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Haïti-Politique : Présidence tournante ou présidence-tourmente ?

Par Gotson Pierre

P-au-P, 14 mai 2024 [AlterPresse] --- C’était le suspense autour du différend qui bloquait le Conseil présidentiel de transition (Cpt) depuis le 30 avril 2024, dans le processus de choix des dirigeants de la transition. La publication, dans la soirée du 10 mai 2024, d’une résolution consacrant « la présidence tournante à 4 et la majorité qualifiée à 5/7 pour les grandes décisions », garantit-elle un parcours fluide, sans entorse, durant les 20 prochains mois ?

Cette disposition n’a pas fini de provoquer des réactions partagées dans l’opinion : certains se sont montrés outrés, fustigeant une résolution qui serait motivée par des intérêts particuliers sans souci de la collectivité. Préoccupations par rapport au morcellement du temps - des présidents (coordonnateurs) aux mandats en moyenne de 5 mois –, la « perte de temps » dans une transition qui exigera des bouchées doubles, vu l’ampleur de la tâche à abattre.

D’autres se sont dits soulagés, d’abord que la situation soit débloquée, pour que le Cpt puisse finaliser les structures de la transition et accorder de l’attention aux dossiers essentiels, dont la sécurité. La résolution du 7 mai 2024 contribuerait à renforcer la cohésion au sein de cet organe composé de représentants d’acteurs politiques de tous bords. Il a peut-être fallu ce texte pour bien signifier que tous les Conseillers sont présidentiables.

Tout compte fait, l’image des politiciens haïtiens qui se mettent ensemble pour résoudre un conflit est, à n’en pas douter, très positive. Elle laisse l’impression d’un dépassement de soi. Comportement très rare sur l’échiquier politique.

Toutefois, si, comme le clament plusieurs Conseillers, le président n’est qu’un coordonnateur et n’a pas plus de prérogatives que ses autres collègues, pourquoi à tout prix être président ?

L’ensemble des parties prenantes n’est pas convaincu du bien-fondé de la résolution. Le rassemblement Collectif 30 janvier, dont est issu Edgard Leblanc la questionne, en dépit de la signature de l’actuel président du Cpt au bas du document.

D’ailleurs, le cas Leblanc lui-même se révèle intéressant. Ayant été auparavant supposément en faveur de la présidence tournante, il aurait changé d’avis avant de décider dans les dernières heures d’y adhérer.

De même, on a vu le Conseiller Fritz Jean refuser à la dernière minute d’accéder à la présidence, laissant son tour à Smith Augustin, qui a manifesté son intention au moment ultime.

Et puis, il y a le cas du Conseiller Frinel Joseph, l’unique à ne pas parapher la résolution. Simple absence ? Un désaccord est à ne pas écarter, selon des informations glanées dans son secteur.

Qu’est ce qui a décidé les réticents dans un sens ou dans l’autre ? L’essentiel pour les uns, serait-il de lancer la machine de la transition en mettant en place ses différentes structures institutionnelles, qu’il ne s’agira plus que de faire marcher ? Pour les autres, que signifiera concrètement être « président » ?

Un goût amer cependant, celui laissé par la réouverture d’un accord à peine signé, comme des chaussures trop étroites. Manque de constance, importante dans le positionnement politique comme en diplomatie ? Ce genre de résolution ne risque-t-il pas de devenir un mode d’accommodement ?

Par ailleurs, la présidence tournante, serait-elle une garantie absolue contre la captation de l’État par des groupes d’intérêts et des secteurs mafieux, comme Haïti l’a expérimenté gravement durant de longues années, laissant une économie exsangue, un cortège de morts et de destructions ?

Comme l’a martelé un confrère, le plus important est la réussite de la transition. Il n’est pas souhaitable que le flou du 30 avril revienne assombrir le paysage du Cpt. Haïti n’a pas droit à l’erreur. Les enjeux sont cruciaux : sécurité et fin de l’impunité, relèvement économique et humanitaire, ré-institutionnalisation et stabilité. [gp apr 14/05/2024 00:30]