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Haïti et les dysfonctionnements énergétiques mondiaux

Par Marc Antoine Archer [1]

Soumis à AlterPresse le 1er septembre 2005

Nécessaire à toute activité humaine et indispensable à la satisfaction des besoins sociaux de base (eau, nourriture, santé, éducation, etc.), l’énergie se trouve au cœur de toutes les grandes transformations de l’humanité au cours de son histoire, à un point tel, qu’aucune société moderne ne pourrait s’imaginer, aujourd’hui, un futur dans lequel l’énergie serait absente. La maîtrise du feu (à travers la combustion - moteurs et chaudières), du vent (avec les premiers moulins à vent et les aérogénérateurs par la suite), de l’eau (concrétisée au moyen de la production hydroélectrique et des moulins à eau), du soleil (production photovoltaïque, photothermique) et leur utilisation dans l’obtention d’énergie, l’évolution des moyens de transport (aérien, terrestre, maritime), la satisfaction des besoins thermiques (chaleur et froid), le ‘protagonisme’ hallucinant des énergies carbonées et du nucléaire, tout cela a configuré, au long de ces 200 dernières années, un espace énergétique d’une complexité incroyable.

Et, au moment où les connaissances techniques évoluent à un rythme vertigineux et où les technologies associées à la production énergétique ont pu atteindre leur phase de maturité conceptuelle, technologique et même commerciale, l’être humain a provoqué le plus grand drame énergétique que le monde ait jamais connu, faute de prévision dans l’évaluation des risques associés à l’utilisation des ressources énergétiques : épuisement des ressources énergétiques naturelles, réchauffement de la planète, démesure dans l’utilisation de l’énergie.
Les conséquences directes ont supposé une augmentation des coûts associés à la gestion de l’énergie (approvisionnement, gestion de résidus radioactifs, production d’électricité, interconnexion de réseaux transfrontaliers) et toute une série de perturbations au niveau mondial. Ces dysfonctionnements aussi bien techniques que politiques ont déjà montré le degré de vulnérabilité même des plus grands :

Les premières victimes, les Etats-Unis et le Canada. En effet, le 14 août 2003, la côte est des Etats-Unis, la frontière canadienne et une partie du Canada furent touchés par la panne de courant la plus grave de l’Amérique du Nord causée par un dysfonctionnement technique : la rupture de trois lignes de transport. Plus de 50 millions de consommateurs Américains et Canadiens furent privés d’électricité durant plus de 36 heures. Malgré une gestion correcte de l’incident, la facture des pannes est suffisamment lourde:1,1 milliards de dollars de pertes pour la ville de New York du fait de la fermeture de bureaux, de restaurants et de cinémas, des heures supplémentaires payées, destruction de produits périssables, pertes en recettes fiscales et en recettes de transports perdues du fait de l’arrêt des métros et des trains. D’autres villes, telles que Detroit, Cleveland, Boston et Toronto subissent des pertes similaires. De nombreuses unités de production ont dû fermer et il a fallu plusieurs jours aux compagnies aériennes pour résorber les perturbations dans les vols.

Le 28 août 2003, la ville de Londres fut touchée par une grave coupure de courant. Près de 410.000 clients sont plongés dans le noir. Des milliers de passagers sont bloqués du fait de l’arrêt de 1.800 trains, 60% du réseau métropolitain n’étant plus en état de fonctionner. Le 23 septembre 2003, ce sont deux millions d’abonnés dans le sud de la Suède et 1,8 millions à Copenhague qui connaissent à leur tour le même sort. En Italie, le 28 septembre, le pays connaît sa pire panne d’électricité depuis la Deuxième Guerre mondiale : 50 millions de personnes sont privées de courant électrique pendant environ 18 heures et plusieurs victimes sont à déplorer. Des incidents graves sont également signalés sur la ligne haute tension entre l’Autriche et la République Tchèque. Le réseau d’alimentation entre la Hongrie et l’Autriche connaît quant à lui une situation critique frôlant la panne. Le Portugal n’est pas non plus épargné. L’Espagne quant à lui connaît son été le plus noir. Durant tout le mois d’août 2003, des coupures généralisées dans plusieurs régions, montrent les plaies énergétiques du pays.

Les causes de ces dysfonctionnements sont diverses :

1- Problèmes de planification
. Manque d’investissement,
. Problèmes politiques,
. Problèmes de gestion de l’approvisionnement,
. Vieillissement des installations
. Mauvaise gestion de la demande

2- Problèmes techniques
. Défaut de maintenance,
. Mauvais fonctionnement des interconnexions,
. Insuffisance de capacité en matière de génération d’électricité

Ce dernier point, concernant l’insuffisance de la génération, ajouté au besoin de diminuer la dépendance énergétique des pays industrialisés et non producteurs de pétrole, est utilisé par certains secteurs pour promouvoir la reprise de la production d’énergie nucléaire. Plusieurs raisons sont évoquées par les défenseurs/promoteurs de cette option :

-  Le nucléaire présente l’avantage de ne pas produire de GES (gaz à effet de serre). Par conséquent, il s’agit d’une option énergétique qui ne contribue pas au réchauffement de la planète.
-  L’utilisation de l’énergie nucléaire permet de diminuer la pression sur le baril de pétrole en réduisant la demande.

Parmi ces nouveaux défenseurs on retrouve de grandes figures mondiales telles le prestigieux écologiste James Lovelock (Père de la théorie de GAà A) ou même Mikhail Gorbachov. Ce dernier, lors du Forum Universel des Cultures du monde, à Barcelone, l’été 2004, expliqua que le monde du futur ne pourra pas se passer de l’énergie nucléaire.

Quoiqu’en disent les grandes figures politiques mondiales, l’essentiel est que l’énergie nucléaire n’est pas une « Energie Maîtrisée », par conséquent elle est source de dysfonctionnements, locaux, transfrontaliers, mondiaux.

Pour reprendre le fil de l’article, disons qu’énumérer comme causes de dysfonctionnement simplement des causes techniques, structurelles ou de réglementation, c’est ne voir qu’une partie du problème. Un dysfonctionnement est avant tout une perturbation de fonctionnement d’un système, qui cesse de satisfaire à sa finalité parce que certaines de ses fonctions sont mal remplies. Or, les fonctions de l’énergie n’ont pas été prises en considération ou du moins, ont été perverties, et, c’est justement là l’un des grands problèmes.
L’énergie sert principalement à  :

a- Faciliter le déplacement (Terrestre,Maritime, Aérien)

b- Satisfaire les besoins :
- Sociaux (Domestiques-Sanitaires-Educatifs-Municipaux)
- Economiques
- Industriels
- Chaleur
- Froid
- Activités extractives
- Autres

Cependant, ces différents besoins ont été satisfaits, jusqu’à présent, dans un cadre de gaspillage énergétique, de surconsommation, à cause d’une disponibilité insultante. Cette consommation abusive, irréfléchie, a fini par créer une situation dramatique forçant à la hausse le prix du pétrole, facilitant la spéculation des grandes compagnies pétrolières, des différents intermédiaires et générant encore plus de pression sur les économies des petits pays ainsi que sur l’environnement.

La réaction normale des pays industrialisés, devrait être celle de réduire la vulnérabilité manifestée par ces dysfonctionnements et de renforcer la fiabilité en matière d’approvisionnement en électricité par des mesures visant à stabiliser la consommation d’électricité, à faciliter des économies d’énergie, à améliorer la coordination des réseaux, accroître la capacité de production par de nouveaux investissements et faciliter le financement d’infrastructures dans le secteur énergétique, tout en veillant à minimiser les impacts sur l’environnement.

Voilà le scénario dans lequel nous évoluons. Dans le cas des pays pauvres, et c’est le cas d’Haïti, cette situation devrait favoriser la mise en place de stratégies beaucoup plus intéressantes afin de :

- Assurer à chaque Haïtien l’égalité d’accès aux services de l’énergie : Eclairage, moyens de déplacement, électroménagers.
- Fournir aux acteurs économiques les moyens énergétiques nécessaires à la production de biens et de services pour la société, dans des conditions économiques acceptables.
- Réduire les pressions sur nos ressources ligneuses.

On peut se demander si cela est toujours possible alors que le prix du baril ne cesse de grimper, que nous n’avons en Haïti ni les moyens économiques des grands pays ni le contrôle ou la maîtrise de la technologie associée aux énergies. Paradoxalement, c’est justement le moment de s’y mettre, surtout que, nous ne pourrons jouir des bénéfices accordés par le Venezuela aux autres pays de la zone quant à l’accès à des tarifs préférentiels pour le pétrole, que nous aurons à compter de moins en moins sur la subvention accordée par certains bailleurs de fonds pour l’achat de combustible.

Au niveau de l’énergie, il nous faut donc plus que jamais un plan, un projet qui puisse tenir compte des points ci-devant énumérés et qui permette d’intégrer les différents acteurs (sociaux, économiques, politiques) dans une démarche collective. Plus que jamais, il nous faut penser au fait que l’accès à l’énergie pour un groupe restreint,parmi une immense majorité, dans la noirceur, énergétique, ne fait qu’appauvrir encore plus le pays et limiter ses possibilités de développement.

Depuis plus d’un an, je ne cesse de reprendre ces arguments et tant d’autres qui vont dans le même sens. L’accès à l’énergie pour tous, en Haïti, est possible si réellement nous voulons y parvenir.

Enfin, dans un contexte de dysfonctionnements énergétiques au niveau mondial, nous avons la possibilité, en Haïti, de créer un modèle de fonctionnement énergétique basé sur :

1- La rationalisation dans l’utilisation de l’énergie,
2- La consommation responsable des ressources énergétiques
3- L’utilisation soutenable (durables) des biens environnementaux.
4- La décentralisation de la production de l’électricité.

C’est peut-être une occasion à ne pas rater.

Contact : marc@archer.jazztel.es


[1Physicien Industriel