Après avoir fait partie du « Bloc majoritaire indissoluble », l’Accord du 21 décembre 2022 prône à présent le « consensus permanent » au sein du Conseil présidentiel de transition, en pleine crise. Dans cette lettre ouverte adressée à l’organe présidentiel, en date du 6 mai 2024, et dont copie est parvenue à AlterPresse, des signataires de l’Accord du 21 décembre 2022, alliés de l’ancien premier ministre de facto Ariel Henry, estiment que « toute quête hégémonique aveugle vouera le ‘Conseil Présidentiel’ à sa plus grande perte ».
Aux membres du « Conseil Présidentiel », nous, signataires de la présente, conscients des lourds enjeux de l’heure et de notre responsabilité historique y relative, adressons cette lettre qui se veut ouverte. Entre autres causes explicatives, cette démarche est le fruit de mûres réflexions patriotiques entre nous à un moment où le délire collectif semble tenir la raison en état. Convaincus que la déchéance actuelle d’Haïti ne s’explique par aucune fatalité historique et ne se justifie par aucun vice rédhibitoire, nous nous permettons de préférer l’optimisme de la volonté au pessimisme de la raison quand il s’agit d’entrevoir notre devenir collectif. Néanmoins, pour que cet optimisme ne soit pas réputé béat et platement naïf, il conviendra de ne pas répéter les mêmes erreurs de jugement et de comportement dont notre tumultueuse histoire nationale offre le si triste spectacle.
Tout d’abord, nous voulons souligner que la composition actuelle du « Conseil Présidentiel » est une invitation symbolique à un processus fécond de réconciliation nationale. Nous formulons donc le vœu que le « Conseil Présidentiel » soit ce grand creuset historique capable de fondre et de dépasser les multiples contradictions au nom desquelles nous avons embrasé le pays par le passé de nos excès convulsifs de rage, de violence, de frustrations, d’agitations et d’autodestruction. Sans vouloir exagérer, nous osons penser que vous, les membres actuels du Conseil Présidentiel, êtes nantis d’une mission hautement historique, en dehors du formalisme de la feuille de route qui vous servira de boussole : gommer les différends, atténuer les différences, servir de traits d’union entre les membres de la grande famille haïtienne.
Nous, étant signataires de l’accord du 21 décembre, avons désigné le Docteur Louis Gerald Gilles au sein du « Conseil Présidentiel ». Homme expérimenté, compétent et de bon commerce, il jouit de notre confiance pour faire œuvre qui vaille à vos côtés.
Cependant, il n’est pas vain de préciser que le contexte actuel recommande le primat du collectif sur l’individuel. En ce sens, c’est tout le Conseil qui mérite notre sollicitude patriotique vu que son échec ou son succès sera d’abord celui d’Haïti. Le « Conseil Présidentiel » n’est plus, à nos yeux, une juxtaposition de représentants de partis disparates dans une tour de Babel. Autrement dit, il n y a pas lieu, pour les Conseillers, de se cantonner dans leur zone respective de confort idéologico-politique mais de s’ouvrir les uns aux autres au profit d’Haïti.
De ce qui précède, il est évident que toute quête hégémonique aveugle vouera le « Conseil Présidentiel » à sa plus grande perte. Seul le consensus permanent peut exorciser les vieux démons de l’égo. Démons si préjudiciables à la concorde nationale.
Le sang coule à flot dans la cité ! Le désespoir se lit sur les visages de tous nos contemporains ! La migration chaotique de nos jeunes nous donne la mesure de l’anomie sociale ambiante. L’Etat est à genoux, les fameux « territoires perdus » allant crescendo. L’économie s’essouffle. L’école est déclarée institution « non grata ». L’UEH est vandalisée. Les pharmacies attaquées, pillées et incendiées. C’est la résurgence du « temps des baïonnettes » avec un surplus de désordre et de violence faisant pâlir même les cacos-pillards ayant porté Davilmar Théodore au pouvoir à Port-au-Prince. Un embargo sournois nous isole du reste du monde, pesant une lourde hypothèque sur le « primum vivere » de plusieurs millions de concitoyens. Trente-huit (38) ans après 1986, les acquis démocratiques se sont envolés en éclats. Même la démocratie procédurale ne tient pas debout, la tenue d’élections étant une denrée extrêmement rare chez nous.
Entretemps, l’apartheid socio-économique ne connait pas de bornes, la paupérisation accélérée oblige. En résumé, il n y a pas un pouvoir à conquérir, mais un pays à construire. Un pays à construire ! À construire ENSEMBLE !
Des questions essentielles méritent d’être posées au cours de cette transition. Des réponses essentielles sont également attendues de ce cadre intérimaire. Le temps n’est malheureusement pas notre meilleur allié dans cette grande et périlleuse course contre la montre. S’il est vrai que la Sécurité demeure la priorité absolue, il n’en demeure pas moins que des réformes institutionnelles doivent suggérer une meilleure formule de réappropriation de l’Etat par la NATION. Et, cela ira obligatoirement au-delà des frontières de la démocratie formelle pour jeter les bases d’un projet commun plus substantiel empreint de justice sociale. Autrement dit, les vingt mois à venir doivent être fondateurs. S’il n’y aura pas de miracle, on pourra tout au moins amorcer des réformes majeures à approfondir dans le cadre d’un accord global échelonné sur au moins vingt-cinq (25) ans. Notre souhait se veut clair : que cette transition politique soit finalement la dernière de notre Histoire !
Mesdames/Messieurs les membres du « Conseil Présidentiel », choisissez d’entrer dans l’Histoire par la grande porte de la transcendance des appartenances particulières pour vous mettre ensemble au chevet de notre Haïti malade de son apartheid socioéconomique sur fond d’instabilité politique et de crise sécuritaire aiguë. Que les illustres Fondateurs de la nation vous infusent la magistrature morale et politique nécessaire pour la conduite de la destinée d’Haïti en ces moments de convulsions générales caractéristiques d’une société en profonde agonie. Vive Haïti !
Les signataires :
Jorchemy JEAN BAPTISTE
Pascal ADRIEN ..
Abel DESCOLLINNES
Ing-Agr. Msc Vikerson GARNIER
Me Tarly GUIRAND