Débat
Par Charilien Jeanvil
P-au-P., 26 nov. 2024 [AlterPresse] --- La crise multidimensionnelle d’Haïti interpelle ses filles et ses fils, dont le spécialiste en administration publique Wilson Jabouin, qui plaide en faveur d’un retour à la Constitution de 1987, l’émergence d’un nouveau leadership et le recours à l’université, lors de sa participation à l’émission FwoteLide sur AlterRadio, émettant sur le 106.1 F.m. depuis Port-au-Prince et en ligne, suivie par AlterPresse.
Haïti est perdue. Le pays doit retourner à ses repères et repartir sur de nouvelles bases. Un retour à la Constitution de 1987 est essentiel ainsi que l’émergence d’un leadership réel, déclare le professeur d’université.
« La classe politique est à l’agonie. Les intérêts nationaux sont bafoués au profit des intérêts particuliers ou de groupe. Le Conseil présidentiel de transition (Cpt en place) ne peut mener le pays nulle part », estime-t-il.
« C’est un mélange de contraires. C’est difficile de dégager un consensus et de parvenir à une vision commune d’Haïti avec des gens provenant de chapelles politiques idéologiquement dissemblables ».
Le professeur Jabouin met en doute la légitimité et la popularité des dirigeants politiques, incapables, dit-t-il, de faire un dépassement de soi et de mettre en priorité les intérêts supérieurs de la nation.
Il est persuadé qu’un retour à la Constitution de 1987, largement approuvée par la population haïtienne, peut servir de base au redressement du pays.
Dans le contexte particulier du pays (succession de pouvoirs de transition), la Constitution a fixé comment aborder le problème de vacance présidentielle, clame Wilson Jabouin.
La première version de la Constitution haïtienne de 1987, en son article 149, stipule « en cas de vacance de la présidence de la république d’Haïti, pour quelque cause que ce soit, le président de la Cour de Cassation de la république ou, à défaut, le vice-président de cette cour, ou à défaut de celui-ci, le juge le plus ancien et ainsi de suite par ordre d’ancienneté, est investi provisoirement de la fonction de président de la république par l’assemblée nationale, dûment convoquée par le premier ministre ».
L’amendement de l’article 149 de la Constitution de 1987 a été voté en mai 2011, attribuant au premier ministre la charge de l’exécutif en cas d’empêchement ou de vacance présidentielle.
Il devra, cependant, convoquer le peuple en ses comices, afin d’élire un nouveau président, dans un délai ne dépassant pas 120 jours. Si le Président a atteint la quatrième année de son mandat, c’est le parlement qui désignera un nouveau Président pour terminer le mandat, en cours selon l’article amendé.
Un retour à la Constitution de 1987 a été suggéré par le président de la Fondasyon je klere, Me. Samuel Madistin, lors d’une récente intervention à l’émission FwoteLide.
Il a plaidé en faveur de la formation d’un gouvernement, dirigé par un juge de la Cour de Cassation, sans premier ministre, arguant que l’histoire a prouvé que les acteurs de la Cour de Cassation ont, à plusieurs reprises, aidé le pays à sortir de l’impasse.
Nécessité d’une nouvelle loi-mère ?
Parallèlement, le pouvoir en place attend beaucoup du Groupe de travail sur la Constitution (Gtc/photo logo), qui a lancé officiellement, à la mi-novembre 2024, ses travaux sur la loi-mère du pays.
Le groupe est présidé par Jerry Tardieu, ancien président de la Commission spéciale de la chambre des députés sur l’amendement de la Constitution. Le batônnier de l’ordre des avocates et avocats de Port-au-Prince, Me. Patrick Pierre-Louis, officie comme membre du Gtc, aux côtés d’autres personnalités, dont l’ancien premier ministre Enex Jean-Charles.
Intervenant à l’émission FwoteLide, Me Patrick Pierre-Louis a fait état de la nécessité d’avoir un nouveau texte de loi pour le pays.
Il croit nécessaire de poser les bases d’une autre Constitution, arguant que la Constitution de 1987 n’est pas appliquée. Il évoque un effondrement constitutionnel et institutionnel.
Si le Gtc va examiner les travaux qui ont été réalisés au préalable, le bâtonnier précise qu’il faut considérer la mutation de la société haïtienne, avançant que les données sont différentes d’il y a plus de 30 ans.
Il est évident, à son avis, que le modèle existant regorge de complications. Il faut tenir compte du problème crucial de la sécurité et de la corruption, dit-il.
Me. Patrick Pierre-Louis évoque la mise en place d’institutions et de structures juridiques, pour résoudre les conflits entre les pouvoirs en place.
Un nouveau leadership
Le professeur et spécialiste en politique publique, Wilson Jabouin, est indigné, comme la majorité des citoyennes et citoyens haïtiens, par la situation catastrophique d’Haïti. Il déplore l’impuissance de l’État face à la force de frappe des gangs.
L’enseignant dénonce également la connivence supposée entre l’État et les gangs ainsi que l’instrumentalisation des groupes armés par l’État ou des groupes puissants.
Devant la gravité de la situation du peuple haïtien, broyé par une crise sécuritaire et sociopolitique, Wilson Jabouin milite pour un autre modèle de pratique politique.
Pour lui, les problèmes du pays ne seront pas résolus avec de simples élections.
Il encourage à prendre en exemple la nouvelle politique de pays africains, dont le Mali et le Niger, qui, à travers un leadership neuf, appliquent leur propre projet national de développement.
Il faut, selon lui, à Haïti, un leadership pareil, éclairé, porteur d’une vision nationaliste et d’une approche programmatique basée sur une prospection intelligente.
Recours à l’université
Ce nouveau leadership doit émerger avec le concours de l’université, explique Wilson Jabouin.
Le professeur appelle ainsi à l’engagement de l’université, pour la production de réflexions pertinentes sur les faits sociaux.
Il invite donc l’État et les institutions à se tourner vers l’université, organisme devant produire des réflexions stratégiques et opérationnelles en faveur du pays.
Wilson Jabouin préconise de faire appel aux experts dans des domaines précis pour résoudre des problèmes spécifiques, citant en exemple la mise en place d’une task force pour aborder la question de la sécurité, le problème d’accès aux soins de santé, pour avoir des solutions à court, moyen et long terme, via une approche prospective, conclut-il. [cj gp apr26/11/2024 7:00]