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GM-23 ans : Les médias dans la tempête en Haïti

Par Gotson Pierre

P-au-P, 19 oct. 2024 [AlterPresse] --- Le 23e anniversaire du Groupe Médialternatif (GM), le 20 octobre 2024, coïncide avec une crise sévère au niveau de la presse et des médias dans une société mise en déroute sur les plans politique, économique et social.

AlterPresse et AlterRadio, deux médias mis en place et gérés par le GM, subissent de plein fouet cette crise multidimensionnelle. Tout comme la plupart des structures médiatiques et la corporation journalistique en général. Aussi bien que l’ensemble des activités du GM, engagé depuis 23 ans en faveur du droit à la communication.

Globalement, la crise tend à couper les médias de leurs sources d’alimentation en contenus originaux et en financement. Leur couper les vivres. Le risque d’extinction pour certains ou d’instrumentalisation accrue pour d’autres est de plus en plus élevé.



Le GM et ses médias aux prises avec la crise

Depuis la poussée de 2022, avec la longue crise du carburant, l’accès à l’énergie électrique est devenue beaucoup plus onéreuse pour les médias, dont les revenus ont beaucoup chuté. D’où la diminution de contenus d’informations dignes de ce nom sur l’ensemble des supports, en particulier la radio.

Le Groupe Médialternatif, avec AlterPresse et AlterRadio, en a grandement souffert. En souffre énormément. AlterRadio se bat pour rester en ondes, même si sa présence en ligne est ininterrompue, car les difficultés électriques sont immenses au niveau de Boutillers (Pétionville), où sont installés ses émetteurs.

Des incidents techniques, dus au mauvais fonctionnement de la compagnie nationale d’électricité, ont eu des effets désastreux. Des appareils sensibles, stratégiques et couteux n’ont pas tenu. Contraignant à d’importants débours imprévus, dans un contexte non propice à l’investissement.

En plus des difficultés matérielles, les équipes s’amenuisent, en raison notamment de manque de ressources financières. Les conséquences sur la diversité et le choix des sujets sont importantes. Le panorama d’informations vérifiées se réduit.

Les programmes d’émigration vers l’Amérique du Nord impactent aussi négativement la stabilité de ressources humaines stratégiques, en qui un investissement en termes de formation sur le tas a été consenti durant plusieurs années. Perte inestimable.

Crise et enjeux de l’information

Malgré beaucoup d’efforts d’observation, de recherche et des dispositions prises pour rester en contact avec les acteurs et les actrices, les journalistes sont de moins en moins témoins, alors que de nombreuses victimes demeurent inaudibles.

L’information totale en pâtit, autant que l’organisation de la prise de parole et la gestion des discours, que doit assurer la presse, dans un vaste chaos. Une confusion absolue.

Mais, comment la mission d’information de la presse et des médias saurait-elle se concrétiser dans un espace, où l’autorité de l’État s’est significativement érodée ? Où l’État a beaucoup perdu de ses prérogatives régaliennes, au profit des gangs criminels et des groupes mafieux de toutes sortes. Autant de misère morale.

Dans cette situation, le rôle de la presse et des médias, qui se respectent, est tellement crucial, que la part de la société, détentrice encore de quelque vertu, devrait se battre pour que cette mission ne soit pas détournée.

Les sacrifices acceptés par un certain nombre de journalistes et médias responsables, conséquents et courageux, produisent des résultats d’autant plus remarquables. L’information utile, vérifiée, pertinente (par rapport aux besoins essentiels), documentée et contextualisée est d’autant plus précieuse. Une arme efficace contre la désinformation, dont les ressources ont décuplé.

Modèles économiques en crise

En matière de financement, tous les médias ne sont, bien sûr, pas logés à la même enseigne. La plupart des modèles sont en crise. En clair, le financement privé à travers la publicité et le sponsoring tend à se raréfier, autant que le financement public, celui de la coopération internationale ou du troisième secteur.

Une bonne partie des stations de radios, télévisions, médias écrits et multimédias, comme AlterRadio et AlterPresse, gèrent la précarité. Sinon, la plupart du temps, c’est le clientélisme qui fonctionne. Ce qui amène à des dérives de toutes sortes. Nager dans des eaux troubles des pratiques anti journalistiques ou anti médiatiques. Des pratiques anti déontologiques.

Les nouveaux modèles, qui s’inventent laborieusement, aujourd’hui au cœur de la tempête, ou que nous participons à mettre en place patiemment, en recherche d’alternative, sont-ils véritablement capables d’aider à répondre à un appel d’air ? A suivre.

Peu ou presque pas d’appels à proposition, d’opportunités de nouveaux partenariats ou de valorisation des services. Perspectives de développement compromises ? L’espoir est là de trouver le chemin de la sortie du désert.

Par ailleurs, dans le cadre de cette crise multidimensionnelle, qui bouleverse la société haïtienne, les dérives ne sont pas l’apanage des seuls médias et journalistes haïtiens. La presse et les médias étrangers, qui interviennent sur le terrain, patinent également. Pour des raisons relatives à la vision occidentale d’Haïti ? Des objectifs marchands ? des impératifs d’audimat ? On ne peut pas généraliser, heureusement.

Crise de l’appropriation des médias

D’autres aspects de la crise semblent insaisissables, et pourtant bien réels. Il y a de vraies difficultés à saisir la dynamique du nouvel écosystème d’information qui prend corps, avec les avancées technologiques globales, dans une société de précarité. Un tissus social où les efforts de diffusion réelle des technologies sont faibles. La tendance serait l’exclusion par la technologie, plutôt que le contraire. Un débat ouvert.

Dans cet ordre d’idées, seuls les effets de mode des Nouvelles technologies de l’information et de la communication (Ntic) sont susceptibles d’être pris en compte. Une approche superficielle, qui traduit un profond problème de vision stratégique des décideurs et décideuses de toutes les sphères, par rapport à l’écosystème de l’information. Incapacité à cerner le rapport du public aux médias. Vision brouillée.

Ils oublient que l’Internet est inaccessible à la grande majorité. Illusion d’un univers numérique intégrant tous et toutes en Haïti, avec seulement 11.9% de pénétration d’Internet. Rien qu’une petite minorité (30%) y a accès. Quant à l’énergie électrique, seulement 40%.

Sans nier, ni les effets de bouche à oreille, ni la puissance des nouveaux moyens de diffusion, comment peut-on minimiser le rôle des systèmes de diffusion plus adaptés aux conditions socio-économiques des populations ? Il a été démontré, l’année dernière encore, que diverses catégories de la population comptent en priorité sur la radio hertzienne pour s’informer.

Face aux nombreux défis, qui se conjuguent dans la réalité haïtienne d’aujourd’hui - dont les cuisants problèmes de l’insécurité, la violence et l’instabilité - quand on doit s’adresser à la population sur le territoire national, quand on doit favoriser l’articulation entre les secteurs à l’intérieur du pays, une approche équilibrée s’impose.

Pour sa part, le GM s’engage à poursuivre ses efforts, dans la mesure de ses maigres ressources, pour assurer la disponibilité de moyens conventionnels et adaptés de masses pour la communication sociale et l’information. Autant que pour maitriser les nouveaux moyens de production et de diffusion d’information. Comme il le fait depuis 23 ans !

Diffusion en ligne sur TuneIn, Zeno et bien d’autres plateformes. Contenus archivés en podcasts également sur ces deux plateformes, mais aussi sur Apple et Spotify. Fenêtres multiples sur les réseaux sociaux, dont Facebook (AlterPresse - AlterRadio), X (@AlterPresse - @AlterRadioHaiti) et Instagram (@alterpressehaiti - @alterradio106.1fm). Chaine Whatsapp et diffusion dans les groupes de ce réseau majeur. Et puis, la reprise relativement récente de l’alimentation de la chaîne Youtube de la Plateforme AlterPresse-AlterRadio, trop longtemps laissée en sommeil. Elle devient aujourd’hui un portail qui rassemble l’ensemble des contenus audio-visuels des médias du GM. 

Il importe de travailler sans relâche à l’émergence d’une collectivité bien informée. Faire de l’information vérifiée une référence et un outil pour l’édification d’une société haïtienne, fondée sur les valeurs démocratiques. [gp apr 19/10/2023 13:00]