Actualisation, 28 septembre 2024, 11:30
P-au-P, 27 sept. 2024 [AlterPresse] --- Le journaliste de carrière et entrepreneur Ives-Marie Chanel et le docteur en communication publique, Wisnique Panier, encouragent une pratique journalistique responsable en Haïti, au regard de l’éthique et la déontologie, dans des interviews accordées à l’agence en ligne AlterPresse.
Le geste de deux journalistes de Reuters, Adrees Latif et Sarah Kinosian, d’offrir des cadeaux, incluant des cagoules, des bouteilles d’alcool et paquets de cigarettes, au chef de gang haïtien Jimmy Cherizier dit « Barbecue », pose un problème éthique sérieux, estime Ives-Marie Chanel.
Le samedi 14 septembre 2024, Cherizier avait posté une vidéo sur les réseaux sociaux, dans laquelle il montre des cadeaux qu’il aurait reçus des deux journalistes de Reuters.
« Normalement, au point de vue éthique, un journaliste n’a pas le droit d’offrir des cadeaux à une personne qu’il va interviewer », souligne le journaliste Ives-Marie Chanel.
Il rappelle aussi combien il ne faut pas payer une personne pour obtenir, de sa part, une interview.
Il en profite pour fustiger les interviews réalisées avec des chefs de gangs par certaines personnes, qui se revendiquent comme journalistes haïtiens, et qui se montrent généralement très complaisantes dans leurs démarches.
Apeurés, ces « soi-disant journalistes » affichent une révérence excessive à l’égard de ces chefs de gangs, envers qui ils devraient faire preuve de rigueur journalistique.
« Cette vénération devient un problème éthique. Leur attitude traduit une reconnaissance effective du pouvoir de ces chefs de gangs, alors qu’ils devraient les questionner comme il se doit », déplore Chanel.
Il existe une pratique courante en Haiti, où « de prétendus journalistes en ligne » tendent leurs micros à des chefs de gangs notoires, recherchés pour assassinats, kidnappings, viols, vols, entre autres.
Éthique, intégrité et responsabilité
La pratique. qui consiste à donner des gratifications à des personnes, dans le but d’obtenir des informations, pose un problème éthique profond pour les journalistes, analyse, pour sa part, le docteur en communication publique, Wisnique Panier, membre fondateur du Centre d’études interdisciplinaires sur les médias haïtiens (Ceimh).
Cette méthode, bien qu’elle puisse paraitre parfois nécessaire. pour accéder à certaines zones dangereuses et accéder à des témoignages importants, pourrait entrainer un risque de compromission très significative, met en garde Panier.
« Le journalisme repose sur des principes d’intégrité et d’objectivité. Le fait de fournir des gratifications à des individus, pour obtenir des informations, risque d’être interprété comme une forme de corruption et de manipulation, pouvant même mettre en doute l’intégrité des informations recueillies ».
Ce geste pourrait être perçu comme un soutien indirect à ces groupes armés, continue Wisnique Panier, se référant aux cadeaux offerts par les journalistes de Reuters à Jimmy Cherizier.
Gratifier des bandits armés notoires revient pour ces journalistes, même de manière involontaire, à soutenir une activité criminelle, soulevant des questions morales et légales, souligne Panier.
Dans presque tous les pays, le fait de soutenir financièrement des organisations criminelles constitue une pratique illégale, rappelle-t-il, appelant les journalistes à la prudence et à faire preuve de responsabilité.
Privilégier l’intérêt public
Lors même qu’il ne serait pas interdit aux journalistes d’interviewer des chefs de gangs ou groupes armés, leur travail d’investigation devrait consister à révéler certaines informations d’intérêt public qui peuvent être liées, entre autres, au fonctionnement et aux pratiques de ces chefs de gangs et groupes criminels armés, insiste le journaliste de carrière et entrepreneur Ives-Marie Chanel.
Dans d’autres pays, grâce à un travail d’investigation, des journalistes vont jusqu’à infiltrer des gangs pour mettre à nu leurs modes de fonctionnement, relate-t-il.
À ce moment, ces journalistes jouissent d’une certaine protection au niveau de l’État, ajoute-t-il.
Un travail pareil pourrait présenter des risques pour le journaliste dans un pays, comme Haïti, où l’État ne lui offre pas de protection.
« Si vous vous engagez dans un travail de ce genre en Haïti, vous avez beaucoup de risques d’être victimes », avertit-il.
Ives Marie Channel relève un entremêlement dans le paysage médiatique haïtien, où il existe une confusion entre journalistes, bloggeurs, influenceurs, youtubeurs.
N’importe qui peut se revendiquer journaliste en brandissant sa propre carte, déplore-t-il, soulignant l’absence d’une institution haïtienne capable de délivrer des cartes accréditant une personne comme journaliste.
De son côté, interrogé par la plateforme AlterPresse/AlterRadio, le spécialiste en communication, Ary Régis, professeur d’université, dit constater combien le secteur journalistique se trouve dans un bouleversement avec l’émergence des nouveaux « médias en ligne ».
Le professeur Régis note une confusion existante sur les influenceurs, l’absence d’un cadre d’auto-régulation et le manque d’engagement d’associations de journalistes et de médias, pour faire respecter les droits et devoirs des journalistes.
Cette situation n’aide pas à comprendre les pratiques et les perspectives d’amélioration, avance Régis, affirmant qu’en général les journalistes acceptent difficilement les critiques sur leurs travaux.
Régulariser la pratique journalistique face aux dérives
Le docteur en communication publique, Wisnique Panier, souhaite la régulation de la pratique du journalisme en Haïti, en se basant sur des critères professionnels et légaux.
Il souligne que l’application du Code de déontologie, paraphé, le 8 décembre 2011 à Port-au-Prince, par plusieurs associations du secteur Presse et Médias en Haïti, fait toujours défaut, en raison d’une absence d’instance de mise en œuvre.
Les nombreuses dérives font qu’il devient obligatoire de réguler et légiférer, en ce qui concerne la pratique de la profession de journaliste, estime le journaliste de carrière et entrepreneur Ives-Marie Chanel sur la plateforme AlterPresse/AlterRadio.
Plusieurs journalistes seniors sont toujours opposés à une législation et régulation du métier, rappelle-t-il, invitant à changer de perception, vu le contexte actuel.
Il faut définir qui est journaliste, sa formation, la pratique de la profession, la censure, les dérives, etc, recommande Ives-Marie Chanel, exhortant à légiférer sur le numérique et le monde digital.
Chanel préconise la mise en place d’un organe, qui devrait s’occuper des contenus véhiculés dans les médias. [ppsf emb rc gp apr 27/09/2024 16:50]