Par Watson Denis, Ph.D.*
Soumis à AlterPresse
Un drapeau, au-delà d’une pièce ou de plusieurs pièces d’étoffe portant des couleurs et des insignes, attachée (s) à une hampe, représente l’identité historique et politique d’un pays tout entier. Il symbolise donc des moments forts de son passé, les palpitations qui illustrent son présent et éventuellement qui déterminent son devenir. A ce titre, le drapeau d’un État véhicule des valeurs partagées par les membres d’une communauté ou une bonne partie de celle-ci. L’une des valeurs que charrie le drapeau haïtien, dès son origine à nos jours, est le principe cardinal de la liberté— la liberté pour tous indistinctement.
A ce titre un drapeau est donc un symbole, un symbole politique, de cohésion, de cohésion politique. Il est cet emblème qui représente l’âme d’un peuple, l’étendard d’un État, la bannière d’un pays, l’émanation d’une nation, l’oriflamme d’une communauté nationale. Le drapeau haïtien est le symbole vivant d’Haïti dans le concert des nations. C’est donc la bannière de l’âme haïtienne capable de fait vibrer les cordes et les sentiments des compatriotes à l’égard de la patrie bien-aimée.
De la création du drapeau haïtien
Un drapeau est donc un symbole fort de souveraineté nationale. Il permet d’établir les particularismes d’un État vos-à vis d’autres États de la communauté internationale.
La création d’un drapeau national marque un tournant dans la vie d’un peuple. En général, il surgit dans un contexte historique dans lequel un peuple est en quête de définir sa voie d’émancipation, de recouvrer son identité par rapport à un autre peuple ou à d’autres peuples.
Les origines du drapeau haïtien unificateur remontent au congrès politique qui s’est déroulé dans le faubourg de l’Arcahaie le 18 mai 1803. En cette occasion de nombreux généraux et autres hauts gradés de plusieurs contingents militaires, anciens et nouveaux libres de la colonie française de Saint-Domingue, en présence des participants, dont des soldats, des officiers et des cultivateurs en armes, jurèrent obéissance, loyauté et fidélité au général Jean-Jacques Dessalines, qui devint alors général-en-chef de l’Armée indigène en formation. Tous décidèrent alors de lutter ensemble, dans l’unité et sous les remparts du drapeau nouvellement créé, en vue de chasser les Français de la colonie et parvenir à la proclamation de l’indépendance de l’ile. Ainsi, une alliance politique d’envergure a été jeté sur les fonts baptismaux.
Le drapeau adopté en la circonstance, le bleu et le rouge, cousu par la dame Catherine Flon, devint un symbole d’unité et de ralliement, qui accompagnait les troupes révolutionnaires dans leurs luttes contre l’armée expéditionnaire française. Et la révolution mise en marche résolument dès juin 1802 (avec l’arrestation par trahison du général-gouverneur Toussaint-Louverture et sa déportation expresse pour la France) devint triomphante avec la proclamation de l’indépendance d’Haïti le 1er janvier 1804.
Symbolisme du drapeau, d’hier à aujourd’hui
Avec ce triomphe historique, d’une grande portée universelle, le drapeau de l’Arcahaie symbolisa désormais le rejet de l’esclavagisme, du colonialisme et des discriminations de plusieurs ordres.
La création du drapeau a donc précédé la formation de l’État haïtien.
Avec le temps et les changements de régimes politiques en Haïti, le drapeau national a eu des modifications. Aujourd’hui, suivant l’article 3 de la Constitution de 1987 amendée en 2012, il est composé de :
• Deux (2) bandes d’étoffe d’égales dimensions, soit le bleu en haut et le rouge en bas, placées horizontalement ;
• Au centre, sur un carré d’étoffe blanche, figure les Armes de la République, qui sont : le palmiste surmonté du bonnet de la liberté et, ombrageant de ses palmes, un trophée d’armes avec la légende : « L’Union fait la force ».
Aussi, il y a lieu de faire remarquer que ces armes de la République ou armoiries sont constituées, entre autres, de six fusils à baïonnettes et deux canons, l’un à gauche et l’autre à droite.
Les couleurs du drapeau d’Haïti sont symptomatiques : le bleu représente la couleur de la mer, symbolisant la dimension universelle du projet d’émancipation politique projetée par les Haïtiens et le rouge qui incarne le sang versé par ces derniers pour la liberté acquise au prix d’énormes sacrifices et l’indépendance du pays chèrement acquise.
Pour une unité historique autour du drapeau
Depuis 1804, soit moins d’un an après le congrès de l’Arcahaie, le drapeau haïtien flotte dans les horizons. Il a inspiré et continue d’inspirer plusieurs personnalités et des mouvements libérateurs dans les Amériques, en Europe et en Afrique — l’Alma-mater. Ce drapeau continue de flotter, en Haïti et aussi avec emphase et paillettes dans la diaspora haïtienne à travers le monde lors des festivités patriotiques, des manifestations culturelles et des commémorations communautaires. Il continue de flotter ici et là. Quelquefois, lors des conjonctures troublées affectant la vie politique et économique du peuple haïtien, ses ondulations se font avec moins de panache de ce qu’on aurait souhaité car des objectifs majeurs de la Révolution haïtienne restent encore à matérialiser.
Tout de même 221 ans après sa création, le drapeau haïtien reste debout ; malgré les embûches et les soubresauts de toute sorte. Il a encore besoin de relief, d’une grande capacité politique à s’imposer, au propre et au figuré, sur la scène régionale et sur l’échiquier international. Il est du devoir du peuple haïtien, dans toutes ses composantes, en Haïti et ailleurs, de travailler à l’unité historique nécessaire en vue de faire briller ce drapeau libérateur dans toute sa splendeur.
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* Dr Watson Denis est professeur d’histoire, de relations internationales et de pensée sociale à l’Université d’État Haïti, auteur, entre autres de : Haïti : changer le cours de l’histoire (2016).