Par Gotson Pierre
P-au-P, 19 avril 2024 [AlterPresse] --- Ils sont neuf, dont sept décideurs. Les membres du Conseil présidentiel de transition fraichement nommés auront à abattre pas moins de 12 travaux d’Hercule.
Aucune date n’a encore été annoncée pour leur installation, qui doit avoir lieu au palais national, cible ces derniers jours des assauts des gangs de la coalition Viv ansanm.
Leur nomination, finalement annoncée le 16 avril 2024 par le gouvernement sortant, n’a semble-t-il pas eu d’effet significatif sur la terreur qui s’étend. Carrefour (municipalité au sud), une tuerie le 18 avril 2024, et des pillages à n’en plus finir au bas de Delmas (périphérie nord), entre autres.
Une commission est à pied d’œuvre pour planifier l’installation et la transmission des pouvoirs. Intégrant un membre par secteur représenté au Conseil, elle s’occupe de la logistique, du protocole, de la sécurité et du transfert des dossiers, a appris AlterPresse.
Une fois installés, les membres du Conseil présidentiel devraient procéder à l’élection du président de la structure à la majorité simple des 7 membres votants sur les 9, qui la constituent (2 observateurs).
Les critères prévus pour être candidat à la présidence du Conseil sont ceux établis par la Constitution. L’intéressé devrait s’engager à ne pas être candidat aux prochaines élections, ce qui est valable pour tous les membres de l’organe : les votants Smith Augustin, Louis Gérald Gilles, Fritz Alphonse Jean, Edgard Leblanc fils, Laurent St Cyr, Emmanuel Vertilaire, Leslie Voltaire, ainsi que les observateurs Régine Abraham et Frinel Joseph.
L’élu présidera le Conseil durant les 22 mois de la transition, jusqu’à l’entrée en fonction, en février 2026, d’un président issu des urnes. Ce délai ne peut être prolongé en aucun cas, selon l’accord trouvé entre les secteurs faisant partie du Conseil.
Ces derniers sont : l’actuelle coalition gouvernementale Accord du 21 Décembre 2022, l’Accord du 30 août 2021 dit Accord de Montana, le Collectif des partis politiques du 30 janvier 2023, l’Organisation politique Fanmi Lavalas, le parti politique Pitit Desalin, la Plateforme Résistance démocratique/Engagés pour le développement (Red/Ede) et le regroupement politique Compromis historique, les associations patronales et regroupements d’hommes et de femmes d’affaires haïtiens, le Groupe de la Société civile et le Rassemblement pour une entente nationale (Ren)/Inter-Foi.
L’autre pas à franchir sera le choix célère d’un premier ministre pour diriger le prochain gouvernement de transition. L’opération devrait être menée suivant la même formule que pour le Conseil présidentiel. Chaque secteur constituant l’organe devrait désigner un premier-ministrable et le choix final se ferait à la majorité absolue.
Le gouvernement une fois mis en place, le Conseil effectuera les principales nominations au niveau des diverses institutions étatiques et de l’administration publique pour embrasser les défis de la conjoncture.
Coup dur
A tous les niveaux la crise qui frappe Haïti est très grave. Le bilan de près de trois ans de gouvernement (gouvernement ?) laissé par les dirigeants sortants, au pouvoir depuis l’assassinat de l’ancien président Jovenel Moïse en juillet 2021, est catastrophique. Le mot « effondrement » revient souvent pour caractériser cette situation.
Les gangs occupent la majeure partie de Port-au-Prince devenue une vaste « prison à ciel ouvert », comme le décrit un responsable onusien. La capitale est verrouillée par les gangs. On ne peut ni sortir, ni rentrer, alors que l’aéroport est toujours fermé et les attaques de navires se multiplient. Seul un pont aérien par hélicoptères fonctionne à grand frais.
La terrible offensive des gangs, débutée le 29 février 2024, se poursuit inexorablement. Durant près de deux mois ils ne font que tuer, blesser, violer, piller, incendier… Malgré quelques coups marquants, la police, de plus en plus affaiblie, ne parvient à repousser que certaines attaques contre des bâtiments stratégiques comme le palais présidentiel ou l’Académie de police.
La violence a contraint environ 400,000 personnes à laisser leurs demeures et la plupart d’entre elles peinent à trouver de l’aide, reconnait l’Organisation des Nations unies (Onu).
Le secrétaire général de l’Onu, António Guterres, rappelle combien plus de la moitié des personnes déplacées sont des femmes et un tiers d’entre elles sont des enfants.
A Port-au-Prince et dans les zones infestées de gangs, notamment l’Artibonite, les écoles ont pratiquement fermé, tout comme diverses branches d’activités économiques et sociales. La production agricole est gravement affectée, la faim tenaille environ 5 millions d’Haïtiennes et d’Haïtiens (près de la moitié de la population), selon les chiffres de l’Onu.
De nombreux produits importés, dont des médicaments, viennent à manquer.
Tout cela n’est que la pointe de l’iceberg, car durant les trois années écoulées, le pays, fortement centralisé, a été ébranlé sur ses fondements par une crise sans précédent, dont les conséquences au point de vue économique et sociale sont profondes. Entre autres, la fuite de cerveaux et de bras vers l’étranger s’est accélérée, sans aucune perspective de retour.
Sentier difficile
L’« Accord politique pour une transition pacifique et ordonnée », signé le 3 avril 2024 entre les 9 secteurs composant le Conseil présidentiel, détermine les grandes lignes de l’administration qui sera en place.
La transition vise « la réconciliation de l’État avec la nation, le retour à l’ordre constitutionnel (et) la défense des intérêts d’Haïti dans le nouvel ordre mondial ».
Le Conseil présidentiel devra remettre Haïti sur la voie de la dignité, de la légitimité démocratique, de la stabilité et de la souveraineté et s’assurer du bon fonctionnement des institutions de l’État.
Le Gouvernement aura à initier le processus de redressement de l’administration publique, garantir le fonctionnement des institutions juridictionnelles, relancer la vie économique et sociale, établir et maintenir un climat de paix sociale propice à la tenue de la Conférence nationale et des élections générales.
Les 5 grands axes ou chantiers de la transition seront : la sécurité publique et nationale ; le redressement économique, la réhabilitation des infrastructures, la sécurité alimentaire et sanitaire ; la conférence nationale et la question constitutionnelle ; l’État de droit et la justice ; les élections pour le renouvellement du personnel politique.
Parmi les grandes lignes de la feuille de route, on retient : la réforme et le renforcement des forces nationales de sécurité ; la définition avec les partenaires internationaux des conditions et modalités de déploiement d’une Mission multinationale d’appui à la sécurité ; le rétablissement et l’assainissement des institutions de l’État ; le renforcement des institutions étatiques de lutte contre la corruption et l’impunité ; la préparation d’un plan économique pour soutenir la relance humanitaire et économique.
Des structures seront mises en place dans le cadre de l’exécution de la feuille de route, dont un Conseil national de sécurité (Cns) pour trouver des réponses à la crise sécuritaire, un Comité de pilotage sera formé avec pour mission de conduire une Conférence Nationale et un Conseil électoral pour l’organisation de scrutins à tous les niveaux.
Une Commission de vérité, justice et réparation sera constituée pour faire la lumière sur les crimes de sang, afin de donner à la Justice et à l’Exécutif les éléments nécessaires pour agir. Un Parquet financier national spécialisé sera en charge de la grande délinquance économique et financière.
Un Organe de contrôle de l’action gouvernementale (Ocag) devra également être mis en place par le Conseil présidentiel. Il sera composé de quinze membres, dont deux désignés par la diaspora, deux par les organisations de défense des droits des femmes et de jeunes, deux pour le département de l’Ouest et un pour chaque autre département.
Miracle tant espéré
Comme on peut l’évaluer, les enjeux sont énormes et les conditions générales de mise en œuvre de la prochaine transition extrêmement difficiles. Certains analystes des plus optimistes ne s’attendraient pas à ce que la moitié du programme prévu soit réalisé, à moins d’un miracle.
Les obstacles de tous ordres qui jalonneront le parcours de l’administration durant les 22 mois à venir ne sont pas à minimiser, même si l’impression d’une timide renaissance de l’espoir se fait sentir, avec l’expression d’idéaux qui se rattachent au grand éveil démocratique de 1986, à la chute de la dictature des Duvalier.
Il y a lieu de projeter des travaux d’Hercule, qui exigeront beaucoup de courage. Il faudra aussi, et surtout, compter avec des qualités dont le héros de la mythologie gréco-romaine ne disposait pas : l’intelligence, la sérénité et la modestie. [gp apr 19/04/2024 00:30]