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Blues pour la Louisiane

Par Augustin Patrick

Soumis à AlterPresse le 12 septembre 2005

Si ma guitare ne pleure plus dans la nuit,
Si elle ne salue plus la naissance de l’aube,
C’est que le vent cruel a arraché les cordes
Et engourdi mes doigts...

Si nul son ne s’échappe de mon saxophone
Plus muet que le silence quand le silence est deuil,
C’est que la mer a noyé mon souffle et englouti le métal
Dans la moisissure du jour humide...

Si ma musique n’est plus que dérision de notes figées
Ou désarticulées dans le jour hagard et hébété,
C’est que mes pas lourds de rescapé
Ont brisé ce qui reste de squelette de mon piano...

Louisiane, Ton nom : ma folie d’hier, ma blessure d’aujourd’hui...

Louisiane... quand je parlais de toi, j’avais dans mes regards
La magie de tes soirs brûlants, l’intimité de tes balcons
De dentelles, le secret de tes rues frénétiques,
La saveur épicée de ta poésie créole
Et, dans le timbre de la voix l’éclat des vibrations surréelles
Quand le vent soufflait le jazz jusqu’à éparpiller
Les notes en pépites d’étoiles dans le ciel effacé...

Aujourd’hui tu es nue, toi ma ville fantôme
De toutes les douleurs, je parle encore de toi
Avec, dans ma poitrine le bruit lugubre des vagues
Et la danse infernale des arbres déchaînés ;
Avec, dans mes yeux mornes la tragédie
De ces corps nénuphars livrés à la folie de l’ouragan ...

Louisiane à la voix déchirée,
Pourras-tu me conter la détresse de la mère sans enfant,
Le cri de l’orphelin, le sanglot de la veuve,
Le râle du mourant, la plainte du vieillard,
Le cœur de l’enfant fragile en plein cœur de l’ouragan,
Et le silence des noyés ?

Qui te prêtera son souffle pour que résonne la trompette
De la résurrection et la flûte de la joie ?
Qui te fera don de sa peau pour que le tambour percute
Le silence et déchire les tympans de la nuit ?
Louisiane, la musique de tes nuits s’est tue
Pour que ta voix recrée ce qui reste d’espoir,
Et de rêve et de vie...