Par Charilien Jeanvil
P-au-P., 11 janv. 2025 [AlterPresse] --- Les survivantes et survivants du tremblement de terre du 12 janvier 2010 en Haïti n’ont pas pu se reconstruire de manière adéquate. Les problèmes s’accumulent avec l’aggravation de la crise multidimensionnelle. Les Haïtiennes et Haïtiens sont en proie à toute une série de traumatismes ces dernières années au point que parler du séisme réveille les séquelles.
C’est, en substance, l’analyse de la psychologue clinicienne Katia Henrys lors de sa participation, à la veille du 15e anniversaire de la catastrophe, à l’émission FwoteLide sur AlterRadio, 106.1 Fm à Port-au-Prince et en lignem et suivie par AlterPresse.
Le bilan officiel du tremblement de terre du 12 janvier 2010 est de 300 mille morts, 300 mille blessés et 1,5 million de sans-abris dans la capitale Port-au-Prince, dans la région des Palmes (Léogâne, Grand-Goâve, Petit-Goâve) et dans la ville de Jacmel (département du Sud Est).
Individuellement, les gens font face à des carences symboliques, a relaté Katia Henrys, car, a-t-elle soutenu, les deuils n’ont pas été consommés correctement. Il y a également l’incarnation des disparu.e.s dans la mémoire des proches. Collectivement, l’inaccessibilité du Mémorial qui a été érigé en périphérie nord de la capitale, en raison de l’action criminelle des gangs armés, porte préjudice.
Il s’avère impossible pour de nombreuses personnes de pouvoir tirer des leçons de l’événement et se préparer en conséquence a souligné la professionnelle de psychologie.
Katia Henrys a insisté sur la nécessité pour les survivantes et survivants, de se reconstruire et se préparer en prévision d’autres catastrophes.
15 ans après, les séquelles persistent. Le contrecoup du tremblement de terre dévastateur du 12 janvier 2010 est terrible. De nombreuses personnes sont contraintes de vivre amputées d’un ou de plusieurs membre.s. L’ascenseur émotionnel reste intense pour une autre catégorie, incapable d’accepter la perte d’un être cher. À chaque rappel, les émotions ressurgissent a soutenu Katia Henrys.
15 ans après, le niveau élevé de la dégradation du pays affecte grandement le tissu social. Aujourd’hui, les déplacés se comptent par centaines de milliers à cause, cette fois, de la fureur des gangs.
La relativité de l’effet des pleurs
Crier se révèlerait être une thérapie efficace pour se débarrasser d’émotions refoulées. Cependant, le fait de ressasser un événement douloureux représente un problème majeur pouvant avoir des incidences sur le bien-être des gens.
Si cela persiste 15 ans après, il y a un problème qui n’est pas résolu, a souligné la psychologue, arguant que c’est dangereux que les gens immergent dans les émotions difficiles sans aucun motif positif. D’où la nécessité d’avoir ou de garder des héritages positifs et symboliques des disparus.
Quels comportements adopter ?
Il n’existe pas une formule spécifique, a déclaré Katia Henrys, faisant état de l’impossibilité de réprimer ses émotions. Il faut juste en prendre conscience, les reconnaitre et essayer de tirer le positif, a-t-elle suggéré. Certains cultivent une sorte de paix d’esprit en lien avec le ou la disparu.e. D’autres peuvent se réjouir d’un symbole, un bien par exemple, a-t-elle énuméré.
Peut-on (toujours) parler de résilience ?
La population haïtienne a déjà trop encaissé et n’en peut plus, s’est désolée Katia Henrys, qui a dressé un constat accablant.
C’est difficile pour quelqu’un ayant vécu de gros traumatismes de continuer à faire face constamment à d’autres traumas. Son esprit ne se repose pas. Cette situation peut engendrer de nombreuses maladies cardiovasculaires dont l’hypertension artérielle et le diabète. En outre, cela peut donner lieu à des relations difficiles dans certaines familles a avancé la psychologue clinicienne.
Malheureusement, a-t-elle décelé, la structure étatique d’assistance à la santé mentale, créée après le séisme de 2010 par le ministère de la santé publique, est inopérante. Le pays fait également face à un gros handicap, l’exode massif de professionnels de santé. Les efforts déployés sur le terrain, notamment par l’Association haïtienne de psychologie, ne sont pas suffisants, selon la spécialiste.
L’espoir est tout de même permis dans cette situation effroyable. Katia Henrys a invité à s’inspirer des professionnels.les de divers secteurs dont ceux et celles de la presse et des arts, qui parviennent à être productifs.ves dans leur activité quotidienne, malgré les tourments.
15 ans après, la vulnérabilité d’Haïti s’est accentuée. Le pays a sombré dans une crise multidimensionnelle sans précédent marquée notamment par la dégradation accélérée de l’environnement, l’insécurité asphyxiante, la faim, l’instabilité politique et l’absence de certaines institutions régaliennes.
Les nombreuses recommandations sur les comportements à adopter, les modes appropriés pour construire les maisons et les bâtiments publics, la cartographie sismique du pays, les caractéristiques du sous-sol, ne sont toujours pas mises en application, avait fustigé l’ingénieur-géologue Claude Preptit lors d’une interview avec AlterPresse en 2024.
« La situation sismique reste pratiquement inchangée. La menace reste telle qu’elle a été, avant même cette date cauchemardesque du 12 janvier 2010 ».
« Ce qui a changé, c’est la vulnérabilité de la population qui s’accentue davantage. Nous devons prendre des mesures pour agir et réduire la vulnérabilité. Je ne crois pas que nous atteignons cet objectif, malgré les nombreuses études sur la question sismique en Haïti et sur les mesures à prendre pour mieux préparer la population face à un éventuel puissant séisme », s’était alarmé Claude Preptit. [cj gp apr 11/01/2025 21:30]
Photo logo : Gotson Pierre