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Environnement : Les sargasses en Haïti, entre nuisance et opportunité

Par Nancy Roc et Paul Judex Edouarzin

Transmis à AlterPresse le 20 juin 2024

Dans le cadre du programme de Tourisme côtier durable (Tcd), financé par la Banque interaméricaine de développement (Bid), l’Unité technique d’exécution du Ministère de l’économie et des finances (Ute/Mef) - en partenariat avec le Ministère du tourisme et le Ministère de l’environnement/Agence nationale des aires protégées (Anap) - soutient des activités de prévention des catastrophes naturelles et changements climatiques, destinées aux enfants et aux adolescentes/adolescents du Sud, un projet proposé par la firme haïtienne, Incas Productions.

En partenariat avec la Fédération des écoles protestantes d’Haïti (Feph), Incas Productions a sensibilisé près de 600 élèves lors des webinaires des jeudi 13 et vendredi 14 juin 2024 à Saint-Louis du Sud, sur le thème « Les Sargasses : entre nuisance et opportunité », et à Aquin, sur le thème « Les jeunes face aux catastrophes climatiques : quelle résilience ? »

Depuis 2011, les sargasses ont envahi le Sud d’Haïti.

Ces algues, bien que naturelles, prolifèrent de manière alarmante. Cette prolifération serait associée au réchauffement climatique et aux rejets de nutriments dans l’océan Atlantique.

Selon des chercheurs de l’Université de Floride du Sud, les échouages massifs de ces grandes algues brunes pourraient être attribués aux rejets de nitrate du fleuve Amazone [1] .

Les courants marins, exacerbés par des phénomènes météorologiques extrêmes, transportent ces masses d’algues à travers les Caraïbes et également sur les plages haïtiennes, créant un problème de taille pour les habitantes et habitants.

En effet, que ce soit à Saint-Louis-du-Sud et aux Cayes (Sud) ou à Jacmel (Sud-Est), les sargasses, posent une menace sérieuse pour la santé publique en Haïti, notamment pour les enfants.

Leur prolifération massive transforme les plages en véritables dépotoirs marins. Les effets sur la santé sont multiples.

A titre d’exemples, en se décomposant, les sargasses libèrent du sulfure d’hydrogène, un gaz toxique responsable de troubles respiratoires, d’irritations cutanées et de maux de tête.

En outre, les touristes dans les Caraïbes - il n’y en a plus en Haïti, à cause de l‘instabilité politique, de l’insécurité et des violences des gangs armés - évitant les plages infestées, provoquent d’importantes pertes économiques pour les communautés locales, dépendantes d’activités touristiques.

Les effets néfastes

Que ce soit à Saint-Louis-du-Sud et aux Cayes ou à Jacmel, en envahissant les côtes, les gaz émis par la décomposition des sargasses peuvent causer des irritations respiratoires, des nausées et d’autres problèmes de santé pour les communautés, en particulier les enfants, vivant près des zones affectées.

Les sargasses perturbent les écosystèmes marins locaux et le cycle de vie de certaines espèces, étouffant la faune et la flore marines : asphyxies des poissons, inaccessibilité des tortues marines aux sites de ponte. Les récifs coralliens, essentiels à la biodiversité marine et à la protection des littoraux contre l’érosion, sont particulièrement affectés, du fait qu’ils sont privés de lumière.

En outre, la décomposition des sargasses, en libérant du sulfure d’hydrogène, contribue à l’acidification des eaux, mettant en péril les espèces marines et la pêche, une ressource vitale pour les communautés côtières d’Haïti.

Les bateaux de pêche, entravés par les amas d’algues, peinent à naviguer, compromettant la subsistance des pêcheurs locaux.

Face à cette crise écologique, il est impératif que les autorités haïtiennes, en partenariat avec les organisations régionales et locales, développent des stratégies de gestion durable et de nettoyage efficace pour préserver l’équilibre écologique et soutenir les économies locales menacées.

Une opportunité inexploitée en Haïti

Si les sargasses représentent une menace pour le tourisme et l’écosystème marin, elles offrent également une multitude d’opportunités économiques et environnementales.

De nombreuses initiatives dans les Caraïbes démontrent combien les sargasses peuvent être transformées en ressources précieuses, et Haïti pourrait bénéficier grandement de ces innovations.

Dans plusieurs régions des Caraïbes, les sargasses sont utilisées comme fertilisant organique.

Par exemple, à Porto Rico [2], les agricultrices et agriculteurs ont commencé à intégrer les sargasses dans le compost, améliorant ainsi la qualité des sols et réduisant le recours aux fertilisants chimiques coûteux.

À Sainte-Lucie, l’entreprise Algas Organics transforme les sargasses en biofertilisants [3]. Leur modèle économique montre comment les sargasses peuvent être transformées en produits à valeur ajoutée, créant des emplois locaux et soutenant l’agriculture durable.

Haïti pourrait adopter cette pratique pour revitaliser ses sols dégradés et appauvris, et augmenter la productivité agricole, alors que près de cinq millions d’Haïtiennes et d’Haïtiens souffrent de la faim et ont besoin d’une aide alimentaire, selon des chiffres récents de l’Organisation des Nations unies (Onu) [4].

En Martinique, les sargasses sont utilisées pour fabriquer des matériaux de construction écologiques, tels que des briques et des panneaux isolants [5]. Ces produits sont non seulement durables, mais également économiques.

En Haïti, où la reconstruction après les catastrophes naturelles est une priorité, l’utilisation de sargasses pour produire des matériaux de construction pourrait représenter une avancée significative.

Les sargasses peuvent également être transformées en biocarburant.

Au Mexique, une entreprise innovante a développé un procédé pour convertir ces algues en biométhane, une source d’énergie renouvelable [6].

Cette technologie pourrait être une solution viable pour Haïti, qui cherche à diversifier ses sources d’énergie et à réduire sa dépendance aux combustibles fossiles importés.

Les sargasses sont aussi riches en composés bioactifs, utilisés dans l’industrie cosmétique et pharmaceutique.

En Guadeloupe, une entreprise a réussi à extraire des substances anti-inflammatoires et antioxydantes des sargasses pour créer des produits de soins de la peau [7].

Haïti, avec son potentiel de développement dans le secteur des cosmétiques naturels – cf. l’huile de ricin (Maskriti), pour ne citer que cet exemple - pourrait exploiter cette ressource pour créer des produits de haute valeur ajoutée.

Les défis à relever

Malgré les opportunités, plusieurs défis doivent être relevés pour maximiser l’utilisation des sargasses en Haïti.

Les fluctuations saisonnières de la disponibilité des sargasses, les coûts de collecte et de transformation, ainsi que les préoccupations environnementales, comme les niveaux d’arsenic, sont des obstacles majeurs.

Des recherches supplémentaires, des investissements dans les technologies de traitement et une coopération régionale seront nécessaires pour surmonter ces défis, lorsque celui de l’insécurité chronique aura été résolu.

Mais, en attendant, des centaines d’enfants savent maintenant, à Saint-Louis-du-Sud combien les sargasses ne sont pas des déchets, qui n’apportent que des nuisances, sinon qu’elles représentent aussi des opportunités, qui, judicieusement utilisées, pourraient être des atouts susceptibles de contribuer au développement de leur communauté.

Et, qui sait ? Peut-être que l’un ou l’autre d’entre eux sera inspiré pour changer les choses dans sa communauté.


[1‘’ The great Atlantic Sargassum belt’’, Revue Scince, 5 Jul 2019, Vol 365, Issue 6448, pp. 83-87 ;

L’Amazone (en espagnol Río Amazonas, en portugais Rio Amazonas2) est un fleuve d’Amérique du Sud. C’est le plus puissant fleuve du monde : son débit moyen estimé à l’estuaire — de 209,000 m3/s pour la période 1973-19903 — est de loin le plus élevé de tous les fleuves de la planète et il équivaut au volume cumulé des six fleuves qui le suivent immédiatement dans l’ordre des débits. À elle seule, l’Amazone représente d’ailleurs environ un cinquième du débit fluvial du monde entier4.

Avec ses 7,025 km5 (dans sa branche Apurímac-Ucayali6), c’est le plus long fleuve de la Terre devant le Nila.

L’Amazone est aussi le plus grand fleuve par l’immensité de son bassin. Il draine une surface de 6,112,000 km2 (sans le rio Tocantins) soit 40 % de l’Amérique du Sud et l’équivalent d’une fois et demie la surface de l’Union européenne (le Congo, deuxième fleuve pour la superficie de son bassin, ne draine que 3,8 millions de km2). Le bassin de l’Amazone s’étend des latitudes 5° nord jusqu’à 20° sud. Le fleuve prend sa source dans la cordillère des Andes, traverse le Pérou, la Colombie et le Brésil, et se jette dans l’océan Atlantique au niveau de l’équateur.

Son réseau hydrographique compte plus de 1 000 cours d’eau. L’Amazone est à l’origine de 18 % du volume total d’eau douce déversée dans les océans du monde. Ses deux principaux affluents, le rio Madeira et le rio Negro font eux-mêmes partie des 10 plus importants cours d’eau du monde par leurs débits (32,000 et 29,300 m3/s), et le troisième le río Caquetá (18 600 m3/s) rivalise avec le Mississippi./ https://fr.wikipedia.org/wiki/Amazone_(fleuve)

[2Christine J., USA – Puerto Rico : Firm Rejection of Sargassum Use as Fertilizer, March 15th, 2024, Sargassum Monitoring

[3Marlowe Starling, Caribbean startups are turning excess seaweed into an agroecology solution, April 16th, 2024, Mongabay

[4Nourrir Haïti en temps de crise, cinq choses à savoir, ONU Info, 1er avril, 2024.

[5Valorisation des sargasses : lancement de deux projets aux Antilles françaises, Ademe en Guadeloupe - Agence de la transition écologique, 2020.

[6Marlowe Starling, Caribbean startups are turning excess seaweed into an agroecology solution, April 16th, 2024, Mongabay

[7Jacques Vilus, Les sargasses pourraient devenir des médicaments, France-Antilles, 4 avril 2024.