Commentaires par le poète René Depestre [1]
Repris par AlterPresse le 15 aout 2005
Le jeudi 4 août 2005 a cinq heures trente du soir, un
appel téléphonique de Montréal m’apprend que ma nièce
du Canada, Michaà« lle Jean, a été désignée gouverneure
générale de son pays d’adoption. Transmise ainsi, sans
préambule, la nouvelle m’a semblé l’incipit d’un conte
de fées. Les explications du journaliste Sébastien
Béranger m’ont vite convaincu qu’il ne me jetait pas à
la tête le songe d’une fin d’après midi d’été. La
fille aînée de ma sœur Luce est, bel et bien, élevée à
la haute fonction politique de gouverneure générale du
Canada.
Dans un monde hérissé d’incertitudes - quant aux
nouveaux repères existentiels dont a besoin
l’universalisation de la démocratie -, la désignation
d’une femme, journaliste d’origine haïtienne, à ce
poste considérable, est un fait culturel de
civilisation qui honore le Canada du Premier ministre
Paul Martin.
C’est le signe fort, exaltant, étincelant, du haut
niveau de civilité démocratique qui marque l’évolution
des institutions canadiennes. Voici le Canada décidé
à faire avancer le processus de redressement du cours
chaotique de la mondialisation. La promotion
extraordinaire d’une femme émigrée de la première
génération, fille d’une infirmière originaire d’Haïti,
incarne brillamment la réussite de l’intégration à la
canadienne.
Michaà« lle Jean, grâce à ses dons de journaliste de
radio et de télévision, grâce à la rigueur de sa
parole, à sa connaissance des implacables réalités de
la vie sur la planète, bénéficie aujourd’hui de
l’admiration, de la confiance, de l’affection des
téléspectatrices et des téléspectateurs du Québec.
Mais, sa popularité - son audience, de bel aloi -
s’est étendue, en quelques années, bien au-delà des
clivages de langue et de culture. Les mérites de
Michaà« lle sont connus et célébrés aussi au Canada
anglophone. La descendante des esclaves de
Saint-Domingue a tout pour étoffer et planifier de ses
qualités, de son histoire singulière, de sa beauté,
l’apport culturel des humanités anglo-saxonnes -
métissées bellement de francophonie et de créolité - à
la société civile internationale en formation.
N’est-ce-pas celle-ci qui est appelée - l’action
civilisatrice des Nations Unies aidant - à sauver les
Etats-Nations, et la diversité de leurs cultures, des
barbaries qui, par le sang qui court, humilient
violemment le processus d’entente et de savoir-vivre
ensemble des multiples civilisations de la scène
mondiale ?
Associé à la Couronne britannique et au Commonwealth,
membre éclairé du G8, le Canada est bien placé pour
faire prospérer l’idée consensuelle d’un nouvel
équilibre entre la nature et l’Histoire de nos
sociétés du XXIe siècle, c’est-à -dire en clair, l’idée
d’une vie démocratique internationale qui serait pour
les peuples du monde tout un art-d’être-ensemble au
service des idéaux les plus élevés de la démocratie et
de la civilisation universelle.
L’arrivée spectaculaire de Michaà« lle Jean à Rideau
Hall (résidence officielle des gouverneurs à Ottawa)
permet de rêver sans toutefois nous donner le droit de
verser béatement dans une énième utopie historique.
Dans ces conditions rassurantes, on comprend pourquoi,
en Haïti - au berceau désolé de la famille de
Michaà« lle Jean -, la bonne et formidable nouvelle de
sa nomination de gouverneure générale du Canada est
accueillie et intensément vécue comme un phare
d’espérance et d’allégresse à l’horizon d’attente d’un
Sud au bord du désespoir.
René Depestre
Lézignan-Corbière
[1] Oncle de Michaà« lle Jean