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Haïti/La Proximité Américaine : Une bénédiction ou une malédiction ?

Par Michel Legros*

Soumis à AlterPresse le 01 février 2025

Le 5 février prochain, le secrétaire d’État Marco Rubio se rendra en République dominicaine, écartant Haïti de son agenda. Ce choix suscite des réactions mitigées. Certains, en Haïti, y voient une preuve de marginalisation et s’en plaignent. L’administration républicaine privilégie Santo Domingo, sans doute pour des raisons économiques et stratégiques. Pourtant, cette attention diplomatique n’est pas nécessairement un avantage pour l’un ni un désavantage pour l’autre.

L’histoire récente nous enseigne que l’intérêt de Washington ne mène pas toujours à la prospérité. Les gouvernements démocrates de Clinton, Obama et Biden avaient porté plus d’attention à Haïti qu’à son voisin. Washington sermonnait même les Dominicains sur leur traitement des Haïtiens et leur refus d’accueillir davantage de réfugiés. Nous paraissions choyés, presque les chouchous des Clinton. Abinader, à un moment, a dû dénoncer, pour se défendre, le poids financier que son pays devait supporter face aux difficultés haïtiennes. Ironiquement, plusieurs Dominicains ont envié cette sollicitude américaine envers Haïti. Certains, récemment, regrettant de ne pas avoir bénéficié du programme Biden, allaient jusqu’à envisager de se faire passer pour Haïtiens afin d’en profiter.

Hélas, cette attention n’a servi que de levier pour mieux piller le pays. Clinton s’y est impliqué pour le dépouiller, causant un chaos dont Haïti ne s’est jamais relevé. Une sollicitude funeste.

Aujourd’hui, la situation s’est inversée, et Haïti semble être devenue la cible. C’est désormais la République dominicaine qu’il faut protéger contre Haïti. Ainsi, Marco Rubio, évoquant la situation haïtienne, a exprimé sa crainte de voir le chaos haïtien se propager de l’autre côté de la frontière. Luis Abinader s’aligne déjà, du moins en paroles, derrière la nouvelle administration Trump, qu’il encense. Pourtant, celle-ci pourrait pousser encore plus loin la logique impérialiste américaine.

Donald Trump a déjà évoqué son ambition de reprendre le contrôle du canal de Panama, un projet dans lequel Marco Rubio s’est personnellement investi en se rendant sur place. Il a également exprimé son souhait d’annexer le Groenland, des déclarations qui ne laissent guère de doute sur ses visées impériales.

Dans cette optique, le département d’État jouera un rôle clé, et les déplacements de l’aigle, Marco Rubio, peuvent être de mauvais augure pour des poussins même s’ils se croient rapaces. La crise haïtienne sera-t-elle la seule question à l’ordre du jour à Santo Domingo ? On peut en douter, mais elle sera certainement discutée, sans nous, avec tous les risques que cela implique.

Que va-t-il exiger de Luis Abinader ? Nous savons déjà que Cuba est dans le collimateur de Washington. Rappelons que Marco Rubio est un Cubano-Américain farouchement anticastriste. Déjà, la politique envers La Havane se durcit avec le retour de Cuba sur la liste des pays soutenant le terrorisme. Il voudra certainement exercer une pression accrue sur les pays de la région pour isoler le régime cubain. Il n’est pas exclu que Washington cherche à impliquer davantage la République dominicaine dans cette stratégie.

La République dominicaine a rompu ses relations avec Taïwan pour se rapprocher de la Chine. Depuis, elle a renforcé ses liens avec cette dernière, attirant d’importants investissements et concluant divers accords commerciaux. Pékin a financé plusieurs projets d’infrastructure, notamment dans les secteurs des télécommunications, des énergies renouvelables et des zones franches. Ce rapprochement place le pays dans une position stratégique. Avec son réseau portuaire développé, la République dominicaine pourrait devenir un entrepôt caribéen pour les produits chinois, y compris vers Haïti. Une telle influence croissante de la Chine aux portes des États-Unis ne manquerait pas d’irriter Donald Trump, qui a toujours affiché une hostilité ouverte envers Pékin. Il pourrait voir d’un mauvais œil ces partenariats.

Face à cette nouvelle dynamique, inutile de jalouser l’intérêt porté à nos voisins. Attendons de voir quelles en seront les conséquences. Il faut toujours se rappeler ce que disait Henry Kissinger : s’il est dangereux d’être l’ennemi des Américains, être leur ami est fatal.

Plutôt que de convoiter l’attention accordée aux autres, nous ferions mieux d’œuvrer pour qu’Haïti redevienne un acteur respecté sur la scène régionale. Cela passe par des dirigeants responsables, capables de défendre nos intérêts et de renforcer notre souveraineté.

* Analyste politique

Contact : Sitwayen pou Respè Konstitisyon
sitwayenpourespekonstitisyon@gmail.com