Par Huguette Hérard et Pierre-Richard Cajuste *
Soumis à AlterPresse le 22 mai 2024
« Il est temps de passer d’une diplomatie au service du chef de l’État à une diplomatie au service de l’État et de la nation ! », estime un diplomate qui tient à garder l’anonymat. Cette nouvelle approche aurait pour effet une autre forme de dynamisation de l’action diplomatique dans l’intérêt du pays.
Autrefois, la diplomatie haïtienne jouissait d’un certain prestige. Nos diplomates étaient sélectionnés parmi les intellectuels, écrivains et figures politiques d’envergure, comme Émile Saint-Lot, ambassadeur d’Haïti à l’ONU, pour son rôle important en tant que rapporteur de la 3e Commission des Nations Unies chargée de la rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de l’homme de 1948. Citons aussi l’influent docteur Jean Price Mars, éminent sociologue, auteur de Ainsi parla l’oncle, ancien ambassadeur d’Haïti en France et en République dominicaine, reconnu comme un fervent défenseur de l’Afrique, qui a notamment rapproché les diasporas noires à Paris et présidé des événements culturels majeurs tels que le premier Congrès des écrivains et artistes noirs à la Sorbonne en 1956.
Dans le contexte actuel, de tels personnages prestigieux pourraient contribuer à donner un élan neuf à la diplomatie haïtienne dans le cadre des négociations et faire avantageusement fructifier notre coopération avec les partenaires internationaux. Les autorités de la nouvelle gouvernance, incarnée par le Conseil présidentiel de transition, doivent s’atteler sérieusement à la tâche, orienter la diplomatie vers sa vraie mission et tourner le dos aux pratiques clientélistes avilissantes qui n’ont cessé de dégrader notre diplomatie et par suite l’image même du pays, particulièrement au cours de la dernière décennie.
La plupart de nos diplomates sont fâcheusement nommés non sur des critères de compétence et d’expérience mais en fonction de leurs accointances politiques, au sein du gouvernement ou au parlement. On parle même de « négoces et de trafics d’emplois ». « Un parlementaire te déniche un boulot, mais en retour, le ou la bénéficiaire doit verser une bonne partie de son salaire à son ‘‘bienfaiteur’’. La personne accepte parce qu’elle a besoin d’un boulot, d’autant plus qu’elle sait qu’elle n’est pas qualifiée pour le job », nous confie sous le sceau du secret un ancien diplomate.
Le Ministère des Affaires étrangères donne rarement suite aux revendications de sécurité d’emploi, faisant fi des cadres de la Chancellerie et du principe de l’avancement dans la carrière diplomatique. La diplomatie haïtienne, de fait quasi inexistante, est de surcroît prise en otage par la « politique ». Depuis près de trois (3) ans la chancellerie est devenue un appendice de la Primature, la reléguant à un rôle de fournisseuse d’emplois et s’attribuant la prérogative de la gestion des passeports diplomatiques. Le dicton selon lequel « le poisson pourrit par la tête » semble ici très approprié.
Un énorme gaspillage
En outre, le personnel diplomatique est singulièrement pléthorique, ce qui ne manque pas de creuser un énorme trou dans un budget de l’État pourtant déjà famélique. La diplomatie coûte aux finances publiques rien de moins que la somme de 60 millions de dollars américains l’an. Une mission d’Haïti à l’étranger dont nous préférons ne pas nous souvenir compte une cinquantaine de diplomates et d’employés. Les arriérés de salaires atteignent parfois plusieurs mois. Certains diplomates sont obligés d’exercer un autre emploi, une anomalie qui en tout état de cause contrevient aux Conventions de Vienne sur les relations diplomatiques et consulaires.
Au niveau des Services centraux, la situation n’est pas meilleure. On constate les mêmes faiblesses : manque de cadres intermédiaires, nomenclature déconnectée de la réalité du monde actuel, mauvaises conditions de travail pour les fonctionnaires, salaires faibles, pour ne citer que les problèmes les plus flagrants.
Il importe d’harmoniser des règles de fonctionnement de nos missions diplomatiques qui dans quelques cas sont à la seule discrétion du Chef de mission. D’où la nécessité de mettre en place des mécanismes de contrôle des dépenses et de gestion efficace des ressources, valables pour toutes les missions.
Un autre exemple de la désorganisation et du désordre régnant au ministère des Affaires étrangères est la situation de plus d’une dizaine de diplomates de carrière qui, à la fin de leur mission, ont été rappelés à Port-au-Prince, mais se sont vu refuser leur réaffectation automatique, en violation flagrante de la loi du 29 décembre 1958 sur la carrière diplomatique et consulaire et du décret du 17 août 1987 relatif à l’organisation du ministère des Affaires étrangères. Ces cadres ayant plus de vingt ans d’ancienneté auraient dû naturellement, au titre de la rotation du personnel diplomatique, être réaffectés, or ils ont été purement et simplement jetés sur le pavé.
Un autre sujet brûlant qui mérite de retenir la meilleure attention des nouveaux dirigeants est le « Dossier de l’émission de passeports à Washington » qui pénalise les compatriotes de la diaspora, à cause des délais de délivrance de ce document scandaleusement longs. Ce sérieux problème se pose avec particulièrement d’acuité aux États-Unis où existe une forte augmentation du nombre de réfugiés haïtiens ces dernières années, ainsi d’ailleurs qu’en provenance de pays d’Amérique du Sud tels que le Brésil et le Chili. Cette migration a été notamment facilitée par des programmes légaux tels que le CHNV (Cuba Haïti Nicaragua Venezuela) de l’administration Biden et CBP One, entraînant un afflux significatif d’Haïtiens vers les États-Unis.
Le traitement anormalement lent, donné par l’Unité des Passeports à Washington aux demandes émanant des six postes consulaires aux États-Unis est à l’origine de cette crise des passeports. L’ambassade d’Haïti à Washington DC, étant seule en mesure de garantir des délais fixes et raisonnables, les émigrés haïtiens ont logiquement recours à ses services plutôt qu’à ceux d’autres postes consulaires, au prix parfois de coûteux et périlleux voyages.
Renforcer les compétences
Pour remédier à cette situation aussi délétère qu’insupportable, la décentralisation des capacités de traitement dans les consulats haïtiens aux États-Unis est recommandée. Cela implique l’installation de terminaux de fabrication de passeports, similaires à celui du Consulat général d’Haïti à Paris, ainsi qu’à celui de Washington, lesquels sont connectés directement au bureau principal à Port-au-Prince.
Tout cela demande une politique de réforme. À cette fin, le gouvernement haïtien doit avoir un agenda clairement défini, en sus d’une vision stratégique et d’un cadre opérationnel clair ; d’autant que les diverses crises politiques, qui ont affecté le pays depuis de nombreuses années, l’ont fait considérablement régresser, pour ne pas dire mis carrément KO.
La nouvelle équipe dirigeante devrait impérativement mettre sur pied une diplomatie dynamique, redéfinir les objectifs de la politique étrangère d’Haïti et sélectionner avec soin le personnel chargé de leur mise en œuvre, surtout au regard des défis de sécurité. Pour renforcer les compétences des diplomates, il est essentiel de mettre en place un système de formation continue qui permette aux agents de maîtriser les techniques de négociation internationale et de comprendre en profondeur les enjeux propres à notre pays. L’Académie diplomatique Jean Price Mars à Port-au-Prince a, à cet égard, un rôle fondamental à jouer.
Tenant compte de la situation exceptionnelle du pays, il est manifeste que, parallèlement à la pratique traditionnelle des relations internationales fondées sur le maintien des liens d’amitié, de paix et de concorde entre les nations, la diplomatie haïtienne doit faire montre de créativité. C’est précisément cet « exceptionnalisme » qui devrait conduire les décideurs haïtiens à conceptualiser un nouveau paradigme politico-diplomatique pouvant servir de cadre à l’avancement du pays et à son rayonnement.
On ne doit pas perdre de vue qu’en tant que membre des Petits États insulaires en développement (Peid) des Caraïbes, Haïti est exposée à des risques majeurs dans des domaines tels que le dérèglement climatique et la criminalité transnationale organisée. Récemment, le président Gustavo Petro déplorait l’influence néfaste des organisations criminelles de son pays sur la sécurité en Haïti.
Face à ces défis, un engagement renforcé, disons-le, un ressaisissement de la diplomatie haïtienne n’en est que plus essentiel, plus impérieux que jamais car l’aléa climatique menace l’existence même de certaines îles de notre archipel ainsi que leur capacité à répondre aux besoins de leurs habitants, tandis que la criminalité transnationale affaiblit la gouvernance, la stabilité et le développement. Pour y répondre, une stratégie globale et coordonnée s’impose, incluant la coopération régionale, l’aide internationale et le renforcement des capacités locales pour accroître la résilience face à ces menaces diversifiées.
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*Diplomates