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Yanick Lahens : Une écrivaine de justesse et d’émotion en plein dans l’actualité d’Haïti

Pour l’écrivain et animateur littéraire Marc Exavier, l’œuvre de Yanick Lahens, lauréate du Grand prix du Roman de l’Académie française 2025 pour son roman Passagères de nuit, allie justesse, émotion et engagement. De ses premiers écrits, Tante Résia et les dieux et La petite corruption, à Dans la maison du père, Bain de lune ou Passagères de nuit, l’écrivaine explore Haïti et la condition féminine avec une maîtrise narrative remarquable.

P-au-P, 2 nov. 2025 [AlterPresse] — Précision, justesse, actualité et émotion caractérisent l’œuvre de l’écrivaine haïtienne Yanick Lahens, qui vient de remporter le Grand prix du Roman de l’Académie française 2025pour Passagères de nuit (Sabine Wespieser).

Avec ce récit qui évoque la Nouvelle-Orléans et Port-au-Prince au XIXe siècle, Yanick Lahens confirme une trajectoire littéraire déjà saluée par plusieurs distinctions majeures.

Une œuvre d’une rare justesse

Dans un entretien accordé à AlterPresse/AlterRadio, l’écrivain et animateur littéraire Marc Exavier souligne que « son premier roman, Dans la maison du père, a marqué un tournant. Ensuite sont venus La couleur de l’aube, Guillaume et Nathalie, puis Bain de lune, qui a remporté le prix Femina en 2014. Enfin, après Douces déroutes, elle publie aujourd’hui Passagères de nuit. »

« Yanick Lahens est professeure à l’École normale supérieure depuis 1985. Jeune, elle a séjourné en France, a publié, et s’est imposée comme une grande connaisseuse de littérature. Elle a même animé des chroniques littéraires à la radio — notamment sur Radio Haïti Inter, à Entre Nous, avec Jiji Dominique. »

Marc Exavier rappelle que, dès son premier livre, on sent une grande maîtrise :
« Maîtrise de la construction romanesque, justesse dans l’écriture, précision dans chaque phrase — rien n’est laissé au hasard. Chaque mot tombe exactement là où il faut. Elle écrit avec justesse, mais aussi avec émotion. »



Des œuvres centrées sur la condition féminine

Dans l’ensemble de ses romans, la condition féminine en Haïti est au cœur du propos.

« Dans Dans la maison du père, c’est l’histoire d’une jeune fille passionnée de danse folklorique, en conflit avec un environnement rigide. Dans La couleur de l’aube, on suit deux sœurs : Angélique et Joyeuse. L’une, docile ; l’autre, révoltée : deux visages de la femme haïtienne, avec en toile de fond leur mère, victime des violences du quotidien. »

« Guillaume et Nathalie met cette fois en scène un personnage masculin plus âgé vivant avec une jeune femme émancipée, qui traverse les mêmes épreuves que beaucoup de femmes haïtiennes : la pauvreté, la violence, la dépendance. »

Pour Exavier, « on retrouve à travers ces récits la même interrogation sur être femme dans un pays abîmé, où dominent la corruption, la misère, la misogynie et la violence. »

Une écrivaine en prise avec la réalité haïtienne

Yanick Lahens part souvent de l’actualité pour construire ses fictions.
« Par exemple, Guillaume et Nathalie s’ouvre sur le tremblement de terre de 2010 : on y croise des ONG, des réunions d’urgence, et une histoire d’amour qui se tisse dans ce contexte. La réalité haïtienne n’est jamais absente de son œuvre : elle en forme l’arrière-plan constant. »

Cette attention au réel, en dépit de son décalage apparent avec le temps, se retrouve aussi dans Passagères de nuit, publié le 28 août 2025, qui avait été retenu dans les deux premières sélections du prix Goncourt avant d’être éliminé dans la finale.

Actuellement en résidence aux États-Unis, Yanick Lahens n’a pas pu se rendre à Paris pour recevoir sa distinction.

« Cette distinction me conforte dans l’idée que la littérature est encore dotée d’un pouvoir immense, celui de transcender le temps et l’espace », écrit l’auteure dans le discours lu en son nom par son éditrice Sabine Wespieser, lors de la cérémonie quai Conti.

Une écriture de précision et de tension intérieure

Pour Marc Exavier, « avant Passagères de nuit, elle s’était déjà distinguée par ses nouvelles, de véritables bijoux de concision et de justesse. Elle sait décrire l’actualité avec précision tout en conservant une dimension romanesque.

Dans La couleur de l’aube, par exemple, les chapitres alternent les voix des deux sœurs : l’une, croyante et résignée ; l’autre, déterminée à s’en sortir, quitte à tout risquer. C’est cette dualité, entre soumission et résistance, qui fait la force de son écriture. »

Et d’ajouter : « Yanick Lahens sait raconter la vie des femmes dans un pays abîmé, et en même temps offrir une œuvre d’une rare beauté littéraire. »

Une consécration parmi d’autres distinctions

Marc Exavier souligne que Yanick Lahens est déjà familière de la reconnaissance nationale et internationale, mais demeure « une personnalité très particulière : professeure, critique littéraire, théoricienne, une femme de lettres complète. »

Le Grand prix du Roman de l’Académie française, l’une des plus prestigieuses distinctions littéraires francophones, est doté d’une récompense de 10 000 euros.

Yanick Lahens compte déjà dans son palmarès le Prix Carbet et du Tout-Monde 2020 pour l’ensemble de son œuvre, le Prix Femina 2014 pour Bain de lune et le Prix du Salon du livre de Leipzig 2002 pour Dans la maison du père.

Elle avait également été élevée au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur le 25 février 2022, en reconnaissance de l’ensemble de son œuvre littéraire. [apr 02/11/2025 05 :40]