreuses frustrations dans les milieux populaires et les couches des classes moyennes
à faible revenu en particulier. On ne pourra sûrement pas l’affronter facilement et y
trouver une issue durable. Mais on peut certainement par contre éviter qu’elle pète
davantage. Pour cela le futur chef de l’Etat devra avoir beaucoup de doigtés politiques et
une assez bonne dose de connaissance en matière de gestion de la chose publique, et aussi
de flexibilité et d’autorité morale. Et surtout enfin une vision qui va bien au-delà du
climat conjoncturel actuel et d’une simple politique de chasse aux « chimères » de
Lavalas dans les quartiers populaires de Cité Soleil, de Solino et du Bel-Air. Bref une
vision de long terme, mais une vision qui tient également compte du « conjoncturel » tout
en privilégiant la question de la rénovation des structures existantes. C’est à dire une
vision axée sur une double pensée politique et économique susceptible de créer et
dynamiser, en marge de toute rhétorique populiste, un solide pacte social entre les
différents agents et de porter le secteur privé à investir dans le système productif local et
à cesser enfin, comme il le fait effrontément depuis les premières décennies du XIXe
siècle, de saborder les politiques économique, monétaire et fiscale de l’Etat par des
mouvements spéculatifs de toutes sortes.
18. Les « partis politiques responsables » doivent réfléchir sérieusement à ces questions
et reconsidérer leur décision de soutenir chacun isolément un candidat qui ne pourra en
aucun cas obtenir un barème minimum significatif. Ils ont en d’autres termes intérêt afin
de pouvoir assumer leur responsabilité historique de porter ces « différents candidats » à
la présidence à se présenter de préférence aux législatives ou aux municipales et passer
entre eux un accord de « gouvernance » autour d’un candidat unique à la présidence et
autour de la figure du premier ministre et des postes clés de l’appareil d’Etat. Mais encore
une fois, ils ne doivent pas attendre le 2eme Tour des présidentielles pour le faire. C’est à
présent même qu’ils doivent le faire. Autrement dit la société doit les exiger de se
présenter en un seul « bloc politique » au Ier Tour pour qu’ils puissent être en mesure au
2eme Tour, dans le cas oú cela se produit, d’asséner aux différentes forces tyranniques
d’Aristide et aux forces conservatrices un coup fatal : soit le changement irréversible du
cours de l’histoire du pays. Tel est l’impératif politique du moment.
Guy Pierre
Août 2005
.......................................
[1] “Comme en Haïti†(New Orléans, 2005), ou ce “pays s’haïtiannise†(« El coralito » en Argentine, 2001-
2002), dit-on couramment dans la presse internationale pour décrire des faits regrettables ou de malheureux
événements sociaux.