Par André Linard
Courtoisie de Infosud [1]
Encore lundi, des migrants d’Afrique noire ont tenté de forcer en masse les grilles des enclaves espagnoles dans le Nord du Maroc. C’était la deuxième fois en une semaine.
Un quart des migrants africains au Maroc traités dans les centres de Médecins sans Frontières ont subi des actes de violence, dont les auteurs sont multiples : autorités marocaines ou espagnoles, délinquants, passeurs, voire immigrés eux-mêmes. C’est ce que révèle un rapport de la branche espagnole de MSF, diffusé alors même qu’à deux reprises en moins d’une semaine, plusieurs centaines de ces migrants ont tenté de forcer le passage vers les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.
L’étude se base sur 9350 diagnostics réalisés entre avril 2003 et mai 2005 dans des villes comme Tanger, Nador et Oujda et dans des forêts (Bel Younech, près de Ceuta, et Gourougou, près de Melilla). Certains cas présentés donnent froid dans le dos. Celui de AST, un Nigérien de 28 ans, tombé de 10 mètres en tentant de s’échapper et laissé inconscient en pleine rue, alors qu’il souffrait d’un traumatisme crânien. Celui de FRK, Ghanéen, tombé sous un train lorsqu’un agent des chemins de fer tentait de l’arrêter, et qui a dû être amputé des deux jambes. Ou encore celui de ALX, Camerounais de 28 ans lui aussi, battu par la Garde civile espagnole et abandonné semi inconscient, qui garde des blessures graves parce que ses mains ont été liées durant trois jours avec du nylon trop serré. En général, les séquelles physiques « vont du traumatisme grave causé par la chute du grillage de séparation (entre le Maroc et Ceuta et Melilla, Ndlr)...aux blessures par balles en passant par les coups, les harcèlement des chiens, y compris des cas de décès et de violence sexuelle. »
Ces exemples montrent la complexité des causes de violence, parfois directes, parfois indirectes. Les victimes sont à coup sûr en situation illégale, mais c’est la pertinence de l’attitude des autorités que MSF met en cause, en distinguant les auteurs. Selon les réfugiés qui viennent se faire soigner par l’organisation, « les responsables sont les agents publics marocains et espagnols », qui se voient reprocher « un usage excessif de la force, accompagné d’humiliations et de harcèlement ». Mais, précise MSF, si plus de 65% des cas sont imputables aux « Corps et forces de sécurité des deux pays », les « groupes de délinquants et les réseaux de trafic de personnes » y sont pour près de 30% des cas. Sans parler des migrants eux-mêmes, responsables notamment de violence sexuelle, qui donne notamment lieu à de nombreux avortements.
Les illégaux ont des droits
Parmi les 9350 personnes traitées par MSF dans ses centres, 23,5 % le sont pour des séquelles de violence. Et celle-ci est en augmentation dans l’application des mesures destinées à contrôler la migration. Or, comme les candidats migrants ne renoncent pas, des mesures plus strictes entraînent à leur tour plus de risques. C’est ainsi que MSF dit constater une « corrélation entre ce type de lésions (des fractures, Ndlr) et la fin des travaux pour élever le grillage qui sépare les deux pays ». Cette séparation est un des deux lieux qui cristallisent la violence, l’autre étant les forêts proches où les migrants se cachent avant de tenter le passage.
Le rapport de MSF présente une typologie des méthodes qu’il dénonce. De la part des forces marocaines, la violence se produit lors des rafles et des arrestations, durant les détentions ou encore au moment du refoulement, généralement vers la frontière algérienne. Les agents de sécurité espagnols, eux, la pratiquent essentiellement aux alentours du grillage séparant les enclaves du territoire marocain. Médecins sans Frontières souligne cependant aussi l’importance de la « violence indirecte », par exemple lorsque les autorités marocaines installent dans la forêt de Bel Younech un camp privant les migrants d’accès à l’eau potable. Une autre source, José Palazón, de l’ONG espagnole Prodein, accuse aussi les auxiliaires de l’armée marocaine, appelés « mehanis », de faire payer aux migrants le droit de sortir de la forêt ; en cas de refus de paiement, « ils les dépouillent de tout et les laissent, nus et dispersés ».
Confronté aux récentes tentatives massives de passage du grillage, l’Espagne a décidé de renforcer sa présence militaire à Ceuta et Melilla. La vice-première ministre, Mme Fernández de la Vega, a aussi annoncé l’augmentation « des éléments structurels qui empêcheront l’accès ». Ce qui, curieusement, a suscité des réactions négatives de deux syndicats de la police espagnole, estimant qu’il vaut mieux envoyer des agents « spécialisés dans le contrôle des masses » plutôt que des militaires.
MSF, pour sa part, ne s’engage pas sur ce terrain, pas plus que sur celui de l’ouverture des frontières espagnoles aux migrants. L’organisation se contente de demander que, lorsque des autorités interviennent, ce soit dans le respect des droits des personnes, même de celles qui sont en situation illégale.
André Linard