Par Djems Olivier, Envoyé spécial
Pte. Riv. Artibonite, 23 août 05 [AlterPresse] --- Plus de 300 paysans venant des départements du Sud, de l’Ouest, des Nippes, du Centre et de l’Artibonite se sont rassemblés le 22 août 2005 à la Petite Rivière de l’Artibonite (Nord), à l’occasion du 214ème anniversaire de la cérémonie du Bois Caïman, a constaté AlterPresse.
Bois Caiman (nord) abrita une cérémonie nocturne, qui permit aux esclaves de se concerter en vue du lancement de la guerre de l’indépendance d’Haïti (première république noire), qui fut colonie française.
Par leur rassemblement à Petite Rivière de l’Artibonite en cette date charnière, les paysans voulaient discuter de l’avenir de la production nationale, particulièrement le riz et dénoncer du même coup l’envahissement du marché national par le riz des Etats-Unis, la politique néo-libérale du Fonds Monétaire International (FIM), la mise à l’écart du secteur paysan dans les affaires d’Haïti.
L’entrée en vigueur en Haïti à partir du 1er janvier 2006 de l’accord de la Zone de Libre Echange des Amériques (ZLEA), regroupant 34 pays du continent américain à l’exception de Cuba, a été également dénoncée par les paysans, convoqués par le Mouvement de Revendications des Paysans de l’Artibonite (MOREPLA), le Réseau des Associations Coopératives de Commerce et de Production Agricole du Bas-Artibonite (RACPABA) et la Plate-forme Nationale des Organisations Paysannes Haïtiennes (PLANOPA).
Production agricole en voie de disparition
« A l’heure actuelle, la production agricole dans le département de l’Artibonite est en voie de disparition. Pas de canaux d’irrigation, ni de drainage. Le marché des engrais est aux mains des bourgeois et les paysans ont besoin de 100 à 200 gourdes pour acquérir un sac d’engrais », s’est indigné Assancio Jacques du MOREPLA. Il a affirmé que l’Etat laisse le marché aux commerçants étrangers qui inondent le pays avec de riz importé des Etats-Unis au détriment de la production nationale.
Le département de l’Artibonite produisait en 1985 environ 200 mille tonnes de riz. A l’époque, l’Organisation pour le Développement de la Vallée de l’Artibonite (ODVA) encadrait les paysans et leur fournissait des moyens adéquats. Selon les paysans, l’ODVA a failli aujourd’hui à sa mission et cède le pas à une compagnie américaine de sous-traitance dénommée T&S Rice S. A.
Cette compagnie engage seulement 300 ouvriers haïtiens, tandis que la production de riz engage en moyenne, dans l’Artibonite, 80 mille producteurs, 28 mille ouvriers agricoles, 800 mille marchands de riz et 400 propriétaires de moulins.
Les participants au rassemblement du 22 août, qui déclarent n’être pas en mesure de concurrencer le riz américain, appellent les autorités haïtiennes à se ressaisir en vue de couper court à cette pratique qui ne fait que conduire le pays dans l’abîme en détruisant totalement la production nationale.
« Non à la ZLEA, non à la politique néo-libérale, non à l’occupation du marché haïtien par la compagnie T&S Rice, oui à une réforme agraire équitable, vive la production nationale, vive le riz de l’Artibonite », ont scandé en cœur les paysans, paysannes et cadres intervenant dans le secteur.
« Il est temps que les classes paysannes se prononcent sur les grandes décisions concernant la nation. C’est pour cette raison que nous joignons nos forces en ce 22 août pour défendre la production nationale, défendre la dignité du pays pour assurer l’avenir de nos enfants », ont-ils déclaré.
La terre doit appartenir à ceux qui la cultivent
Le coordonnateur de la PLANOPA, Vilfranc Cénaré, a fait remarquer que les paysans haïtiens sont toujours mis au rancart, traités en parents pauvres alors qu’ils représentent le poumon de l’économie nationale. Cénaré, qui peine jusqu’ici à comprendre la dichotomie ville/campagne ou paysan/citadin, persistant en Haïti depuis 1804, a estimé que ce secteur est le plus exploité du pays.
« Le paysan haïtien au même titre que les autres couches de la société haïtienne vit des produits importés. Il n’y a pas de sécurité alimentaire, la production agricole est négligée et les Haïtiens sont en proie à toutes sortes de maladies, en raison du fait qu’ils consomment des produits à base d’organisme génétiquement modifié (OGM) », a déploré le responsable de la PLANOPA.
« Nous les paysans, qui représentons 80% de la population, nous décidons aujourd’hui de divorcer d’avec nos pratiques de division. Nous devons constituer dès à présent une force sociale afin de rebâtir notre chère Haïti et nous sommes conscients du rôle historique que nous devons jouer dans la lutte pour le changement de ce pays », a-t-il poursuivi.
« Il n’y a pas de paysans sans terre et la terre doit appartenir à ceux qui la cultivent. Nous devons nous unir pour réclamer nos droits de participer à la gestion de notre pays et exiger de l’Etat une réforme agraire équitable », a-t-il ajouté.
Le problème irrésolu de la réforme agraire
Le dirigeant du Mouvement des Paysans de Papaye (MPP), Chavannes Jean Baptiste, a quant à lui, estimé que la question agraire demeure l’un des problèmes majeurs du pays dont la solution tarde à venir. Cette question, a-t-il précisé, fut soulevée par l’empereur Jean Jacques Dessalines lors de la vérification des titres de propriétés et conduisit à son assassinat le 17 octobre 1806.
Le problème de la répartition des terres existe donc depuis 1804 avec la fragmentation de la société en grandons et petits propriétaires terriens. Ce morcellement a largement contribué à la dégradation de l’environnement national. Selon Chavannes Jean Baptiste, après l’indépendance, la population haïtienne était composée de 500 mille habitants et à cette époque, la réforme agraire était beaucoup plus facile. Toutefois, a-t-il dit, la division, les querelles sans grandeur ont servi d’obstacles à la résolution une fois pour toute du problème de la répartition des terres.
Pour remédier à cette situation, Jean Baptiste a proposé une réforme agraire qui ne sera pas consacrée à la distribution de terres aux paysans, mais à la mise en place de coopératives incluant tous les intervenants du secteur.
« Le plan de la mort »
Un autre intervenant, le professeur Camille Chalmers, a passé en revue la politique néo-libérale. Selon le responsable de la Plate-Forme Haïtienne pour un Développement Alternatif (PAPDA), l’application de cette politique a commencé dans les années 1980 avec le Plan Américain pour Haïti.
L’économiste a fait savoir que l’un des objectifs du plan néo-libérale, qu’il qualifie de « Plan de la mort », est de dévaluer la monnaie nationale. Le FMI souhaite une décote de la monnaie nationale jusqu’à 50 à 60 gourdes pour un dollar, a affirmé Chalmers.
« Avec cette décote de la gourde haïtienne, les investisseurs étrangers auront la possibilité de trouver la main-d’œuvre a meilleur marché en Haïti », a-t-il souligné.
Selon Chalmers, le paysan haïtien et les petits entrepreneurs n’ont pas accès au crédit, le milieu rural n’est pas une priorité pour les autorités étatiques haïtiennes et l’infime partie du budget national allouée à ce secteur est captée par les grandes entreprises.
Le commerce extérieur a également contribué au dépérissement de l’économie nationale, car, a ajouté l’économiste, son taux d’importation est beaucoup plus élevé que son taux d’exportation.
« L’introduction massive de riz importé sur le marché local, la politique néo-libérale du FMI, du Département d’Etat et de la Banque Mondiale menacent la vie des producteurs de riz de l’Artibonite et du peuple haïtien en général », a martelé le dirigeant de la PAPDA.
Le rassemblement du 22 août a été, par ailleurs, l’occasion pour participants et organisateurs de renouveler leurs critiques contre le Cadre de Coopération Intérimaire (CCI). Selon eux, le secteur paysan n’est pas pris en compte dans ce plan concocté par la communauté internationale pour la reconstruction d’Haïti. [do gp apr 23/08/05 13:00]