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En hommage au prêtre et écrivain décédé Max Dominique

Le rire de Max...

Par Rodney Saint-Eloi, écrivain et éditeur de Mémoire d’encrier

Soumis à AlterPresse le 22 septembre 2005

J’entends encore ce rire bienveillant de mon ami Max. Il avait l’âme d’un gamin. Dans ses yeux vacillait une flamme si vive que l’on devait rassembler toute notre force et notre intelligence pour lui trouver des répliques dignes chaque fois qu’il était là , parmi nous (Georges Castera et moi) au bureau des éditions Mémoire, rue Marcelin. Je lui connaissais deux passions : la littérature et ces cigarettes dures « Comme il faut » qu’il grillait à la minute.

En fait, Max était le plus franc d’entre nous tous. Le plus tourmenté. Et aussi le plus savant. Il parlait ardemment de ses lectures et il avait une manière tout à lui d’en parler. Avec Max, tout était dans la manière. Discret mais ferme. Ethique mais non conformiste. Il avait le courage de sa parole. Il ne pratiquait pas l’art de la médisance si commun dans notre milieu intellectuel. Il disait ouvertement ce qu’il pensait même quand il devait se faire des ennemis. Même s’il devait se tromper.

Il a systématisé la critique littéraire chez nous, en apportant de précieux éclairages sur tous les grands courants esthétiques du XXème siècle avec son premier livre : L’arme de la critique littéraire. Littérature et idéologie (Cidihca, 1988). Avec Max, il y a toujours lieu de débat. On parlait soit littérature, soit théorie littéraire. Le reste était un grand rire fraternel. Il a publié par la suite ses études sous le titre de Esquisses critiques (Mémoire, 1999). Il a quelque peu fait un pied de nez à la critique de droite qui avait la part belle. Ses cours à l’Ecole normale supérieure ont contribué à la formation de nombre de jeunes enseignants. Il était instruit et ouvert sur le monde. Phénomène rare pour un homme d’église, car Max était spiritain.

En pensant aujourd’hui à Max, me revient son rire franc, indécis, aérien comme si la vie n’était pas à recommencer, avec une tasse de café noir. Me reviennent également deux anecdotes. Une héritière, critique, nouvelliste, publiait son premier roman, et attendait le point de vue du Père Max. (Car, tout écrivain attend son point de vue. Puisqu’il est l’un des seuls à ne pas aliéner sa plume). Il la voyait en public, et l’apostrophait... « Mais il ne faut jamais plus écrire sur le vaudou, c’est d’une platitude à mourir de honte. C’est de la sociologie et pas de la littérature. Tu devais te contenter de tes nouvelles. Le roman ne te va pas, chère Madame ».

La dame, élégante on ne peut plus, a dû ravaler ses mots. Max s’est fait ainsi une ennemie. Elégamment. Mais une ennemie quand même.

L’autre anecdote concerne un poète phraseur. Max a eu un commentaire public défavorable à sa poésie. Commentaire qui a failli le pousser au suicide. Pour se venger, il écrit un véritable pamphlet contre Max qu’il a publié dans son journal et qu’il a fait circuler partout. Mais, Max était impassible. Il riait plutôt de tout cela.

Max avait autant d’amis que d’ennemis. L’essentiel est qu’il a amené l’exigence poétique au plus haut point. Il voulait lier cette même exigence poétique à la politique. Il militait du côté des démunis. Il avait dans ses yeux la blessure de ses exils, et rêvait secrètement du grand soir où la pauvreté serait sinon vaincue du moins atténuée. C’était un gosse qui lisait Claudel et Char tous les soirs sur la terrasse du Collège Saint-Martial, et qui grillait ses cigarettes, en ruminant son destin contrarié de poète. Car, il a commencé par la poésie. Son premier recueil de poèmes a été censuré par le Père Adrien, son mentor, car les pulsions sexuelles à cet âge étaient incontrôlables, avoue Max... Et pour le jeune père spiritain, c’était une voie à ne pas suivre.

Dany Laferrière (dans sa rubrique Carte blanche du journal Haïti Observateur 20-27 septembre 1985 - Portraits croisés : Max et Marcus) présentait ainsi Max Dominique :

« Je le connais depuis peu, me paraît un gosse fragile et pur qui cache une force indomptable, une foi ardente et une fidélité à toute épreuve. Ne vous fiez jamais aux apparences. »

Plus loin, poursuit Laferrière, (...) Il portait des sacs de livres parce qu’il faisait ses emplettes (livres et disques) durant ses séjours à Montréal. Ce jour-là , il avait acheté Les Confessions de St Augustin. Les Confessions est un livre très important pour moi, et cela m’a rapproché de Max Dominique. Je l’ai questionné, subtilement, sur ses lectures, ses goûts. Ce grand lecteur de St Jean de la Croix est aussi un groupie des Beatles. Il adore la littérature sud-américaine, se nourrit en poésie de Claudel et trouve Miguel Angel Asturias, Vargas Llosa ou Gabriel Garcia Marquez incontournables. Par contre, il ne lit pas trop Carlos Fuentès et n’aime pas Jorge Borgès. Il consomme beaucoup de sel, dort beaucoup. Max Dominique a un jardin secret. C’est un grand bassin d’eau émeraude sur la route de Marchabourg. Et là , comme un gosse, il passe des heures à faire des plongeons. »

Je ne sais pas quelle est la dernière fois que Max et moi, nous nous sommes rencontrés. Cela doit faire un bon bout. Je ne sais pas non plus si je lui ai dit au fil de notre si précieuse amitié combien je l’aimais. Je voudrais bien qu’il le sache. Trop tard, diriez-vous. Mais peut-être qu’un fou rire le saisira là où il est et peut-être qu’il relira calmement ce vers de Char : « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament ».

Montréal, 21 septembre 2005