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Haïti : « Reprendre le contrôle de notre destin national »

Entretien avec le Dr Dunois Éric Cantave, membre du mouvement Montana

Alors que le Conseil présidentiel de transition (Cpt) gère les derniers mois de la période transitoire et que la Force multinationale de sécurité se déploie, les incertitudes politiques persistent. Pour le Dr Dunois Éric Cantave, du mouvement Montana, la solution ne viendra pas de l’extérieur : seule la refondation d’un leadership patriote, responsable et souverain peut sortir Haïti de l’impasse.

P-au-P, 31 oct. 2025 [AlterPresse] --- À quelques mois du 7 février 2026, date symbolique de la fin du mandat du Conseil présidentiel de transition (Cpt), les incertitudes politiques demeurent.

Pour le Dr Dunois Éric Cantave, membre du mouvement Montana, la priorité absolue est de reprendre le contrôle du destin national et de reconstruire un leadership haïtien responsable et patriote, capable de ramener le pays sur la voie de la souveraineté et du progrès.

« Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est un gouvernement patriote, un contre-pouvoir vigilant et une population consciente de sa responsabilité. C’est à ce prix seulement que nous pourrons rapatrier notre souveraineté et reconstruire Haïti », affirme-t-il dans une interview accordée à AlterRadio.

Combler le vide politique : Une responsabilité nationale

À l’approche du 7 février 2026, le Dr Cantave met en garde contre le risque d’un nouveau vide politique. « Si nous laissons un vide, nous reproduirons les mêmes impasses. Ce vide doit être comblé par des patriotes conséquents, hommes et femmes, capables de servir d’interface entre la population et les autres acteurs, y compris régionaux ».

Il plaide pour une gouvernance collégiale et un véritable contre-pouvoir.

« La collégialité, en soi, n’est pas un problème. Ce sont les femmes et les hommes qui en font partie qui déterminent le succès ou l’échec ».

Pour lui, la crise politique actuelle n’est pas une fatalité.

« Contrairement aux catastrophes naturelles ou économiques, elle dépend entièrement de la capacité des actrices et acteurs haïtien.ne.s à s’entendre et à faire preuve de responsabilité. Les actrices et acteurs politiques et la société civile doivent agir pour passer le 7 février dans le calme et la dignité ».

Cette responsabilité inclut aussi de mettre de côté les ambitions personnelles.

« L’intérêt individuel fait partie de la nature humaine, mais il faut le replacer dans l’intérêt collectif. Le pays traverse une crise si grave que nous risquons de le perdre. Personne ne souhaite cela ».



Sécurité et intervention internationale : Vigilance requise

Le contexte sécuritaire demeure préoccupant.

Entre janvier et juin 2025, plus de 3,000 personnes ont été tuées dans les violences des groupes armés, tandis que 1,4 million ont été déplacées depuis 2023, selon l’Organisation internationale pour les migrations (Oim).

Les zones les plus touchées incluent l’Artibonite, le Plateau central, l’Ouest et la zone métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince, où les gangs et la prolifération des armes continuent de semer la peur.

La résolution 2793 du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (Onu), adoptée le 30 septembre 2025, autorise le déploiement d’une Force multinationale de soutien à la sécurité (Force de répression des gangs / Frg) pour une période initiale de douze mois (octobre 2025- octobre 2026).

Avec 5,500 membres en uniforme et 50 employés civils, cette mission vise à appuyer la Police nationale d’Haïti (Pnh) et à combattre les gangs armés, avec le soutien logistique et médical d’un nouveau Bureau d’appui des Nations unies (Banuh).

Pour le Dr Cantave, il ne faut pas confondre aide et remplacement.

« Les instances internationales peuvent soutenir, pas se substituer aux autorités haïtiennes. Quand une force armée échappe au contrôle national, c’est une perte de souveraineté. Les 5,500 policiers et militaires annoncés ne suffiront pas à résoudre la crise. Ce sont des dirigeants responsables, patriotes et capables de gouverner pour le bien collectif qui pourront réduire les incertitudes et remettre Haïti sur la voie du progrès ».

Une souveraineté à reconstruire avant les élections

Le Dr Cantave critique également la dépendance persistante d’une partie de la classe politique vis-à-vis de l’international.

« Beaucoup de dirigeants cherchent la bénédiction de l’extérieur pour légitimer leurs actions. C’est une erreur. L’histoire récente montre que la solution ne viendra pas de l’étranger. C’est ici, entre nous, qu’il faut décider, agir et prendre nos responsabilités ».

Il rappelle le précédent de 2010 : « Après le séisme, on a imposé des élections contestées qui n’ont fait qu’approfondir les divisions. Nous ne pouvons pas répéter cette erreur. Il faut d’abord stabiliser, reconstruire et restaurer la confiance. Ensuite seulement, on pourra aller vers des élections crédibles ».

Le Cpt, chargé de la transition jusqu’au 7 février 2026, souhaite créer les conditions d’élections libres, crédibles et transparentes, sans fixer de calendrier précis. Selon plusieurs experts, un délai d’au moins huit mois serait nécessaire pour préparer des scrutins crédibles, plaçant la situation sécuritaire et le calendrier électoral au cœur des tensions politiques depuis l’autorisation de la Frg par l’Onu.

Face à ces défis, le Dr Cantave identifie trois menaces majeures : l’insécurité endémique, la faim et la misère, et une classe politique traditionnelle sans vision, obsédée par la conquête du pouvoir.

Pour lui, trois priorités s’imposent : résister, négocier et reconstruire.

« Il faut résister à la tentation de l’ingérence, mobiliser la population et reconstruire un leadership responsable, capable de dialoguer d’égal à égal avec les partenaires internationaux. Ce n’est pas une question d’orgueil, mais de survie nationale ».

Il plaide enfin pour la création d’un gouvernement patriote, clair sur ses objectifs et ses alliances, plaçant la souveraineté nationale au centre de son action. [apr 31/10/2025 13:00]