Par Gotson Pierre
P-au-P., 1er avril 2024 [AlterPresse] --- Le suivi à donner aux multiples crimes, perpétrés commis par les gangs armés depuis plusieurs années de crise sécuritaire aiguë en Haïti, et particulièrement au cours du mois écoulé, ne cesse point de mobiliser l’attention et l’opinion, observe AlterPresse.
Les gangs, qui ont lancé une vaste offensive violente sur la capitale depuis le jeudi 29 février 2024, ne démordent pas. Ils multiplient quotidiennement leurs attaques contre personnes et biens, tout en exprimant leur volonté de se saisir du pouvoir.
Dans des communications relayées sur les réseaux sociaux, ils réclament leur place dans le processus de négociations pour la sortie de la crise politique.
La question de l’amnistie des crimes, commis par les gangs, est introduite dans le débat public, alors que de multiples voix font valoir la nécessité que les bourreaux soient mis en face de leurs victimes dans une démarche de justice, de réparations et de pacification de la société, minée par la violence.
Une Commission vérité et justice
Le Conseil présidentiel de transition, qui n’a pas encore été officiellement nommé et installé, prévoit la mise en place d’une Commission vérité et justice, tel que cela s’est fait au retour à l’ordre constitutionnel en 1994, après les 3 ans du sanglant coup d’État militaire de septembre 1991.
Durant ces trois années, lourdes d’exactions de toutes sortes commises par les militaires et paramilitaires, environ 3,000 personnes ont été assassinées, selon les statistiques de l’époque.
Pourtant, ce sont 5,000 personnes qui ont été assassinées en Haïti, rien qu’au cours de l’année 2023, dans le cadre des violences des gangs armés, qui occupent désormais plus de 80% de la capitale, selon les données de l’Organisation des Nations unies (Onu).
A ces victimes, s’ajoutent plus de 1,500 personnes tuées en Haïti au cours des 3 premiers mois de l’année 2024.
Il n’y aura pas d’amnistie, mais une quête de justice, selon le parti politique Organisation du peuple en lutte (Opl), membre du Collectif 30 janvier 2023, coalition ayant un représentant au sein du Conseil présidentiel de transition.
« La société est victime de multiples atrocités pendant longtemps. Il y a une quête de justice sociale, qui résonne partout dans le pays. Les victimes de massacres sont en quête de justice », déclare Danio Siriack, porte-parole de l’Opl, dans une interview accordée à AlterPresse/AlterRadio.
Les armes à table ?
Même s’ils jouissent d’une visibilité internationale, les groupes armés sont constitués de bandits, n’ont aucun mobile idéologique et sont émiettés, avance-t-il dans une interview à AlterPresse/AlterRadio.
Il se dit contre toute négociation avec des gangs armés, qui ont perpétré tant d’assassinats, tant de crimes, tant de massacres et tant de destructions sociales à travers Haïti.
« Dialoguer avec les gangs, ce serait justifier leurs actes criminels. C’est le plus grand mal qu’on puisse faire à la société, moralement, politiquement et idéologiquement ».
Depuis le jeudi 29 février 2024, les gangs armés ont saccagé et incendié diverses infrastructures privées et publiques, dans la zone métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince, empêchant même le retour en Haïti du premier ministre de facto - bloqué à Porto Rico depuis le mardi 5 mars 2024 - Ariel Henry, contraint de démissionner de son poste, le lundi 11 mars 2024, sous pressions étasuniennes.
Au moins un établissement d’enseignement, le Petit séminaire collège Saint-Martial, a été attaqué et une partie de l’immeuble a été incendié.
Au fort de la démonstration de force des gangs armés, l’ancien officier de police Guy Philippe a avancé qu’il serait prêt à implémenter un programme d’amnistie pour leurs chefs, une fois élu président, dans une interview donnée à l’agence Reuters.
Guy Philippe, qui a dirigé en 2004 un mouvement armé contre l’administration de l’ancien président Jean Bertrand Aristide, déclare prôner une « révolution » dite « pacifique ».
L’ancien officier de police de 55 ans a été déporté vers Haïti, le jeudi 30 novembre 2023, à bord d’un vol avec plus d’une douzaine d’autres personnes. Il a purgé une peine d’emprisonnement de 6 ans, aux États-Unis d’Amérique, pour blanchiment d’argent lié au trafic illicite de drogue, après son arrestation en Haïti le jeudi 5 janvier 2017.
Justice sous une forme ou une autre
Le juriste Jacques Letang, président de la Fédération des barreaux d’Haïti (Fbh), prône l’approche de la « justice transitionnelle », face aux traumatismes causés par les violences armées en Haïti.
La justice transitionnelle est « l’éventail complet des divers processus et mécanismes, mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation », selon l’Organisation des Nations unies (Onu).
C’est le moment de mettre en place en Haïti des mécanismes de justice transitionnelle en tant que « justice de rupture », car l’État s’est effondré, soutient Me. Letang.
Dans une conversation avec AlterPresse/AlterRadio, il a tenu à établir une nette différence entre actions révolutionnaires armées et les meurtres de masse, les vols et viols à des fins d’enrichissement personnel avéré, qui ne sauraient, en aucun cas, être amnistiés.
Il a également dénoncé leurs attaques systématiques contre des biens sociaux, comme des écoles et des hôpitaux ainsi que de petites et moyennes entreprises dans plusieurs quartiers.
« Les victimes ne sont pas des objets sans vie. Il faut que lumière soit faite sur l’ensemble des crimes commis », recommande le sociologue.
Rébu, qui dirige le parti politique Grand rassemblement pour l’évolution d’Haïti (Greh), demande, lors d’une interview accordée à AlterPresse/AlterRadio, de prendre en compte la problématique de la violence armée dans toutes les perspectives de solution à la crise.
Les chefs de gangs armés, qui ont des dossiers lourds, peuvent se rendre volontairement à l’État, qui les désarmera, pour qu’ils soient jugés, souhaite Me. Camille Leblanc, dans un entretien avec AlterPresse/AlterRadio.
Il suggère aussi d’identifier les moyens de désarmer les milliers de jeunes, qui font partie de ces gangs armés, et de les intégrer dans des processus de formation.
Les femmes disent non à l’amnistie
Dans un récent communiqué, ces entités réitèrent leur volonté de continuer à lutter contre l’impunité, tout en soulignant rester fermement attachées aux principes de justice, de respect, de solidarité et de sororité.
Elles se solidarisent avec les proches des personnes innocentes, assassinées par les gangs criminels, spécialement depuis le massacre de la Saline (Port-au-Prince) en novembre 2018, ainsi qu’avec toutes les personnes victimes de crimes de masse, de kidnappings, de pillages et d’incendies de leurs maisons et de leurs biens.
Elles expriment leur solidarité avec toutes les femmes ravagées par les viols collectifs, perpétrés par les gangs criminels dans différents quartiers.
« Nous sommes convaincues que notre détermination et la conjugaison de nos capacités participent de la constitution du socle, sur lequel nous pouvons collectivement reconstruire, avec des solidarités externes respectueuses, nos institutions et notre société meurtrie ». [gp apr 1er/04/2024 22:00]