Par Gary Olius*
Soumis à AlterPresse le 12 octobre 2024
« Ô mon Pays, je t’aime comme un être de chair
et je sais ta souffrance et je vois ta misère
et me demande, la rage au cœur,
quelle main a tracé sur le registre des nations
une petite étoile à côté de ton nom »
Anthony Phelps
Comme de la matière plastique dans l’estomac d’un requin, la France colonialiste a du mal à digérer le fait que sa plus grande figure historique, Napoléon Bonaparte, ait été battue à plate couture par des hommes et des femmes qu’elle a maintenus en esclavage pendant des siècles. Sous l’effet de cette indigestion, les élites françaises ont essayé de gommer ce haut fait en interdisant, en France, son insertion dans l’enseignement de l’histoire et en organisant un traitement minimaliste de ce thème dans ses meilleures encyclopédies pendant une longue période de temps. Et, pour cause, le monde francophone a dû attendre jusqu’à la fin du XXe siècle pour voir le mot ’Vertières’ dans les dictionnaires Larousse et Petit Robert. Au fil du temps, ces élites ont dû apprendre, à leurs dépens et malgré leur orgueil démesuré, que l’histoire ne se laisse pas effacer ; même en pratiquant à dessein un exercice d’amnésie collective ou en recourant à un dispositif de censure ultrasophistiqué.
Cet échec sur le flanc intellectuel était perçu par l’establishment français comme une simple bataille perdue, mais qui le motivait à mener avec plus d’acharnement le combat pour minimiser l’être haïtien et le transformer au moins en un objet de risée pour le reste du monde. Entretemps, d’autres fronts ont été ouverts, comme la réduction au strict minimum de l’espace réservé à Haïti au sein des organisations internationales (comme le Fonds Monétaire International, la Banque Mondiale ou la Banque Interaméricaine de Développement) et il existe tout un ‘travail de neutralisation’ pour mener Haïti à un état d’insignifiance diplomatique ou la confiner dans la pratique d’une simple ‘diplomatie de bol bleu’. Mais la bataille la plus redoutable est, sans conteste, celle menée par la France sous l’angle racial et qui devrait conduire - à terme - à la persécution à outrance ou même à l’extermination de l’homo haitianus.
Les élites françaises organisent une transmission intergénérationnelle de ce projet sans grandeur et jurent par les grands dieux qu’un jour ou l’autre elles mettront à genoux la nation haïtienne. Un peu comme pour nous faire murmurer un jour : « A quoi bon ce passé de gloire, si notre présent est fait uniquement de pauvreté, d’humiliation et de douleur ». La stratégie, définie depuis des lustres, est de mener les attaques sur tous les fronts et de maintenir l’être haïtien – bec à l’eau – sous une tension permanente, à travers des campagnes soutenues de médisance aux fins d’aboutir à son affaiblissement progressif et de parvenir ainsi à son extinction. Pour cela, aucune formule et aucune option n’a été écartée. C’est cette détermination sans faille qui a conduit la France à intégrer dans sa diplomatie une composante axée sur la diffamation systématique, le colportage de bas étage et la désinformation à grande échelle ; lesquels visent à ameuter les puissances occidentales et leurs relais du tiers-monde contre Haïti, à travers une propagande raciste savamment orchestrée et, parfois même, avec une agressivité sans égale.
La France s’active depuis plus d’un demi-siècle à donner une profondeur au racisme anti-nègre qui fait croire, par exemple, à un Dominicain, à un Trinidadien ou à un Jamaïcain que bien qu’il soit noir, il aurait intérêt à fuir l’haïtien comme la peste, s’il veut bénéficier de certains avantages venant de l’Amérique du Nord ou de l’Europe. Cette différenciation forcenée fait de l’Homo Haitianus un nègre-absolu que les nègres-relatifs auraient intérêt à s’en éloigner pour avoir droit à certains investissements occidentaux dans leurs pays. Et, en dernière instance, cette campagne anti- haïtienne souterraine menée dans les couloirs diplomatiques par la France est pour contrer toute éventuelle fraternisation avec Haïti et prendre le contre-pied de l’idée dessalinienne de faire de ce pays un point de ralliement et un lieu de solidarisation pour tous les noirs du monde entier.
Malheureusement, cette prédication calomnieuse a eu un écho favorable dans les milieux de l’extrême-droite des États-Unis, du Canada, de la République Dominicaine et d’autres pays d’Europe. A telle enseigne que, dès que les gens parlent d’Haïti dans ces pays-là, on ne distingue plus les lignes idéologiques des débatteurs. Démocrates, républicains, progressistes et réactionnaires s’entendent sans échange d’arguments et sans débattre. Comme par magie, la haine et les préjugés cultivés envers l’Homo Haitianus rendent bons copains des ennemis jurés. Comme de fait, leurs actes anti-haïtiens se confondent ou se ressemblent à peu de choses près. Même en étant extrêmement pointilleux et différentialiste, on aurait beaucoup de mal à établir, dans les faits, un distinguo entre les déportations massives d’haïtiens par les autorités dominicaines, la chasse à coups de pieds de chevaux à Del Río au Texas (autorisée par les démocrates américains) et les promesses de chasse-aux-haïtiens que Trump utilise pour galvaniser ses supporteurs, ainsi que les déclarations récentes du Député Clay Higgins qualifiant Haïti de ‘pays le plus méchant de l’hémisphère occidental’ (sans être sanctionné par la majorité démocrate de cette assemblée). Bref, il semble que beaucoup de ‘progressistes’ occidentaux sont logés à l’enseigne du fascisme, dès qu’il s’agisse de débattre ou d’agir par rapport à Haïti et à son peuple.
Sans complexe idéologique, on doit accepter l’évidence que Abinader, Biden, Higgins et Trump sont tous de la même trempe et se comportent en racistes militants anti-haïtiens, comme c’était le cas - avant eux – de Franklin Delano Roosevelt (USA), de Albert Lebrun (France) et de Leonidas Trujillo (RD). En réalité, il y a là un racisme à la fois historique et d’actualité. Et, il faut aussi croire que cela ne s’est pas fait par hasard, car les faits abondent pour prouver que ce drôle d’alignement de planètes s’est opéré sous l’effet de la médisance diplomatique menée par les élites françaises pendant plus d’un siècle. Joe Biden et Luis Abinader ont décidé unilatéralement de ne pas renouveler les visas octroyés aux haïtien.ne.s et de fermer les yeux sur le trafic d’armes en faveur des gangs en Haïti, est-ce une simple coïncidence ? Comment expliquer le fait qu’il existe en République Dominicaine un groupe de réflexion (think-thank) fonctionnant comme un observatoire des questions haïtiennes et dans lequel on retrouve des Français, des Américains, des néonazis, en plus d’intellectuels dominicains d’extrême-droite ? Tout cela ne saurait être le fruit du hasard, si l’on considère le fait que le président dominicain s’est fait réélire en arborant un discours de haine contre les Haïtiens, Trump est en train de faire la même chose, tandis que Joe Biden - sénateur de son état - a juré par les grands dieux que même si la terre d’Haïti disparaissait au fond de la mer des Caraïbes, cela ne le rendrait ni chaud ni froid. Face à cette réalité patente, un Haïtien qui ne serait pas sur ses gardes serait tout simplement un inconscient …
La haine que les Français, les Américains, les Dominicains et même certains Canadiens vouent à l’Homo Haitianus n’est qu’un secret de polichinelle. Tout récemment, l’Université de Michigan a mené une minutieuse enquête et a découvert que les Américains exportent en Haïti un riz empoisonné au cyanure, après que des politiciens Américains des deux camps (républicains et démocrates) eurent détruit la production de riz dans la Vallée de l’Artibonite. Dans la même logique, les Dominicains exportent en Haïti des produits impropres à la consommation humaine (boissons alcoolisées frelatées à l’Ethanol, salami contenant de la matière fécale, produits agricoles génétiquement manipulés etc.), avec l’unique dessein d’augmenter le taux de prévalence de certaines maladies mortelles dans le pays et de tuer à petit feu les consommateurs non avertis.
Les Canadiens, quant à eux, ils manifestent leur inimitié avec un peu de nuance et de civilité, en interdisant l’entrée sur leur territoire de tous les produits commerciaux pour lesquels Haïti détient un avantage comparatif, au motif que ceux-ci contiennent des ingrédients dangereux pour la santé. On se souvient encore de ces notes d’interdiction à l’encontre de Rhum Barbancourt et de la bière Prestige, deux produits qui sont internationalement médaillés pour leur excellente qualité. Et puis, il y a aussi ces véhicules blindés commandés et payés par l’Etat haïtien, mais bloqués au Canada juste le temps que les gangs armés eurent été capables de disposer d’armes et de techniques leur permettant de les neutraliser et les détruire.
Dans la même démarche haitianophobe, Anthony Blinken a cru qu’il a été urgent de venir en Haïti pour signifier de visu, entre autres, sa ligne rouge dans la bataille contre l’ insécurité en Haïti, suite à l’appel lancé tant par de hauts responsables onusiens et d’éminents Haïtiens pour l’utilisation d’équipements appropriés pour mater les gangs armés en très peu de temps. Le brut circulait qu’en plus des blindés spéciaux offerts en dons par l’hypocrite Joe Biden, des efforts parallèles sont faits pour que la PNH et les FAdH disposent d’hélicoptères en quantité suffisante pour avoir une supériorité écrasante sur les bandits et être en état de solutionner durablement le problème.
Luis Abinader, en personne, a interpellé à plusieurs reprises les autorités américaines, pour leur faire croire qu’ils sont en train de modifier le rapport de forces militaires sur l’île d’Hispaniola sous prétexte d’élimination des gangs armés et que la République Dominicaine souhaite que les américains utilisent leur grande influence pour empêcher que cela se produise. Des moyens diplomatiques et financiers importants ont été mobilisés par les autorités dominicaines et, justement, des lobbyistes français lui étaient venus à la rescousse. Ils ont réussi à toucher la corde sensible des américains en créant un marché gagnant-gagnant par la médiation d’un journaliste français bien connu vivant en République Dominicaine depuis un bon bout de temps. Dans ce cadre-là, les américains se sont engagés à interdire à Haïti d’acquérir des moyens aériens modernes, comme les drones munis de caméras infrarouges et des hélicoptères de combat pour son armée. En contrepartie, les responsables dominicains ont accepté d’ouvrir la porte à l’exploitation chez eux de ‘terres rares’ nécessaires à la fabrication de certaines composantes électroniques comme, par exemple, les microprocesseurs ou les circuits intégrés nécessaires à la construction de smartphones et au fonctionnement du système de guidage d’armes tactiques et stratégiques.
Au cours de son passage éclair à Port-au-Prince, Blinken a habilement fait passer le message et, depuis lors, la question de l’utilisation d’hélicoptères ou de moyens aériens conséquents dans la lutte contre les bandits est devenue un sujet tabou. La Primature et la Présidence en neuf personnes savent désormais que les Américains se portent garants du maintien du déséquilibre militaire en faveur de la république voisine et que la grande insécurité devra être combattue avec les moyens disponibles. La question a pris une dimension telle que même l’option d’acquisition ou de location, à partir d’un pays tiers comme le Brésil, est mise sur haute surveillance. Les récents évènements laissent croire que les deux grandes instances de l’Etat haïtien ne réagissent pas de la même façon face à ces exigences indécentes. Cependant, un jour ou l’autre, la nation saura et l’histoire établira qui, du CPT ou de la Primature, a joué le jeu des Américains, des Français et des Dominicains au détriment des intérêts supérieurs du pays.
Pour l’instant, les anti-haïtiens du monde occidental doivent savoir que la bataille n’est pas finie et elle ne le sera jamais. L’Homo Haitianus est un être résilient qui n’a peur de rien et qui a l’habitude des combats de longue haleine. C’est un fait indéniable qu’il y a toute une génération de politiciens haïtiens qui s’interdisent de concevoir une Haïti libérée de l’influence pernicieuse et de la mainmise américaine, mais il est tout aussi irréfutable qu’il existe une nouvelle génération montante qui est prête à livrer de nouvelles batailles pour changer la donne. Je vous jure que cette génération aura le dessus. Que Dessalines le Grand, dans le silence et la solitude de sa tombe, donne sa bénédiction à ces paroles ! Qui vivra, verra …
*Économiste, spécialiste en administration publique
Contact :garyolius@gmail.com
Auteur de :
“Haïti 1804-2018, 214 ans de servitude économique et d’une gouvernance assistée”
“Haïti, malade de son système financier et de sa bureaucratie fiscale”
“Propension à la Corruption”
