Par Gotson Pierre
P-au-P., 01 oct. 2024 [AlterPresse] --- Des appréhensions s’expriment par rapport à la situation politique en Haïti, qui pourrait revenir à une période d’incertitudes en ce début d’octobre 2024, prévu pour la transmission de la présidence du Conseil présidentiel de transition par Edgar Leblanc Fils, en même temps que des changements seraient souhaités au gouvernement, apprend AlterPresse.
Dans le cadre de la « présidence tournante », adoptée le 7 mai 2024, Edgar Leblanc Fils devrait se préparer à passer le maillet à Smith Augustin, dont le tour arrive le 7 octobre. Mais ce conseiller-président, comme deux autres, Louis Gérald Gilles et Emmanuel Vertilaire, font l’objet de vives controverses. Ils ont été éclaboussés par un scandale persistant de tentative de corruption, jusqu’à présent non éclairci.
Les trois (à droite sur la photo) ont été indexés par le président de l’époque du Conseil d’administration de la Banque nationale de crédit (Bnc), Raoul Pascal Pierre-Louis, pour lui avoir supposément exigé un paiement de 100 millions de gourdes (Ndlr : US $ 1.00 = + 140.00 gourdes ; 1 euro = 143.00 gourdes ; 1 dollar canadien = 96.00 gourdes ; 1 peso dominicain = 2.40 gourdes aujourd’hui) pour conserver son poste. Il a été par la suite remplacé par une commission.
A quelques jours de la passation prévue des responsabilités à Smith Augustin, est-on à la veille de la publication des conclusions d’une enquête conduite par l’Unité de lutte contre la corruption (Ulcc), à laquelle l’affaire a été soumise ? C’est du moins ce que fait savoir un fonctionnaire faisant partie des structures du Cpt, consulté par AlterPresse.
Ce fonctionnaire n’écarte pas que l’Ulcc pourrait probablement trouver matière à transférer le dossier au Parquet de Port-au-Prince pour des suites judiciaires.
Dans ce cas, quel serait l’avenir des conseillers concernés ?
Leblanc, qui a effectué une sortie remarquée la semaine dernière à l’occasion de la 79e assemblée générale de l’Onu, aurait-il fait son dernier tour de piste ?
Une source proche du cabinet du président du Cpt indique à AlterPresse qu’aucun préparatif n’est en cours pour une transmission des tâches de coordination à un autre conseiller-président. Un membre de cabinet d’un autre conseiller-président estime, pour sa part, qu’il n’est pas question que Leblanc garde le fauteuil à l’issue du 7 octobre prochain.
Des réunions se multiplient et des scénarios sont envisagés au niveau des équipes de chacun des conseillers-présidents, a pu savoir AlterPresse dans les couloirs de la Villa d’Accueil, siège du Cpt.
Jusqu’à présent, il n’a été possible pour le Cpt d’adopter aucune décision relative à cette affaire. Ne serait-ce que de mettre momentanément sur le banc de touche les membres éclaboussés.
A ce propos, il faut rappeler que la résolution du 7 mai stipule aussi qu’ « à défaut de consensus, toutes les grandes décisions du Conseil seront prises par une majorité qualifiée de ses membres, soit cinq sur sept votants... ». Or, il est présentement impossible de dégager une telle majorité, puisque seuls 4 conseillers pourraient s’engager dans une telle voie.
Les conseillers se sont quand-même entendus avec le gouvernement pour nommer, le 18 septembre dernier, 7 des 9 membres du Conseil électoral provisoire (Cep) et une Commission de vérité justice et réparations prévue en tant qu’une des institutions de la transition.
Le Cpt semble être embourbé et une certaine incertitude planerait à propos de ce qui pourrait se passer dans les jours à venir, les secteurs ayant désigné les membres de l’organe présidentiel éclaboussés ne faisant preuve d’aucune capacité à décider sur leur sort. Ils seraient déchirés par des divisions internes. Les pressions internationales, particulièrement de la part de la Communauté des Caraïbes (Caricom), ne sont pas parvenues à infléchir les positions. L’organisation caribéenne poursuivrait ses consultations en ce sens, selon des informations fournies à AlterPresse.
La transition, serait-elle dans l’impasse, au moment où s’effectue avec grande difficulté la rentrée scolaire ? Tandis que les activités criminelles des gangs se poursuivent à un rythme soutenu, en dépit des plans annoncés par les forces de l’ordre.
3,638 homicides au cours du premier semestre 2024, soit une augmentation de près de 74 % par rapport à 2023, 703,000 personnes déplacées en raison des violences armées et plus de 5 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire, soit près de la moitié de la population : ces chiffres de l’Onu en disent long sur l’état de la crise, malgré une apparence d’éclairci.
Complication supplémentaire, le gouvernement également pourrait être affecté par des frictions apparues récemment dans ses relations avec le Cpt. Ce dernier digèrerait très mal le cafouillage diplomatique observé à la fin de septembre, durant la participation d’Haïti à la 79e assemblée générale de l’Onu à New-York.
Le poste d’au moins un ministre serait en jeu, selon ce qu’a affirmé le fonctionnaire du Cpt consulté par AlterPresse. Le sujet aurait été au centre du Conseil des ministres du lundi 30 septembre, très tendu.
En présence de journalistes, un conflit aurait éclaté, le lundi 23 septembre 2024 à New York, entre l’équipe du conseiller-président Leslie Voltaire et celle du premier ministre Garry Conille au sujet de la participation de Voltaire à une rencontre avec le président du Brésil Luiz Inácio (Lula) da Silva, rapportait AlterPresse.
Samedi après-midi 21 septembre 2024, Edgard Leblanc a évoqué « une confusion entre les Nations unies, le département d’État américain et la représentation diplomatique d’Haïti à New York » dans le cadre du voyage de la délégation d’Haïti, sans préciser la nature de ladite confusion.
La titulaire du Ministère des affaires étrangères et des cultes (Maec), Dominique Dupuy (sur la photo, accueillant Leblanc le 24 septembre 2024 à New-York), a été invitée par Leblanc à « apporter des éclaircissements sur le dossier ». Depuis le retour de la délégation, le week-end écoulé, Dupuy multiplie des communications notamment à travers les réseaux sociaux pour nier toute responsabilité dans les problèmes enregistrés. Pour elle, tout s’est généralement bien passé.
Conjoncture politique à observer avec beaucoup d’attention, et réalités à appréhender en lisant entre les lignes. [gp apr 01/10/2024 13 :00]