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Citoyenneté, Éco-citoyenneté et crise énergétique en Haïti

Soumis à AlterPresse le 16 septembre 2005

Par Marc Antoine Archer (1)

La citoyenneté, d’après une définition de D. Schnapper, est une utopie créatrice en fonction de laquelle les différences objectives qui séparent les individus s’effacent devant leur égalité en ce qui concerne les droits et la participation politique.

Bien que, en Haïti, le chemin à parcourir pour aboutir à la concrétisation de cette utopie soit long et pénible, il nous faut y croire obstinément, si nous voulons construire un pays.

La volonté de création d’une citoyenneté haïtienne se retrouve déjà dans notre devise - Liberté - Egalité - Fraternité - mais les instruments pour y accéder (rapport démocratique au pouvoir politique, éthique personnelle et collective dans la gestion de l’Appareil d’Etat, etc.) n’ont jamais été créés. Et, nous voilà maintenant, en plein 21e siècle, dans un monde en évolution permanente sans aucune consolidation de nos rapports citoyens !

Cependant, le monde change - sans aucune considération envers nous, puisque ainsi nous l’avons voulu - à la recherche d’un cadre de valeurs universelles (L’Alliance des Civilisations peut-être) pouvant faciliter les interrelations entre Individus, Nations, Pays, Continents, Croyances, Religions, Modes de vie, et Choix individuels. Dans ce contexte, prend naissance une nouvelle notion, celle de l’éco-citoyenneté pour donner un sens à de nouvelles attentes, à de nouveaux besoins, à de nouveaux défis.

L’éco-citoyenneté présuppose l’existence de la citoyenneté mais, dans certains cas, peut aider à la construction de celle-ci. En ce sens, cela fait quasiment un an, j’insistais, dans deux articles publiés, l’un sur Alter Presse et l’autre dans le magazine « Le Forgeron », sur l’importance d’une nouvelle approche de la citoyenneté basée sur la protection de l’environnement physique et humain.

Alors, le pays était confronté à de sérieux problèmes : Fonds-Verrettes, Mapou, Gonaïves, conséquences logiques de plus de 60 ans de gestion inconséquente de l’environnement.

Le bilan, jusqu’à présent, n’est pas évalué. Nous imaginons cependant sa lourdeur, maintenant, un an après, « apse sou klou » (NDLR : l’abcès est crevé).

Nous nous retrouvons dans un contexte énergétique délicat, préoccupant, qui rend encore plus vulnérable le pays, plus précaire son économie, menaçant même sa survie. Je me sens donc dans l’obligation, citoyenne, de reprendre ce concept, afin d’en faciliter la compréhension ou peut-être simplement sa promotion.

L’éco-citoyenneté est l’exercice des droits et des devoirs citoyens dans un cadre de respect des normes environnementales. Il s’agit d’une démarche individuelle ou collective, active, dynamique, qui intéresse donc aussi bien l’individu que les autres composantes de la société, les différents acteurs sociaux.

1- Chez l’Individu, l’éco-citoyenneté est la démarche qui l’oblige à adopter les bons comportements, à avoir les bons réflexes, à réaliser les bons gestes face aux problèmes, tels :
- Le changement climatique
- La réduction de la couche d’ozone
- La perte de biodiversité
- La pollution des mers, des océans
- La réduction des ressources hydriques ainsi que la mauvaise utilisation de la ressource
- La dégradation des terres à usage agricole ou forestier
- Les problèmes généraux d’assainissement
- Les problèmes d’accès à un logement digne
- Le cadre global de pauvreté de l’Haïtien
- Les problèmes d’accès à l’énergie en général et à l’électricité en particulier
- Les pressions sur les ressources ligneuses et la désertification subséquente

L’éco-citoyen agit donc de façon à minimiser son impact sur son environnement physique et humain, et s’efforce de contribuer à la transformation de sa nation.

2- Dans les activités économiques, la démarche éco-citoyenne permet de concilier la recherche du profit et la protection de l’environnement.

Les bonnes habitudes concernent donc : l’utilisation de technologies non polluantes, la minimisation des déchets associés aux activités de production, le plafonnement volontaire des bénéfices, l’ajout de clauses sociales dans les modes de fonctionnement, la réalisation d’écobilans aussi bien des produits élaborés que des services offerts.

3- Dans l’Etat, la démarche éco-citoyenne est celle qui facilite l’adoption de lois et l’établissement de cadres normatifs qui permettent d’harmoniser les différents intérêts en présence, de sanctionner les « mauvais comportements » et de stimuler les « bonnes habitudes ».

L’éco-citoyenneté permet donc de déclencher, chez l’acteur social, des mécanismes le conviant à  :
- Consommer les ressources environnementales de « façon durable ».
- Développer la sobriété dans l’utilisation des biens environnementaux.
- Etablir les bases d’un fonctionnement éthique dans ses relations avec les autres acteurs.

Ceci étant dit, il est clair que les modes de vie actuels en Haïti ne s’inscrivent nullement dans un cadre éco-citoyen. Et, seule la co-responsabilité, l’exercice responsable des droits et des devoirs de chacun, pourra inverser la tendance à l’écocide ou annuler cette attraction folle vers le suicide collectif qui semble nous animer en Haïti.

La démarche éco-citoyenne est aussi sens de la prévision et comportement holistique.

En effet, le sens de la prévision est celui qui permet de développer la culture de l’entretien, le sens de l’anticipation, la volonté de travailler sur le long terme. Et, le comportement holistique est celui qui nous permet de gérer les interactions qui se produisent entre une action réalisée et la multiplicité des réactions qui se produisent.

Ne nous complexons pas, car la catastrophe de la Nouvelle Orléans (NDLR : août 2005) vient de nous montrer, crûment, sans détours, les conséquences de l’absence du sens de l’anticipation, les failles dans la culture de l’entretien, les résultats d’un comportement non holistique. Nul n’est parfait !

Le citoyen a des droits et des devoirs. Cependant, en absence d’un cadre légal et d’un système coercitif, la tendance naturelle semble être celle de fuir ses obligations citoyennes.

Voyons quelques exemples.

Les années 1990 ont vu s’installer la culture de la délocalisation.

La recherche effrénée de superprofits a amené les entreprises à s’installer en Asie ou dans d’autres pays offrant la possibilité de multiplier rapidement les bénéfices. La délocalisation de la production a entraîné toute une série de conséquences :
- Exportation de technologies polluantes vers les pays moins avancés
- Augmentation du chômage dans les pays industrialisés
- Surconsommation énergétique à cause de l’augmentation du transport et de l’utilisation de technologies non efficientes énergétiquement.

L’un des pays qui en a le plus souffert a été l’Allemagne (Il en souffre encore et, aujourd’hui, à la veille des élections, les indicateurs économiques en sont les témoins fidèles).

Le Chancelier G. Schrà¶der, pour faire face à la situation et limiter les dégâts causés par cette délocalisation, eut à accuser les entreprises délocalisant leur production, de comportement non citoyen et à menacer de prendre des mesures sévères à l’encontre des coupables de ce que je m’hasarderais à appeler « crime de lèse-citoyenneté ».

Plus près de nous dans le temps, et dans le même ordre d’idées, l’actuel Ministre français de l’Economie et des Finances, M. Breton, dans une intervention du 7 septembre 2005, eut à demander aux entreprises pétrolières :
1- « ... De se comporter en entreprises citoyennes et donc de nous faire parvenir des propositions. Par exemple, on peut envisager qu’elles pratiquent des baisses du prix à la pompe, c’est-à -dire redonner aux Français, aux consommateurs, des profits exceptionnels correspondant à une situation exceptionnelle. »
2- D’investir, de façon significative, dans le cadre des Energies Renouvelables, des programmes pour la voiture propre, etc., car « l’ère de l’après-pétrole commence dorénavant ».

Le 10 septembre, soit trois jours après, TOTAL, BP et d’autres entreprises pétrolières du marché français avaient déjà modifié leurs prix à la baisse.

En Haïti, encore une fois de plus, l’individualisme proverbial de l’Haïtien nous empêche de voir que nous sommes tous concernés par la situation de crise que traverse le pays, aussi bien au niveau environnemental qu’au niveau des ressources énergétiques disponibles, et que, même si quelques-uns peuvent satisfaire leurs besoins énergétiques, le pays peut ne pas avoir les moyens pour le faire.

Certaines autorités ont même demandé un changement de comportement, mais cela ne suffit pas.

L’Etat, l’Etat haïtien, à travers ses organes de représentation, a l’obligation, dans ce contexte, de dire quoi faire, comment le faire et pourquoi le faire. Des sanctions peuvent et doivent aussi s’imposer dans certains cas. L’Etat doit piloter le changement, mais il doit aussi prêcher par l’exemple, l’exemple de la sobriété.

Et, du côté de la population, il faut avoir le courage d’être citoyen avec tout ce que cela comporte d’engagement.

Pourquoi ne pas être éco-citoyen ?

(1) Marc Antoine Archer est Physicien Industriel

marc@archer.jazztel.es