Español English French Kwéyol

Haïti-Transition : Où sont les femmes ?

Pour réussir, la transition en Haïti doit être centrée sur les Femmes Haïtiennes et leurs besoins

Par Pascale Solages et Sasha Filippova *

Soumis à AlterPresse

Des leaders féministes et d’organisations de droits humains en Haïti reprochent au gouvernement de transition d’Haïti d’exclure les Femmes et leurs priorités, alors même qu’il prétend restaurer un gouvernement démocratique fondé sur les droits. Le Conseil présidentiel de transition (CPT), composé de neuf membres, ne compte qu’une seule Femme, avec le statut d’observatrice, qui n’a pas le droit de vote. Aucune femme n’a été interviewée pour le poste de Premier Ministre intérimaire.

L’exclusion des Femmes de la prise de décision dans la politique haïtienne est une pratique courante. Cette situation viole non seulement l’exigence constitutionnelle d’égalité des sexes dans les affaires publiques du pays, mais menace également l’efficacité de la transition haïtienne dans son ensemble. Les partenaires internationaux d’Haïti sont restés silencieux.

Les défenseuses/eurs haïtien.ne.s ripostent avec un Cadre politique pour une transition efficace et équitable qui a été endossé par plus de 135 organisations du monde entier. Ce cadre définit les lois contraignantes et les meilleures pratiques nécessaires à l’inclusion des Femmes dans la transition haïtienne, en soulignant que pour être significative, l’inclusion doit être solide, dotée de ressources et refléter les priorités du mouvement des Femmes Haïtiennes. Il propose des recommandations qui serviront de base à la promotion des droits des Femmes Haïtiennes et à la sauvegarde de la transition en Haïti. Il doit être adopté de toute urgence si Haïti veut réussir à sortir de la crise.

Bien qu’imparfait, le gouvernement de transition d’Haïti a la possibilité de reconstruire le pacte social et d’instaurer une gouvernance démocratique fondée sur les droits humains en rompant avec les pratiques néfastes du passé et en tirant parti des bouleversements sociaux de la crise pour procéder à des transformations structurelles en faveur d’une plus grande dignité collective et d’une plus grande équité. Mais, comme le reflète le Cadre, il ne peut le faire s’il exclut les Femmes.

Les nominations ministérielles transitoires - effectuées après la dénonciation de ce schéma par les groupes féministes et de défense des droits humains - ont inclus des Femmes, mais des Femmes largement déconnectées du mouvement des Femmes en Haïti et de ses priorités. Le résultat est une ministre du Ministère à la Condition Féminine et des Droits des Femmes qui propose de transformer son mandat en un mandat axé sur les familles. Il s’agit d’une décision qui, au mieux, diluerait les efforts du ministère pour soutenir les besoins spécifiques des Femmes et des Filles dans un contexte d’inégalités et de discriminations sexospécifiques profondes. Au pire, il s’agit d’une conception régressive du rôle des Femmes dans la société, uniquement lié à la famille.

La commission de réforme pénale récemment nommée, composée de neuf membres, s’inscrit également dans ce schéma néfaste. Elle ne compte qu’une seule Femme, et aucune des personnes nommées n’est connue pour avoir pris part à la lutte de longue date pour moderniser les lois haïtiennes en tenant compte des besoins des Femmes et des Filles. Cela signifie que la commission risque de manquer des occasions d’améliorer le système de justice pénale obsolète d’Haïti de manière à protéger les droits et la dignité des Femmes alors que des réformes sont absolument nécessaires pour créer des protections contre la violence sexuelle, le harcèlement et la discrimination, et pour décriminaliser le droit fondamental à l’avortement.

De telles exclusions sexistes et l’incapacité à centrer les priorités du mouvement des Femmes et les questions qui les affectent spécifiquement, violent les exigences constitutionnelles explicites en matière d’égalité entre les sexes. En cela, elles trahissent les principes fondamentaux censés guider la transition et constituent un préjudice pour les Femmes et les Filles d’Haïti au regard du droit national et international.

En conséquence, elles menacent le succès de la transition d’Haïti vers la démocratie et l’État de droit. Cette conclusion est également étayée par des principes mondiaux de longue date, tels que le programme des Nations unies pour les Femmes, la Paix et la Sécurité, qui codifie la reconnaissance du fait que l’inclusion des Femmes et la prise en compte de considérations qui leur sont spécifiques constituent une meilleure pratique pour les transitions dans les pays touchés par un conflit. Des niveaux plus élevés d’équité entre les sexes sont étroitement liés à des niveaux plus élevés de démocratie, de stabilité sociale et de développement économique plus robuste pour tous les individus.

En persistant dans cette voie, le gouvernement de transition et ses partenaires internationaux gâchent encore plus l’occasion de s’attaquer aux inégalités et aux discriminations historiques qui ont marginalisé les Femmes haïtiennes dans la vie publique, économique et privée, les ont exposées à la violence fondée sur le genre et leur ont souvent refusé tout recours.

Il est urgent de prendre des mesures correctives. Le gouvernement de transition est en train de mettre en place les institutions qui façonneront l’avenir d’Haïti, notamment un conseil électoral provisoire et un conseil national de sécurité.

Si le gouvernement de transition ne fait pas marche arrière et n’intègre pas systématiquement les Femmes et leurs préoccupations dans la transition à partir de maintenant, l’histoire de leur exclusion continuera à se répéter, compromettant ainsi l’avenir démocratique et économique d’Haïti.

* Pascale Solages : Co-fondatrice et Coordonnatrice Générale de NÈGÈS MAWON
Sasha Filippova : Senior Staff Attorney at Institute for Justice and Democracy in Haiti/IJDH)