Español English French Kwéyol

Max Dominique, un regard " simple, serein, sûr, violent : sain "

In Memoriam Max Dominique [1]

Par Didier Dominique, frère du médecin

Elle est retrouvée
Quoi ? - L’éternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil...

Rimbaud

Yon Pèp ki wè klè, pa p reve je klè
Pè Max

[ Inutile de remémorer à vous tous, chers amis, qu’à cette place, se retrouvait souvent Max lui-même, pour les homélies les plus belles, les plus magnifiques et les plus significatives. Vous devinez alors mon émoi quand le Père Smarth, William, me demanda d’y venir prononcer quelques mots à l’occasion de ses obsèques. Quand, de plus, je me souviens des témoignages si sincères et chaleureux déclamés à la veillée d’hier, c’est avec joie que je lui laisserais encore cette chaire et avec lui, là , échanger de lieu, simplement pour vous le laisser encore. ]

*

C’est tout d’un coup que Max m’est apparu.

à€ son départ pour l’Europe en vue de confirmer un sacerdoce depuis toujours annoncé, j’étais trop jeune et ne garde aucun souvenir de nos premiers échanges. (Max avait l’habitude de regarder les gens dans les yeux, ils ont dû donc certainement exister.)

Le père William Smarth et Didier Dominique, au cours des funérailles de Max Dominique

C’est tout d’un coup, parmi l’équipe des prêtres, Adrien, Bajeux, Verdieu, Déjean... puis Claude, Poux, Urfié... et tant d’autres, spiritains ou non, Haïtiens ou étrangers, que nous côtoyions déjà à St Martial dans leur lutte contre le régime duvaliériste et qui nous filtraient, à doses sous entendues, la résistance de leurs espoirs, organisatrice, réflexive, consciente, active, progressiste... c’est à l’intérieur de ce travail des yeux et cœurs ouverts, que l’on me fit part de l’arrivée prochaine d’un jeune dernier, et qu’il était mon frère.

Et c’est encore d’un coup qu’il nous envahit de sa passion. Pour la nature (parcourir un pays à pied), pour la musique (les premières notes de jazz), pour la littérature, le théâtre, la langue, le verbe, les interstices entre les lignes, la respiration de l’intention littéraire... Pour l’Enseignement, l’obligatoire retransmission. Qu’il nous fit aussi - surtout ? - faire la connaissance d’autres élèves de lycées. Qu’il nous imbiba ainsi de sa Révélation... Nous le suivions, heureux.

Dans toutes ces études, autant que dedans même les rapports humains, une chose cependant primait : la qualité. C’est ce critère, quête permanente et sans répit, qui lui permettra de lui-même grandir et de se proposer critique de l’écrit, une arme dira-t-il : avec des outils modernes et engagés, percer et dévoiler les profondeurs structurelles et esthétiques, collectives et historiques de l’œuvre. D’autres, plus qualifiés, auront à déchiffrer et également étaler cette production.

*

Les hommes sont faits de facettes diverses. Certaines d’entre elles sont cependant principales, déterminantes et c’est à partir d’elles que l’on comprend tout le reste. Chez Max, nul doute que le véritable moteur de son enthousiasme était avant tout sa foi chrétienne. Non pas en une religion dogmatique mais toujours vivante, non pas dans une Eglise avant tout d’appareil mais d’immersion totale, de symbiose. Non pas dans une abstraction intellectuelle mais uniquement dans la vie concrète, pratique du Christ, celui aux pieds toujours nus, inlassable sur les routes et qui opta, contre vents et marées, de naître sur la paille, pauvre parmi les plus pauvres. Quelle différence avec l’Eglise toute parée d’or de nos jours-ci !

C’est cette foi qui lui permit de s’ouvrir à tous, avec la plus grande simplicité. Mais c’est surtout elle qui, parmi tous, lui dicta un choix. Et ce n’est pas par hasard si, au sortir de son ordination, il tint à célébrer sa toute première messe à l’intérieur des catacombes. Et si, une fois rentré au pays, sa première Communion prit place au Bois de Chêne, son vrai quartier, aimait-il à répéter, ses premiers amis purs. Ce n’est donc pas un hasard si l’injustice lui répugnait et les inégalités sociales le mobilisaient.

Le « mobilisaient » ! Car il s’agit bien de cela. « Se mobiliser ! », clamait-il toujours, avec une sérénité qui parfois effrayait. Théologie, donc, de Libération. En toute logique, en toute certitude et, dès lors, en toute quiétude. Ou libération pure et simple ? Car il faut bien se rappeler que l’expulsion des prêtres, en 1969, coïncide avec la répression anti-communiste de Cazale, Boutilliers, Nazon... ‘Libération’, qui n’est pas charité, où la pérennité de cet état aiderait à donner bonne conscience. Libération qui rime avec Emancipation.

Et ce sera ce choix qui, en exil, le conduira, avec Adrien, en République Centre-Africaine. Où il sera, sans tarder, à nouveau expulsé.

Encore ce choix qui le conduira, sans hésitation, aux Bahamas, terre sainte d’expiation de la tragédie, l’appelait-il. Où, à l’encontre des interdits des autorités locales, Father Max, sensible à l’extrême et versant toutes les larmes de son corps, célébrait la messe sur la plage, à même le sable, au milieu des cadavres des boat people échoués.

Toujours ce choix qui, libéré de l’exil, l’incitera à recréer un St Martial cette fois-ci des plus démunis et surtout l’amènera tout droit à Pon Sondé, Jan Deni, Bokozèl, uniquement parmi les paysans les plus dominés, exploités, humiliés. Ou encore, lui fera recouvrir et protéger de son corps le Père Aristide que l’on tentait d’assassiner à Fresino, mais qui lui permettra aussi de lui dire, en face, à cette même église, à l’occasion des funérailles du Père Adrien, les quatre vérités de sa trahison.

Vers la fin, en marge d’un retrait dû à la profonde désillusion que lui procurait l’avortement précoce du projet populaire, il donnait des cours à l’Ecole Normale Supérieure. Mais se concentrait déjà à de nouvelles batailles, se tenant proche de ses amis de Saj Veye Yo et autres organisations ou structures populaires ou à vocation populaire qui souhaitaient maintenir les objectifs une fois déclarés d’une société juste, s’impliquait en tant qu’aumônier de l’Action Catholique Ouvrière et participait de discussions et distributions des Bulletins de Batay Ouvriye.

Au cours des dernières conversations que nous eûmes, il ne manquait pas de porter ses critiques acerbes et fondées contre la situation de pourrissement que traverse de nos jours notre société, pointant partout le mensonge permanent où par « démocratie » et « élections » l’on cherche à masquer le projet d’exploitation des travailleurs ; où est nommée « transparence » la plus grande opacité de toutes les magouilles et corruptions ; où le terme « unité » est employé pour signifier amalgame ; et où certains, sous couverture de « sauver le pays » cachent en fait le plus vil opportunisme de pouvoir et un collaborationnisme étroit avec une occupation des plus humiliante.

Puis... exactement comme il m’était apparu, Max est parti. D’un coup. Avec le dernier regard toujours aussi humble, simple, serein, sûr, violent : sain.

*

Aujourd’hui qu’Adrien n’est plus, qu’ont été assassinés Jean Dominique, Ti Jean Pierre-Louis et Jean Marie Vincent, un de ses frères les plus proches qu’il pleura sang et eau, la perte de Max nous laisse uniquement devant nos propres responsabilités. Face à ce choix primordial qui guida toute sa vie solidaire, l’ouverture des yeux est déjà synonyme de victoire.

Didier Dominique
St. Martial, 22 septembre 2005


[1Prêtre et critique littéraire, décédé le 17 septembre et inhumé le 22 septembre 2005 à Port-au-Prince