Entretien avec Jean-Marie Raymond Noel, Directeur National du projet du PNUD « Accompagnement d’Haïti dans la Société de l’Information (AHSI) »
Par Roromme Chantal, Chargé des Communications et de l’Information au bureau du PNUD en Haïti
Soumis à AlterPresse le 1er aout 2005
Du 17 au 26 mai dernier, s’est déroulée en Haïti, à l’initiative du Gouvernement, la Dizaine sur la Société de l’Information. Un événement sans précédent dont l’un des objectifs était de renforcer la réflexion sur la société de l’information au niveau de certains secteurs sociaux dans le pays. Soutenue par le projet du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) « Accompagnement d’Haïti dans la Société de l’Information (AHSI) », cette initiative a connu un grand succès. Le bilan sur lequel s’est achevée cette Dizaine sur la Société de l’Information comprend notamment la validation des lignes d’orientation du Plan d’action pour le développement des technologies de l’information et la proposition d’un agenda de rencontres avec les différents secteurs concernés sur le Projet de Décret portant sur la réforme du secteur des télécommunications.
Les manifestations d’intérêt enregistrées lors de tels débats mènent à certaines préoccupations et interrogations quant à l’avenir de la société de l’information dans un pays comme Haïti. L’une d’entre elles revient à savoir comment convaincre que les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) peuvent effectivement être mises au service du développement humain durable.
Nous vous proposons un entretien de Roromme Chantal est Chargé des Communications et de l’Information au bureau du PNUD en Haïti avec l’Ingénieur Jean-Marie Raymond Noà« l. Expert et travailleur acharné dans ce domaine, il a été ces dernières années au fait des réflexions sur l’avenir des NTIC en Haïti.
Q- Dans un pays en proie à une situation d’extrême pauvreté et où la population est privée des besoins les plus fondamentaux, est-il facile de présenter l’information comme élément indispensable du développement humain ?
R- C’est effectivement un grand défi que de faire passer un tel discours dans ce pays, tant marqué par l’insatisfaction des besoins primaires de la population, et qui traîne aussi une certaine culture de l’échec.
Peut-on facilement convaincre un Président, un Premier Ministre d’investir dans les structures d’information, dans l’innovation quand plus de 50% de la population vivent en situation d’extrême pauvreté avec moins d’un dollar par jour ? Qu’est-ce qui pourrait justifier que les technologies de l’information réussiraient là où d’autres techniques ont échoué ?
Ces questions sont très pertinentes et montrent bien l’ampleur de l’effort de plaidoyer à faire pour porter les responsables à accorder l’importance qu’il faut à l’information. Le droit à l’information a aujourd’hui la dimension d’un droit humain au même titre que le droit à l’éducation, ou le droit au travail.
Il serait dommage pour ce pays, pour son développement, que les dirigeants continuent, par leur attitude, à opposer l’investissement technologique à l’agenda social au lieu de les mettre dans une relation de complémentarité où les technologies de l’information seraient vues comme outils au service de l’amélioration des services de santé, d’éducation, de la promotion de l’équité sociale, de la croissance économique, etc.
Q- Rendant hommage au Comité d’organisation de la Dizaine sur la Société de l’Information, l’invité d’honneur, l’Intellectuel malien de notoriété internationale, Adama Samassékou, a salué les résultats obtenus en Haïti et qualifié de « best practices » certaines initiatives. Comment comprendre ces « best practices » et faire le lien avec le besoin de meilleures conditions de vie pour les populations vulnérables ?
R- Venant de M. Samassékou, qui a eu à mener les négociations politiques de la première phase du Sommet Mondial sur la Société de l’Information, j’y accorde beaucoup d’importance. Pendant près de deux ans à Genève, il a su mesurer l’immensité des enjeux et a été très souvent en contact avec les initiatives prises par des pays.
Il a été particulièrement impressionné par les ateliers avec les partis politiques et le secteur paysan, non seulement par le fait que le Comité y a pensé, mais aussi et surtout par l’intérêt démontré par les acteurs et la profondeur des débats et des recommandations. Et en ce sens, il croit qu’Haïti a innové. Il n’a pas hésité d’ailleurs à en parler à la conférence ministérielle régionale préparatoire de Rio de Janeiro.
Le lien avec le besoin de meilleures conditions de vie pour les populations vulnérables est tout établi.
D’une part en cherchant à sensibiliser la classe politique aux enjeux et défis associés à cette problématique, on voulait à la fois s’assurer qu’elle l’inscrive dans son agenda politique et qu’elle en tienne compte dans l’approche des solutions aux problèmes de développement du pays et garantir une certaine continuité. Il est à ce sujet réconfortant que les partis politiques aient décidé d’inclure la thématique de la Société de l’Information inclusive dans le pacte de gouvernabilité en négociation.
D’autre part, les paysans constituent, sans aucun doute, le groupe de populations le plus exposé tant par l’absence d’infrastructures, de structures et de services dans leur milieu d’évolution que surtout par la marginalisation officielle dont ils sont l’objet de gouvernement en gouvernement. En les associant à cette dynamique de réflexion et de positionnement, un signal clair a été lancé quant à la capacité de ces technologies à adresser les préoccupations de ces populations. Le message a été fort bien accueilli et le rapport de l’atelier est un véritable réquisitoire pour le développement, comme le démontre cette recommandation faite en matière d’infrastructure : L’Etat doit augmenter l’accès de la grande majorité de la population aux technologies de l’information et de la communication, mais aussi à toutes les infrastructures de base nécessaires au bon fonctionnement d’une société, à l’amélioration de la qualité de la vie du citoyen et à l’éradication de la pauvreté telle que prévue dans la déclaration du millénaire (routes, téléphone, électricité, eau).
Q- La pauvreté de la population ne risque-t-elle pas d’entacher l’accessibilité de tous aux moyens de communication, et donc d’entraver les perspectives entrevues ?
R- C’est tout à fait juste et bien dit. Avec un indice d’accessibilité économique de 0,67, mettant en rapport le prix de l’accès à l’Internet et le revenu national brut par habitant, Haïti est aujourd’hui classé parmi les pays où la population est défavorisée en termes de possibilités d’accès. Ces conditions socio-économiques difficiles ne vont pas s’améliorer de sitôt et risquent donc effectivement de garder les populations haïtiennes encore loin des bienfaits du progrès technologique, si rien n’est fait.
Cela suppose qu’il faut des mesures d’Etat pour corriger le grand écart entre les prix des équipements et des services et le pouvoir d’achat réel des citoyens. Ces mesures peuvent aller de la simple exemption de taxes sur les produits technologiques, à la multiplication de structures collectives d’accès, comme les PICs (Points d’Information et de Communications), dans tous les coins et recoins du pays en passant par des mesures incitatives pour la formation de ressources humaines, le développement de contenus et d’applications adaptés, etc.
Il importe bien entendu d’éviter de tirer dans tous les sens. Des mesures très pertinentes risquent de ne pas avoir toute l’efficacité escomptée s’ils ne sont pas inscrits dans un cadre global. D’où la nécessité d’élaborer le Plan National TIC. Malgré les soubresauts d’une conjoncture socio-politique difficile, malgré la récente décision, très regrettable, de supprimer le poste de Secrétaire d’Etat aux Télécommunications, le Projet AHSI, que je dirige, ne désarme pas et espère bien que la raison finira par l’emporter.