Par Renel Exentus
Transmis à AlterPresse le 3 avril 2024
Le samedi 23 mars 2024, la Société de recherche et de diffusion de la musique haïtienne (Srdmh), en collaboration avec le Centre international de documentation et d’information haïtienne, caribéenne et afro-canadienne (Cidihca), a organisé un concert, qui marqua, une fois de plus, la scène musicale montréalaise. Malgré le froid, le public était au rendez-vous à la Salle de concert du Conservatoire, où l’événement a eu lieu. Loin d’être une simple activité récréative, le concert s’inscrivait dans le cadre de la Semaine d’action contre le racisme et pour l’égalité des chances (Sacr).
Rappelant que cette 25e édition de la Sacr se tient en territoire autochtone non cédé, les présentatrices ont souligné la principale thématique du concert : le rôle des femmes dans l’histoire et dans la création musicale. À cet effet, le programme regroupait d’illustres compositeurs et compositrices d’Haïti, d’Argentine et de France. Le récital débutait avec la pétillante pièce Nostalgia de la renommée chanteuse haïtienne Martha Jean-Claude [1], adaptée pour flûte et piano par Victor Mirabal. Édith Bouyer et Julien Leblanc ont interprété la pièce avec une virtuosité, qui captiva l’auditoire dès les premières notes [2].
L’émerveillement du public s’accrut, lorsque les interprètes ont entamé l’exécution des Deux pièces pour flûte et piano de Carmen Brouard : « Chant du jour » et « Divertissement ». Composées pour le célèbre flûtiste Despestre Salnave en 1968, ces pièces figurent parmi les plus exigeantes de Carmen Brouard, du point de vue de l’harmonie, de la mélodie subliminale et de la cohésion. Cette première partie du concert prit fin avec l’Histoire du tango, célèbre pièce musicale, composée en 1985 par l’Argentin Astor Piazzola. Œuvre en quatre mouvements, Histoire du tango a permis de saisir les principaux moments de l’évolution du tango des Afro-Argentins, du début 20e siècle à aujourd’hui.
La deuxième partie du concert a débuté avec Musique pour Les Aïeules de Jean Brierre. Conçue originellement pour flûte, alto et violoncelle en 1951 par le compositeur haïtien Werner Jaegerhuber, Musique pour Les Aïeules est jouée dans une réduction pour flûte et piano par Julien Lebanc. Sa structure énonce six thèmes, correspondant chacun à l’histoire d’une héroïne de l’indépendance d’Haïti. Dans le contexte de la semaine contre le racisme, Musique pour Les Aïeules de Jean Brierre a non seulement bercé l’âme du public, mais elle l’a également amené à méditer sur les amnésies de l’histoire. En outre, Édith Bouyer a interprété deux autres pièces de Werner Jaegerhuber pour flûte seule : Prélude et Fugue, écrites dans le style de Bach, dédiées au flûtiste Despestre Salnave.
Julien Leblanc a enchainé avec trois morceaux, tirés de la pièce Femmes de légende de la compositrice française post-romantique Mélanie Bonis (1858-1937), qui s’est battue, elle-même, pour se faire une place dans l’univers musical trop masculin de son époque [3] . L’œuvre évoque la figure de grandes héroïnes mythologiques et leur sort tragique aux mains des hommes : un enjeu social encore d’actualité.
La deuxième partie s’acheva avec la Sonate Vaudou Jazz du compositeur haïtien Julio Racine [4].
Conçue pour piano et flûte, cette pièce, d’une grande originalité, propose trois styles en un : la forme et l’orchestration sont du registre classique ; les harmonies sont de l’ordre du jazz ; les motifs rythmiques, notamment dans la partie piano, renvoient à la musique folklorique traditionnelle haïtienne. Ce syncrétisme a résonné au cœur d’un auditoire, composé majoritairement de membres de la diaspora haïtienne : enfants et adultes se sont laissés bercer par les jeux rythmiques, à l’instar du « Bateau ivre » de Rimbaud.
En rappel, les duettistes reprirent Nostalgia de Martha Jean-Claude sous des applaudissements intenses. Ils saluèrent le public en recevant, dans une ambiance solennelle, des fleurs présentées par des membres de la Srdmh. Pour couronner cette soirée magistrale, on procéda à la vente signature de l’album du célèbre opéra La Flambeau du compositeur David Bontemps.
[1] Pour plus de détails, voir les liens suivants : https://watch.eventive.org/mardidoc/play/61d091944cd62c00e30f551c
https://www.haitiinter.com/martha-jean-claude-la-nostalgie-haitienne/
[2] Édith Bouyer est licenciée en musicologie de l’Université de Haute-Bretagne et a étudié la flûte traversière au Conservatoire de Rennes (France), École des Arts de la scène, dans la classe de Gladys Bouchet. Elle est aussi diplômée du Programme d’enseignement de la musique de l’Uqam, où elle fut assistante de recherche en musicologie sous la direction de Claude Dauphin. Par ailleurs, le pianiste canadien Julien LeBlanc est reconnu pour sa grande sensibilité musicale et ses dons de communicateur. Basé à Montréal, il est très actif sur la scène musicale canadienne comme soliste, chambriste et accompagnateur. Pour plus de détails sur Julien Leblanc et Édith Bouyer, voir les liens suivants : https://www.julienleblanc.com/bio-fr
https://ca.linkedin.com/in/%C3%A9dith-bouyer-9a1388175
[3] Pour mesurer l’impact de l’éducation religieuse et sexiste sur la vie et la carrière de Mélanie Bonis, voir les liens suivants : https://guides.loc.gov/feminism-french-women-history/famous/mel-bonis
https://www.rtbf.be/article/mel-bonis-le-destin-clair-obscur-d-une-compositrice-hypersensible-et-mystique-11163909
[4] Décédé en 2020, Julio Racine était flûtiste, chef d’orchestre et compositeur.
Il a étudié au Conservatoire National d’Haïti et à l’école de Musique de l’université de Louisville. Après ses études, il retourne en Haïti où il est devenu professeur de flûte et chef de l’Orchestre Philharmonique Sainte-Trinité. Pour plus de détails, voir les liens suivants : https://crossingbordersmusic.org/explore-the-music/haiti/julio-racine/
https://julioracine.com/
https://www.srdmh.com/concerts