Intervention de Gotson Pierre [1]lors de la table ronde « Haiti, une démocratie à construire », organisée à Montréal le 9 septembre dans le cadre du forum les Journées alternatives
Repris par AlterPresse le 10 septembre 2005
La communication a toujours joué un rôle fondamental dans la problématique haïtienne et ses structures ont toujours été constamment interpellées.
A cause de la faiblesse des institutions étatiques et le niveau insuffisant d’organisation au niveau politique et social, les médias se sont transformés en principaux espaces de médiations.
Par tradition d’autoritarisme, les structures médiatiques ont souvent fait les frais des gouvernements durant de nombreuses décennies.
Mais dans les milieux journalistiques, une certaine culture de contre-pouvoir s’est également développée.
Des manifestations de cet esprit ont pu encore être observées durant la récente période ce crise conduisant à la chute de l’ancien président Jean Bertrand Aristide, même si elles étaient loin de se généraliser à l’ensemble de la presse.
La période de « transition », sous la férule de forces internationales, impose ses propres contraintes et exige de nouvelles capacités de dépassement.
Les médias dans le contexte de la « transition »
Le discours dominant sur la transition occupe une place primordiale à travers l’ensemble du paysage médiatique.
Depuis février 2004, les forces internationales, qui jouent le principal rôle sur le terrain haïtien dans l’implémentation d’un « plan de transition », veulent projeter l’image de « l’ami qui est là seulement pour faciliter une stabilisation d’Haïti ».
La « stabilisation » d’Haïti est le maître mot de la structure onusienne, œuvrant en interaction avec un gouvernement qui prend très peu de responsabilité vis-à -vis des réclamations citoyennes.
Dans ce même cadre, les partis politiques ne jurent que par l’intérêt de parvenir au pouvoir pendant que des franges de la bourgeoisie tentent de se repositionner.
Les secteurs sociaux sont fortement affectés par les difficultés de mettre en œuvre des démarches unitaires et d’articuler des propositions d’alternatives, malgré des progrès significatifs enregistrés dans le secteur paysan et celui des femmes, dans un contexte de post-autoritarisme et de maintien des politiques néo-libérales.
La domination des forces internationales dans la vie socio-politique se reproduit au niveau du discours médiatique, tant dans l’orientation que dans le volume.
Certes, les lignes éditoriales ne se recoupent pas toujours, les considérations éthiques n’ont pas le même poids ici et là , mais les thématiques et les figures d’opinion tendent à faire souffler sur le paysage médiatique un vent d’uniformité, en dépit d’efforts consentis dans quelques cas pour présenter une image plus nuancée de la réalité.
Les institutions médiatiques échappent difficilement au magnétisme de l’acteur étranger qui est devenu un des principaux locuteurs sur les ondes, dans les colonnes des journaux et à travers Internet.
Mieux, des médias s’en accommodent, même si, par moment, des divergences peuvent apparaître entre ce discours-là et celui de quelques secteurs de la bourgeoisie, non satisfaits des performances enregistrées dans le processus de « normalisation ».
En plus des conférences de presse, interviews, communiqués, visites guidées, soirées mondaines et autres, la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haïti (MINUSTAH) s’est assuré son propre temps d’antenne sur des réseaux de radios, des stations régionales, locales et une quinzaine de télévisions à travers le pays.
Elle parvient ainsi à survoler la polarisation, héritée de l’ère Aristide, et qui continue, à un niveau secondaire, de déterminer des démarches médiatiques.
A la lecture de la plupart des comportements, on observe que certains paraissent être motivés par une volonté de retour au statu quo ante et font flèche de tout bois, ne reculant même pas devant des attitudes incompatibles au respect de l’éthique.
D’autres appareils médiatiques semblent investir une énergie renouvelée à combattre un arrière-garde ou, tout au moins, s’installer dans la routine et perdre leur sens critique.
Cette situation se produit au moment où la propriété des médias tend à se modifier en Haiti et la tradition de journalistes propriétaires de médias a commencé à s’estomper.
Plusieurs médias, et pas des moindres, appartiennent à des investisseurs dont les capitaux se retrouvent dans plusieurs autres domaines.
Par ailleurs, d’importants fonds internationaux ont été consacrés à des séminaires, conférences en vue de « professionnaliser » le secteur de la presse.
Ces « appuis » ont eu des conséquences palpables dans le milieu des médias communautaires qui a connu des frictions.
Une remise en question de la notion d’indépendance de la presse est en cours et est fondée sur l’argument principal qu’une fois la dictature (des Duvalier) déchue, l’indépendance promue par les acteurs médiatiques d’avant 1980 n’a plus sa raison d’être.
Or, il est clair que les forces qui tentent de vassaliser les médias ne sont plus seulement politiques et qu’il importe de mettre en avant l’indépendance éditoriale vis-à -vis de différentes forces défendant des intérêts particuliers, très souvent au détriment de l’intérêt collectif.
Le contexte néolibéral favorisant une prédominance de l’économique sur le social avec des préoccupations de rentabilité et la diminution des services étatiques dans une société démunie, les questions sociales doivent intéresser au plus haut point les acteurs médiatiques.
Les médias dans le contexte de préparation des élections
Les élections qui sont prévues pour novembre 2005 revêtent d’importants enjeux pour l’avenir d’Haiti.
L’actualité électorale commence à prendre beaucoup d’espace dans les médias.
L’information électorale disponible est jusqu’à présent majoritairement factuelle.
Elle est surtout axée pour le moment sur ce qui apparaît comme une offre politique et touche très peu la demande.
L’évolution du processus d’organisation des élections est suivie au rythme des annonces du Conseil Electoral Provisoire.
Les interventions presque interchangeables des dizaines de candidats sont relayées dans de nombreux espaces et des activités électorales sont rapportées.
Cependant, des journalistes montrent aussi une volonté de questionner aussi bien le processus tel qu’il est implémenté et géré, que la faune politique.
Sur le terrain, se précise de plus en plus la nécessité d’initiatives médiatiques, capables de favoriser un large débat, durant la période électorale, sur les problèmes qui préoccupent la population.
Ceci est essentiel si l’on veut toucher du doigt les failles du processus, souligner les enjeux et fournir aux citoyens des éléments permettant une prise de décision responsable.
Cela implique de mettre l’accent sur les problèmes fondamentaux et identifier les jeux politiques ordinaires ou traditionnels, accompagnés de programmes et slogans trop habituels.
Les aspirants à exercer le pouvoir devraient être amener à dire clairement comment ils concoivent le rôle de l’Etat dans un contexte international où des pressions sont exercées pour le réduire à sa plus simple expression.
Quelles dispositions par exemple par rapport à la question de l’éducation ?
En Haiti, selon la constitution, l’école primaire est obligatoire, mais, à cause de la faible disponibilité de structures scolaires étatiques, le taux de scolarité infantile ne dépasse pas 54%, alors qu’il est en général de 93% dans la Caraïbe.
Toujours dans le contexte international actuel, il faudra que les candidats expliquent au public comment des formules telles que la « promotion du tourisme » ou le « développement d’industries de sous-traitance » permettront de réduire sensiblement un chomage endémique estimé à plus de 60%.
Des questions d’aménagement local, de déforestation ou de règlement de problèmes d’Etat civil, sont d’intérêt majeur à travers le pays.
« Les prochaines élections, déboucheront-elles enfin sur l’octroi d’un acte de naissance aux nouveaux-nés », s’interrogeait récemment un jeune paysan. A Savanette, « la majorité des enfants n’ont pas un acte de naissance », disait-il, ou bien, dans le cas contraire, le document est erroné.
Quelle crédibilité également des prochaines joutes : c’est une question qui doit toujours nous préoccuper en tant que journalistes.
Dans un passé récent, des élections contestées ont contribué à approfondir la crise socio-politique haïtienne.
Vers une autre communication possible
En Haiti, la tradition d’une presse éclairée et combative est menacée, mais c’est un acquis qui ne s’est pas encore totalement effritée.
Une autre communication est toujours possible dans le contexte haïtien et peut se construire à partir d’expériences qui se sont développées depuis plusieurs décennies, charriant des savoir-faire et des valeurs alimentant une culture communicationnelle propre, mais également partagées avec les Caraïbes et l’Amérique Latine.
Dans la perspective de cette autre communication possible, les journalistes doivent prendre en compte le droit à la communication, cultiver l’humilité, accepter et entreprendre une remise en question permanente de leur profession, examiner leurs pratiques et s’ouvrir à la critique, dans le but d’ajuster l’action communicative, sans sacrifier aux règles professionnelles et aux repères éthiques.
Pour leur part, les secteurs sociaux doivent adopter une position d’acteurs-communiquants.
La recherche, par eux-mêmes, de leur participation aux processus communicationnels ne doit pas être écartée, qu’il s’agisse d’obtenir des espaces dans les médias grand public, qu’il s’agisse de créer des médias capables de refléter les préoccupations sociales et la quête d’alternatives.
[1] Journaliste haitien, coordonnateur du Groupe Médialternatif et éditeur d’AlterPresse