Les violences basées sur le genre explosent dans les camps de déplacés de la région métropolitaine de Port-au-Prince, où l’impunité règne pour les auteurs de viols et d’agressions. La Solidarité des Femmes Haïtiennes (SOFA) alerte sur l’urgence d’une réponse coordonnée et multisectorielle pour protéger les survivantes et leur garantir un accompagnement médical, psychologique, social et juridique adapté.
Par Charilien Jeanvil
P-au-P., 24 oct. 2025 [AlterPresse]--- Les cas de violences basées sur le genre (VBG) explosent dans les camps de déplacés, devenus de véritables zones de non-droit et des espaces d’impunité pour les auteurs de violences sexuelles, déplore la Solidarité des Femmes Haïtiennes (SOFA) lors d’un atelier tenu le 24 octobre 2025, auquel a assisté AlterPresse.
Entre juillet et la mi-septembre 2025, 109 cas de VBG ont été recensés dans les camps de déplacés de la région métropolitaine de Port-au-Prince. Parmi eux, 87 femmes victimes de viols collectifs ont été accueillies au Centre Douvanjou de la SOFA dans la capitale.
« Les femmes sont littéralement prises en otage dans les camps de déplacés », s’alarme la SOFA, qui interpelle vivement les autorités de l’État. L’atelier a été un espace d’orientation consacré à la prise en charge médicale des survivantes de violences.
Sur un plan général, l’organisation avait déjà signalé, en mai dernier, avoir enregistré 206 femmes et filles survivantes de VBG au cours du premier trimestre de 2025, contre seulement 12 à la même période en 2024, soit une augmentation très importante.
Les camps de déplacés et l’impératif d’une réponse adaptée
Face à cette aggravation des violences et aux défis de l’accompagnement des survivantes, Marie Frantz Joachim, linguiste et directrice exécutive de la SOFA, souligne la nécessité d’adapter les mécanismes de prise en charge. Elle insiste sur le rôle déterminant des professionnel·le·s de santé, appelés à détecter précocement les signes de violence pour orienter et soutenir les victimes.
Toutefois, elle rappelle que l’action isolée du personnel médical demeure limitée. « Seule une réponse coordonnée et multisectorielle peut s’avérer efficace, particulièrement dans un contexte de crise, de conflit et d’insécurité généralisée », précise-t-elle.
Berthanie Belony, secrétaire générale de la SOFA, ajoute : « Il s’agit de renforcer les compétences des professionnel·le·s de santé dans la prise en charge des survivantes de violence. L’augmentation du nombre de victimes cette année exige une vigilance accrue et des réponses adaptées. »
L’atelier, qui a réuni une trentaine de professionnel·le·s de santé, a également abordé les facteurs culturels contribuant à la perpétuation de la violence envers les femmes en Haïti.

La SOFA a mis en avant la collaboration nécessaire entre les professionnel·le·s de santé et le système judiciaire. Le certificat médical produit doit respecter des normes pour ne pas pénaliser la survivante et permettre la condamnation des auteurs. L’organisation prône ainsi une approche intégrée visant à aider les femmes victimes à reconstruire leur vie.
Marie Frantz Joachim insiste sur l’importance de comprendre l’évolution de ce phénomène pour agir de manière plus ciblée et durable. Elle rappelle qu’une survivante de violence doit bénéficier d’un accompagnement soutenu sur les plans médical, psychologique, social et juridique. Les échanges ont également porté sur la prophylaxie post-exposition pour les victimes de viol, souvent exposées à des infections graves, notamment le VIH/sida.
« Trop de femmes sont violées, battues, dépouillées. Elles n’en peuvent plus. Elles sont dévastées et incapables de subvenir aux besoins de leur famille. L’État doit assumer pleinement sa responsabilité et mettre un terme à ce scénario cruel et inimaginable », lance Mme Belony.
Un appel pressant à l’État haïtien
Les participant·e·s à l’atelier ont salué la pertinence du thème dans un contexte d’exacerbation des violences contre les femmes. La docteure Lyse Mérilan, médecin généraliste, a souligné l’importance d’une attitude responsable, tant sur le plan personnel qu’institutionnel, et a invité à écouter, accompagner et encourager les victimes à rompre le silence et à solliciter de l’aide.
Elle a également exhorté les institutions à renforcer les infrastructures d’accueil et d’accompagnement des survivantes à travers tout le pays.
La SOFA réaffirme son engagement à poursuivre ses activités en collaboration avec les secteurs médical, judiciaire et médiatique pour garantir un mieux-être aux victimes.
Selon le dernier rapport du Secrétaire général des Nations Unies, publié le 22 octobre 2025, 635 personnes, majoritairement des femmes et des filles, ont été victimes de violences sexuelles en Haïti entre mai et août 2025, dont 85 % de viols collectifs perpétrés par des gangs armés, notamment ceux de Grand Ravine, du Village de Dieu et des Argentins.
La majorité des survivantes n’ont pas reçu de soins médicaux dans les 72 heures suivant l’agression, un délai crucial pour prévenir les infections sexuellement transmissibles, souligne Mme Belony. Elle appelle à dénoncer sans relâche ces actes de barbarie et à promouvoir une approche holistique centrée sur le soutien médical, psychologique et social des survivantes.
Ces violences sexuelles et fondées sur le genre se multiplient dans un contexte d’effondrement institutionnel et de terreur généralisée dans les zones contrôlées par les groupes armés, constate le BINUH. [cj gp 24/10/2025 20 :00]
