« Dans un décor révoltant, le rapatriement des migrants haïtiens continue dans un raffinement de cruauté et la violation inquiétante et scandaleuse des droits humains, dans le cadre de la politique migratoire visant d’innombrables Haïtiens », dénoncent deux associations de la ville frontalière de Ouanaminthe, dans cette tribune soumise à AlterPresse.
“Celui qui ne se sent pas offensé par l’offense faite à d’autres hommes, celui qui ne ressent pas sur sa joue la brûlure du soufflet appliqué sur une autre joue, quelle qu’en soit la couleur, n’est pas digne du nom d’homme.”
José Marti.
Selon l’Organisation internationale pour les migrations (Oim), en 2024, malgré la grave crise en Haïti, le gouvernement dominicain a expulsé 98 594 personnes, dont plus de 5 000 adolescents et jeunes enfants. Sur la frontière Haïti-République Dominicaine (Ouanaminthe-Dajabon), l’indignation a atteint son paroxysme par l’excès du non-respect de la dignité humaine. Les témoignages sont alarmants. L’expulsion collective, abjecte et sans précédent des haïtiens vivant en République Dominicaine semble devenir la priorité du gouvernement dominicain. Entre faire des commentaires savants infructueux et agir, dorénavant, les ouanaminthais choisissent résolument l’action.
Dans un décor révoltant, le rapatriement des migrants haïtiens continue dans un raffinement de cruauté et la violation inquiétante et scandaleuse des droits humains, dans le cadre de la politique migratoire visant d’innombrables haïtiens. Des femmes, filles, enfants, hommes de tout âge continuent à être le théâtre de la honte et d’une inhumanité sanglante. Ces vulnérables haïtiens, à la recherche désespérée du pain quotidien, sont parfois débarqués nus, sans chaussure. Entassés et encagés dans des camions rappelant les cales des navires négriers, ils sont jetés par plusieurs voyages, jour et nuit, sur la frontière après avoir été maltraités, mutilés, volés, violés par des soldats dominicains, sous le regard complice et intéressé des autorités dominicaines.
Profondément indignée par la démesure de la race humaine, entre garnir les réseaux sociaux et l’action conséquente, la fondation JES, conjointement avec le Mouvement Mutation Haïti (Mmh), choisit l’action qui parle et qui répond aux besoins pressants des migrants. C’est une initiative citoyenne apolitique. Par cet élan désintéressé, la fondation JES a déjà accueilli des centaines de migrants en leur offrant un centre de repos et des moyens de restauration. Trois fois par semaine, des migrants sont accueillis dignement et reçoivent un repas chaud, un kit d’hygiène et des habits comme signal modeste de solidarité et de fraternité. La fondation JES ne s’enorgueillit pas de la quantité des bénéficiaires, mais plutôt de la qualité inébranlable de la détermination des citoyens ouanaminthais qui sont indignés et se sont résolus de poser la première pierre en accueillant les compatriotes, déchargés comme des bêtes de somme, à deux cents mètres du bureau de la fondation.
En effet, l’effort de la fondation JES d’accompagner les migrants vulnérables à court terme n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan. Néanmoins, elle a le mérite de vouloir initier le premier pas qui conduira incessamment, à long terme, à la création d’un centre d’accueil professionnel, une communauté de producteurs de biens et de services, une nouvelle coopération internationale réglementée et la discussion avec d’autres partenaires économiques et financiers, comme préalable à un nouveau paradigme migratoire Haïti- République Dominicaine.
Historiquement, les résidents de Ouanaminthe avaient toujours donné le ton devant la barbarie de certains Dominicains. La fermeture de la frontière, la construction du canal et les mouvements de dénonciation des produits avariés et du marché binational déséquilibré, ainsi que de la suspension arbitraire pour une durée indéterminée de la délivrance de visas aux haïtiens en sont des exemples. Aujourd’hui, la fondation JES invite tous les citoyens, consternés par les hostilités dominicaines, à monter à bord de sa nouvelle initiative qui consiste à faire un geste d’espoir en faveur des migrants, expulsés, désespérés et meurtris.
Somme toute, nous reconnaissons le droit de tout pays de contrôler son flux migratoire et d’en imposer les conditions légales. En revanche, nous revendiquons le respect de la dignité humaine, l’application de la législation migratoire, le respect du principe de « non-refoulement » et des conventions internationales dont Haïti est signataire. Entrer tard dans un foyer, arracher une femme enceinte nue de son lit, mutiler son mari qui protestait, gifler son fils qui pleurait, violer sa fillette terrifiée, torturer son voisin, emporter argent et bijoux trouvés sont des actes barbares, une traite inqualifiable qui vicie la légalité de l’expulsion. La monstruosité est d’autant plus deshumanisante et déraisonnable lorsque ce sont ces mêmes autorités dominicaines qui sont payées pour faire retourner ces victimes, le même jour, en République dominicaine.
En définitive, les relations diplomatiques et commerciales haitiano-dominicaines devraient être revues, sous peine d’une rupture temporaire au regard du profilage racial et du commerce déloyal qui prévalent au détriment des haïtiens. Quant à nous, citoyens engagés, nous sommes déterminés à poursuivre ce plaidoyer pour le respect des droits humains en faveur de chaque haïtien qui se trouve en République Dominicaine, chaque étudiant humilié qui verse des milliers de dollars américains aux universités dominicaines par année, chaque travailleur qui bâtit les gratte-ciel dominicains sans être rémunérés à la fin de la semaine, parce que les agents de la migration surviennent toujours au signal des propriétaires, au moment du payroll. En attendant, avec nos faibles ressources, dans le silence complice de l’État haïtien, au nom de la solidarité et de la fraternité qui composent notre devise nationale, nous ferons ce que nous aurions aimé qu’on fasse pour nous : assister les faibles, accompagner les migrants.
Ouanaminthe, le 23 octobre 2024
Fondation JES et Mouvement Mutation Haïti (Mmh)
Personne de contact : Dionel Germain, Phone : (509) 4140-9826
