"L’analyse des événements survenus ces derniers jours à travers le pays
confirme que la police a failli à sa mission (…) Il y a lieu pour l’IGPNH de sévir contre les policiers qui ont manqué à leur devoir au cours de ces événements quel que soit leur grade. Il est important aussi de déférer à la justice ceux qui ont commis des infractions à la loi pénale."
Lettre ouverte à l’Inspecteur Général en Chef de la Police Nationale
Port-au-Prince, le 29 novembre 2002
Monsieur Harvel Victor JEAN BAPTISTE
Inspecteur Général en Chef
de la Police Nationale d’Haïti
Inspection Générale
Rue Oscar, Pacot
Port-au-Prince, Haïti
Monsieur l’Inspecteur Général en Chef,
La Coalition Nationale pour les Droits des Haïtiens (NCHR) profondément
préoccupée par le comportement inqualifiable de certains membres de la PNH
dans ces moments de grande turbulence politique, croit nécessaire de
s’adresser à vous, en votre qualité de Responsable de la Police des polices,
aux fins de voir la structure que vous dirigez prendre les mesures urgentes
qui s’imposent pour maintenir la confiance de la population en sa police.
Monsieur l’Inspecteur Général en Chef,
L’analyse des événements survenus ces derniers jours à travers le pays
confirme que la police a failli à sa mission. Si l’on excepte le cas du
Cap-Haïtien où un plan de sécurité sans faille a été mis en ouvre pour
protéger les manifestations du week-end de l’unité (16 - 17 novembre 2002),
la PNH a fait preuve d’un manque de professionnalisme révoltant dans
plusieurs coins du pays. On peut citer entre autres :
I- Le cas de Petit Goâve
A Petit Goâve, Monsieur l’Inspecteur Général en Chef, le mercredi 20
novembre 2002, les élèves du Lycée Faustin Soulouque et ceux des ollèges de
cette ville ont gagné les rues pour crier leur ras-le-bol au pouvoir
Lavalas. Les revendications des élèves portaient sur :
Les frais d’inscription aux examens officiels qui s’élèveraient à
cinq cents gourdes (gdes500) pour la 9eme année fondamentale et sept cent
cinquante gourdes (gdes750) pour les classes terminales
La cherté de la vie
La corruption
La rareté du courant électrique, etc.
La manifestation s’était transformée en manifestation anti -
gouvernementale quand à l’angle des rues Républicaine et Lamarre la police
a décidé d’ouvrir le feu à hauteur d’homme sur les manifestants. Les élèves
victimes de cet acte inqualifiable sont les suivants :
NOM & PRENOM ECOLE CLASSE AGE LOCALISATION DES BLESSURES
CHETTY Wagner, Collège Paul Lochard
3e, 19 ans, Atteint de trois projectiles dont deux au bas ventre et l’autre
au
fémur
POINT DU JOUR Joseph, Lycée Faustin Soulouque
9e AF, 19 ans, Blessé à la clavicule gauche
TATAILLE Wilbin, Collège Saint Antoine de Padoue
2e AF, 13 ans, Blessé à la clavicule gauche
CHERY Gétro, Collège Paul Lochard
8e AF, 20 ans, Blessé au tibia gauche
MILIEN Junior, Lycée Faustin Soulouque
Rhéto, 20 ans, Blessé à la jambe gauche
CEBIEN Toussaint, Collège Frères Unis
8e AF, 22 ans, Légèrement touché au dos
THERMILIEN Berthony, Lycée Faustin Soulouque
Philo, 23 ans, Blessé à la main gauche
LEGER Nivenson, Collège Paul Lochard
10 ans, Blessé à la jambe droite
Monsieur l’Inspecteur Général en Chef,
La NCHR juge choquantes et révoltantes les déclarations des responsables de
la Police Nationale d’Haïti tendant à justifier le comportement des
policiers en poste à Petit-Goâve. La Police reconnaît avoir tiré sur les
élèves mais déclare avoir été en position de légitime défense vu que les
manifestants tentaient de descendre le drapeau du Commissariat.
La légitime défense, on le sait, tend à déresponsabiliser pénalement toute
personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre
une personne ou un bien, accomplit un acte de défense, lorsque cet acte est
strictement nécessaire au but poursuivi, dès lors que les moyens employés
sont proportionnés à la gravité de l’infraction. Dans le cas de
Petit-Goâve, il y a lieu de se demander si les armes utilisées par les
policiers étaient proportionnelles aux livres et autres équipements
scolaires des élèves. De toute façon la légitime défense doit être
constatée par la juridiction d’instruction ou de jugement et non par la
Direction Générale de la Police. La PNH ne peut pas être juge et partie.
La NCHR rappelle que le commissariat de Petit-Goâve a la réputation de
verser dans les violations des droits humains. Le meurtre du policier
Ricardo BENJAMIN survenu au susdit commissariat dans la nuit du 9 au 10
février 2002 milite en faveur de cette affirmation. C’était un cas de mort
suspecte. Deux (2) thèses contradictoires étaient alors avancées dans le
récit de ce crime. La première semblait vouloir faire passer ce crime pour
un acte de vandalisme. Les tenants de cette thèse - principalement les
policiers - tentaient de faire croire que le commissariat avait été attaqué
à partir de sa façade principale dans la nuit du 9 au 10 février 2002. Dans
l’espace de quelques minutes le commissariat avait été soumis en deux (2)
fois à des tirs nourris. Ce n’est qu’au cours de la deuxième attaque que le
policier Ricardo BENJAMIN aurait été tué d’une balle à la tête.
La deuxième thèse laissait croire que le policier Ricardo BENJAMIN a été
lâchement assassiné par ses frères d’armes. Ceux qui soutenaient cette
thèse signalaient qu’une vive discussion à l’intérieur du commissariat a
précédé les tirs nourris au cours desquels Ricardo avait trouvé la mort.
Une grande confusion entoure donc l’assassinat du policier Ricardo BENJAMIN
jusqu’à maintenant. Des impacts de balles comme c’est le cas aujourd’hui
n’ont pas été constatés sur les murs de la façade principale du
commissariat. Le policier a été, en outre, atteint d’un projectile à
l’arrière de la tête, du côté droit, alors que les tirs d’éventuels
assaillants auraient dû l’atteindre de face.
La NCHR espère qu’une enquête impartiale de l’IGPNH contrairement à ce qui
s’est passé dans le cas de Ricardo BENJAMIN, permettra de faire le jour sur
les événements de Petit-Goâve d’autant que la clameur publique dénonce le
policier Jean Bernard comme un des policiers à avoir ouvert le feu sur les
manifestants.
II- Les cas de Port-au-Prince
Le vendredi 22 novembre 2002, la ville de Port-au-Prince a fait une
nouvelle expérience de ville morte par l’effet de membres d’organisations
populaires pro-gouvernementaux. Ce mouvement présentant une particulière
gravité mettait en danger la population. Les risques de blessures de nature
à entraîner mutilation ou impunité permanente étaient énormes. La Police a
choisi de se retrancher derrière la spontanéité du mouvement pour justifier
son refus d’intervenir.
La NCHR estime que la PNH a pêché par omission de porter secours selon la
théorie de la commission par omission illustrée par LOYSEL dans l’adage :
« Qui peut et n’empêche pêche »
III- Le cas des Gonaïves
Depuis quelque temps la ville des Gonaïves est livrée à l’anarchie la plus
totale. « L’armée cannibale » , sous la direction du fugitif Amiot
METAYER, sème la terreur et impose sa loi à tous. La Police est
pratiquement inexistante dans cette importante ville de la République. Même
le délégué départemental, premier représentant de l’exécutif au niveau du
département, Me Kénaz Jean Baptiste SAINT PIERRE a été, dans une certaine
mesure, révoquée par le chef de « L’armée cannibale » qui se propose
d’installer à sa place le substitut du commissaire du gouvernement près du
Tribunal de première instance de la ville, Me Ketlin THELEMAQUE.
« L’armée cannibale » continue au jour le jour à faire des victimes :
Vendredi 22 novembre 02 : cinq (5) blessés dont deux (2) élèves.
neuf (9) journalistes sont contraints de se mettre à couvert.
Il s’agit de :
1. Esdras Mondélus, Directeur de Radio Etincelle
2. Henry Fleurimond, correspondant de Radio Kiskeya
3. Jean Robert François, correspondant de Radio Métropole
4. Frantz Renel Lebrun, correspondant de Radio Ibo
5. Josué Révé, correspondant de Signal FM
6. Renais Noà« l Jeune, Radio Etincelle
7. Eric Julien, corresponsant Caraïbes FM
8. Jean Niton Guérino, Radio Etincelle
9. Gédéon Présandieu, Radio Etincelle
Dimanche 24 novembre 02 : la Radio Etincelle des Gonaïves a été
partiellement incendiée.
Lundi 25 novembre 02 : deux (2) personnes sont blessées par balle au
cours d’échanges de tirs entre « L’armée cannibale » et le quartier de
Descahos. L’élève Jacky SIMILIEN du Collège Chrétien des Gonaïves se
retrouve parmi les blessés.
Dans toutes ces échauffourées la police s’est gardée d’intervenir et n’a
annoncé aucune arrestation dans le camp de « l’armée cannibale » . Pire,
le Directeur central de la police judiciaire, le Commissaire Jeannot
FRANà‡OIS déclare qu’Amiot METAYER n’est pas recherché par la Police alors
que le dernier rapport du Ministère de la Justice fait état d’efforts
consentis par le gouvernement pour que le fugitif Amiot METAYER retrouve sa
cellule. Le comportement de laisser faire de la Police dans cette ville est
condamnable.
Mardi 26 novembre 02 : l’élève Roberto Fils-Aimé de la classe de 8e
Année Fondamentale du Collège Union des Gonaïves est blessé par balles.
Monsieur l’Inspecteur Général en Chef,
La NCHR pense que de tels comportements des agents de la PNH dans les zones
susmentionnées méritent d’être sanctionnés. Il y a lieu pour l’IGPNH de
sévir contre les policiers qui ont manqué à leur devoir au cours de ces
événements quel que soit leur grade. Il est important aussi de déférer à la
justice ceux qui ont commis des infractions à la loi pénale.
La NCHR vous prie de recevoir, Monsieur l’Inspecteur Général en Chef,
l’expression de sa haute considération.
Pierre ESPERANCE
Directeur