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Haïti - Sécurité : Les incidences du banditisme sur les marchés de rue à Port-au-Prince

P-au-P, 10 oct. 05 [AlterPresse] --- Les actes violents, déclenchés à Port-au-Prince le 30 septembre 2004 par des bandes armées favorables au retour au pouvoir de l’ancien président Jean Bertrand Aristide, auraient largement contribué au renforcement et à la multiplication des marchés de rue à la capitale haïtienne habitée par plus de deux millions d’habitants, suivant un constat dressé par AlterPresse.

Du centre de Port-au-Prince, près duquel beaucoup de quartiers sont devenus volatiles, plusieurs petits commerçants se sont dirigés vers le haut de la ville et de la municipalité de Delmas (nord-est), mais aussi vers les banlieues nord et sud, apparemment plus tranquilles, aux fins de poursuivre leur quête de gagne-pain quotidien.

Parallèlement, le même phénomène est observé pour des activités commerciales, apparemment formelles, parce qu’ayant pignons sur rues, qui se sont déplacées du centre vers Delmas et Pétionville, réputées plus sûres. Les illustrations ne manquent pas, a observé AlterPresse.

Les édiles des différentes municipalités de la capitale semblent assister, impuissants, au déplacement des pôles d’attraction des marchés publics informels de rue qui, progressivement, ont commencé à s’étendre à nouveau au cœur de Port-au-Prince, avec un minimum de regain de confiance sécuritaire chez la population des quartiers alors considérés comme « des quartiers de non droit ».

Sécurité ou question de survie

Sécurité ou question de survie, aucun plan d’aménagement, de répartition de la multitude de petits commerçants investisseurs dans les rues, ne paraît préoccuper les administrations communales, dont beaucoup ont donné l’exemple de frictions internes déballées au grand jour et dans la Presse, sans respect des normes ni des administrés résidant dans les différentes communes.

Aucun quartier, aucune artère, aucune rue, ne sont épargnés par les étalages de biens, principalement aux abords des stations d’essence et des gares routières ou aires d’embarquement et des débarquement des transports publics, même aux abords des bureaux publics et de la principale place publique, non loin du Palais National, même à proximité de l’Aéroport International, même devant les entrées des établissements scolaires et universitaires.

Partout, du nord au sud, de l’est à l’ouest, dans la zone métropolitaine, les trottoirs se trouvent littéralement occupés par les étalages de divers produits : bonbons, menthes, sucreries, pain, boissons gazeuses, cosmétiques, pièces d’automobiles, appareils électroménagers, cassettes audio et vidéo non encore utilisées, cassettes audio et vidéo de musique ou d’autres contenus, batteries de recharge pour transistors, meubles, friandises, fritures, plats de résistance, médicaments, vaisselles, denrées alimentaires, tissus et vêtements, chaussures, fer forgé, pièces d’automobiles, et, conjoncture rentrée des classes oblige, plumes, crayons, cahiers, sacs d’école, instruments de géométrie, boîtes à lunch, manuels scolaires, a relevé AlterPresse.

Dans bien des cas, l’exposition coutumière des différents biens, devenue tout à fait banalisée chez une forte partie de la population, se fait pêle-mêle, sous forme de bric à brac, côtoyant parfois des immondices ou diverses sortes de saletés.

à€ la Rue Monseigneur Guilloux, dans la périphérie du Stade national de football Sylvio Cator, presque à la sortie sud de la capitale, un autre marché public a commencé à se développer. Les petits détaillants, venant des zones réputées chaudes depuis le déclenchement de l’ « Opération Bagdad » (mouvement de représailles des bandes armées proches de l’ancien régime Lavalas de Jean Bertrand Aristide), étalent leurs marchandises à même la chaussée.

L’accès au tronçon de route, du côté est du stade, où des travaux de revêtement sont en cours, est interdit depuis plusieurs mois. Les chauffeurs assurant le trajet Centre-ville et Carrefour Feuilles sont bien obligés de fréquenter d’autres voies. Ce nouveau « centre d’affaires » n’est pas différent des autres marchés publics constatés à Port-au-Prince. Des piles de détritus dégageant des odeurs nauséabondes jonchent les trottoirs nouvellement construits.

l’incapacité à définir des politiques appropriées

La question des divers étalages, distribués çà et là , vient poser des interrogations sur l’incapacité des autorités administratives à définir des politiques appropriées, les plans d’urbanisme envisagés, les normes de circulation piétonnière et automobile appliquées, la gestion des principes environnementaux à proposer, les modes de savoir vivre et de civilité / convivialité à respecter, la problématique de la santé publique à considérer, les modèles de développement à offrir aux enfants.

Une jeune vendeuse interrogée par AlterPresse affirme qu’elle n’a pas d’autres choix, arguant que l’idée d’occuper ce nouvel espace de marché est indépendante de sa volonté.

« Avant, je vendais à la Rue des Fronts-Forts, à proximité de la Cathédrale de Port-au-Prince, mes marchandises ont été pillées puis incendiées par des inconnus lourdement armés », s’est-elle indignée.

Mère de cinq enfants, cette femme déclare lever les bras vers le ciel à la recherche d’un ouf de soulagement avec les malfrats qui rançonnent quotidiennement les petits étalagistes au bas de la ville.

« Nous étions plus d’une cinquantaine à mobiliser 4,000 dollars haïtiens [ndlr : soit l’équivalent de 20,000 gourdes ; un dollar américain vaut actuellement plus de 40 gourdes sur le marché national] pour payer les bandits en vue de nous donner la chance de continuer à vendre à la Rue des Fronts-Forts », a-t-elle révélé.

Ce nouveau centre commercial, établi aux abords du Stade Sylvio Cator, devrait disparaître à la fin des travaux de réfection au niveau de la Rue Monseigneur Guilloux, ont fait savoir les petits commerçants à AlterPresse.

Les marchands et les marchandes payent chaque samedi une cotisation de 5 gourdes aux agents de la Mairie de Port-au-Prince.

« Nous ne sommes pas là pour longtemps, la Mairie est au courant de notre présence ici, en cela chaque samedi, on nous fait payer une cotisation de 5 gourdes », a confié à AlterPresse une vendeuse de produits cosmétiques qui nourrit l’espoir de regagner son ancien point de vente, mais qui craint de ne pas être victime une deuxième fois des actes de banditisme.

« La police nous ordonne de retourner à la rue des Fronts Forts, elle nous promet de la sécurité. Mais, nous tardons encore à le faire puisque toutes nos marchandises ont été vandalisées, nous ne savons où donner de la tête, nous avons des enfants à nourrir et à éduquer », a-t-elle ajouté.

Coup de poignard

Les petites marchandes et les petits marchands éparpillés (es) dans les rues de la capitale haïtienne ont, pour la plupart entre leurs mains, des prêts a fort taux d’intérêt (communément appelé coup de poignard).

Une jeune femme a déclaré à AlterPresse avoir effectué un prêt de 1,000 gourdes pour le rembourser par tranche de 100 gourdes par jour.

Avec ce coup de poignard, elle donne à manger à plus de six enfants de père inconnu. Cette dame, qui déclare faire face à une mévente exagérée, caresse l’idée de retourner à son ancien point de vente à la Rue des Fronts-Forts.

Mais, a-t-elle indiqué, « je n’ai pas d’argent pour élargir mon commerce, tous mes avoirs ont été dilapidés, j’aimerais que les responsables du pays m’assistent financièrement, cela me permettra de payer mes dettes ».

Le développement de nouveaux centres commerciaux à travers la région métropolitaine de Port-au-Prince reste une question préoccupante.

Récemment, la Banque Interaméricaine de Développement (BID) et le gouvernement intérimaire d’Haïti avaient paraphé six contrats de prêts concessionnels totalisant $162,1 millions pour financer des routes rurales, le réaménagement de centres urbains, un système d’alerte précoce en cas d’inondations, l’agriculture et la gouvernance économique.

Dans le volet réaménagement de centres urbains, il a été question de construire quatre marchés publics dans la commune de Carrefour (Sud de la capitale) pour remplacer certains marchés délabrés. Il a été également prévu de réorganiser le ramassage d’ordures ménagères au niveau des différentes artères desservant la population.

A date, on ignore si ces travaux ont démarré, les marchés publics qui n’ont pas essuyé d’actes d’incendie sont toujours dans un état lamentable et les marchés de trottoirs continuent à se multiplier et à prendre de l’ampleur.

Le marché public est un lieu privilégié de rencontres entre vendeurs et acheteurs.

Durant les dix derniers mois ayant suivi l’ « Opération Bagdad », l’accès à certains centres commerciaux de la capitale n’était pas favorable aux Haïtiens et aux Haïtiennes qui, pour la plupart, avaient préféré faire leurs emplettes à Pétion-Ville (est de Port-au-Prince) ou à Tabarre (nord-est de Port-au-Prince) pour échapper aux assauts des bandits armés. [do rc gp apr 10/09/2005 0 : 05]